La Presse Anarchiste

Les amoureux de Galathée

De même qu’en la noble légende attique, la sta­tue était deve­nue femme. Le marbre appa­rais­sait d’une vie res­pi­rante et vraie. Le pro­dige renais­sait sou­dain de l’art égal à la vie. 

Était-ce un mirage, peut-être, où se jouaient les errantes lueurs de la forêt ? La nou­velle Gala­thée se pro­fi­lait d’une légè­re­té de fris­son dans la lumière bri­sée des branches et sur le reflet trem­blant de la rivière. N’é­tait-elle que fan­tôme d’air et de nuée entre les feuilles ? Oui ! ce n’é­tait peut-être qu’une fée­rie rus­tique d’ombre et de clar­tés à tra­vers bois…

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L’a­greste soli­tude, pour­tant, accueillit sans sur­prise la mer­veille qui était, aus­si, son œuvre : la nature lasse, enfin, de son charme insai­sis­sable, avait réso­lu de se voir mieux aimée et com­prise sous un aspect d’être visible qui tra­dui­rait ses sen­sa­tions et sa pen­sée. Toute l’é­mo­tion pro­fonde de la terre, répan­due dans le souffle du jeune été, dans la rumeur plain­tive des arbres, dans les odeurs aimantes des fleurs neuves, avait comme implo­ré puis hâté la venue d’une enti­té défi­nie qui se ferait par­lante d’elle, la pré­sence d’on ne sait quelle déi­té ter­rienne qui serait la forme pure et la chair vive, qui serait la voix et qui serait l’âme de ce joli paysage. 

Et ces muets dési­rs avaient évo­qué l’ins­pi­ra­tion du sta­tuaire. C’é­tait comme si la terre mys­té­rieuse lui eût dit pour­quoi les cimes s’embrumaient de gri­sailles loin­taines, pour­quoi les lilas sus­pen­daient à l’a­vril leur teinte de rêve­rie et pour­quoi les gouttes de rosée étaient des pleurs à tous les buissons.

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Jus­qu’a­lors réfu­gié de la ville dans la hutte de fleurs et de feuillées bâtie pour lui telle qu’un nid de silence au faîte de la mon­tée, le Maître ren­voyait à plus tard sa lutte de gloire et de sou­cis. Il lui fal­lait un temps de paresse éper­due. Nulle ten­ta­tion ne lui venait, main­te­nant, de tra­cer la moindre esquisse ; il ne crayon­nait aucun trait d’é­tude et délais­sait, fruste entre les brous­sailles de l’en­clos, le bloc de marbre ancien­ne­ment ache­té pour quelque éphé­mère caprice de travail. 

Il ne son­geait même plus au pou­voir qui lui était acquis d’ha­biller cette argile d’une appa­ri­tion d’hu­ma­ni­té. Il pro­di­guait les heures aux plaines illu­mi­nées d’es­pace ; il se per­dait dans les tom­bées d’ombres sous les bois, ou, len­te­ment, il guet­tait de ses fenêtres sur l’ho­ri­zon la divine arri­vée de la nuit. 

À la fin, cepen­dant, il per­ce­vait l’in­di­cible plainte que lui appor­tait le tour­ment de la terre et ne put se défendre d’une tyran­nique obses­sion d’a­gir qu’il attri­buait à des remords d’oi­sif. Il renon­çait aux courses à tra­vers champs, maniait au hasard le ciseau et le maillet, s’ar­rê­tait de plus en plus médi­ta­tif devant le mor­ceau de marbre déser­té si long­temps ; il en ima­gi­nait la beau­té nue sous le voile — déjà elle était femme— il s’emportait à l’es­poir d’en déga­ger la splen­deur enfouie. 

L’en­traî­ne­ment devint vite impé­rieux. L’ar­tiste, sans vou­loir, de ses poings comme irri­tés, fit sau­ter quelques éclats ; des contours se des­si­nèrent, une ébauche hési­tante nais­sait ; elle se déli­vrait des revê­te­ments stu­pides du gra­nit et s’ef­fi­lait en de soyeuses sou­plesses de chair. Les clar­tés cou­reuses des heures s’ar­gen­taient à l’é­lé­gance com­men­çante de l’i­mage. Le génie cédait, enfin, à sa propre ivresse, le miracle se fai­sait : une blanche vision de femme allait poindre dans l’ombre verte des arbustes. 

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Que serait-elle, et — l’œuvre d’art diri­geant, elle aus­si, les mains de son ouvrier — en quel ordre déter­mi­né du Beau lui plai­rait-il de se fixer ? 

À ces doutes, encore une fois, l’in­time volon­té de la terre avait répon­du. La frêle chan­son des feuilles dans le vent, les sen­teurs des fleurs entre les herbes, la lim­pi­di­té de la rivière au miroir trem­blant ne sou­hai­taient se dépeindre en nul emblème de force ou d’or­gueil. Il leur fal­lait pour repré­sen­tante toute une grâce légère, la chas­te­té fraîche d’une vierge des forêts, sem­blable aux payses, aux jolies filles des jours de fête, dans la pure­té de la robe blanche, au visage rieur sous la douce pénombre de la coiffe fleu­rie — telle, ain­si, que l’heu­reuse appa­ri­tion de la joie mati­nale qui des­cend des col­lines et va par les prés au fil de l’eau.… 

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Ces magné­tiques ins­tances attei­gnaient leur but : 

À mesure qu’elle emprun­tait les lignes du réel, la sta­tue s’é­ri­geait — comme sachante et pré­des­ti­née — sous les traits d’une humble native du sol, rele­vée en une fier­té de Diane rus­tique. Le marbre sem­blait avoir, de tou­jours, rece­lé cette can­dide et naïve éclo­sion. C’é­tait pour l’es­prit du maître comme s’il y fût sur­gi quelque génie autre, s’im­po­sant, plus que le sien, libre et pres­ti­gieux. Il négli­geait, en effet, ses facul­tés accou­tu­mées vers le déme­su­ré et le superbe. Il visait aux conquêtes plus hautes d’une abso­lue sim­pli­ci­té. Sa fièvre créa­trice éma­nait d’in­cons­cience. La sin­cé­ri­té qui le gui­dait seule atti­rait la vie elle-même toute vraie au bout de ses doigts cher­cheurs. Sa Gala­thée s’é­va­dait de la matière comme d’un ancien som­meil de prin­cesse fée­rique. Puis, subite, elle venait du songe dans le ravis­se­ment du cer­tain, avec la lueur de rose que lui met­tait aux joues une trans­pa­rence du marbre vei­né de bleu, avec le sou­rire de lumière aux yeux velou­tés d’ombre sous la coiffe pay­sanne de fleurs de lys, avec le rele­vé déli­cieux du bas de sa robe dans la fuite du vent ; avec l’es­sor d’un pre­mier pas de son pied d’al­bâtre sur les ronces du jardin…

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Et, sans autre magie l’en­chan­te­ment s’attesta. 

La sta­tue des­si­nait un élan de har­diesse ingé­nue. L’âme pen­sante péné­trait en cette flexible struc­ture qui lui prê­tait une divine appa­rence d’être ; même l’illu­sion char­mante de la parole errait à ses lèvres entr’ou­vertes, comme chan­tantes pour un hymne ini­tial au pres­sen­ti­ment de vivre et d’être belle…

Oui ! la Gala­thée était fabu­leu­se­ment née à l’é­qui­va­lence des attraits du pay­sage, blanche comme le retour des aubes, tein­tée de rayons et d’obs­cur­cies entre les frois­se­ments des branches, svelte et bou­geuse par son reflet au loin sur les eaux, han­tée de rêve et d’hal­lu­ci­na­tion dans les vagues pro­fon­deurs étoi­lées de la nuit. 

Et plus exis­tante encore était-elle pour l’ar­tiste. Leurs pen­sées s’en­ten­daient en sub­tiles et déli­cates confidences. 

La sta­tue remé­mo­rait par quel secret des­tin impli­qué dans le marbre, par quel accord entre les pro­grès de sa genèse et les hasards chan­geants de la lumière, par quels aban­dons aux influences éparses de la flore elle avait annon­cé puis ordon­nan­cé sa jeune incarnation. 

Le Maître avouait cette force adjointe à toute grande œuvre d’art d’é­vo­quer elle-même sa loi de per­fec­tion et d’ap­por­ter l’en­chaî­ne­ment des idées à l’ef­fort aven­tu­reux qu’en­tre­prend l’ar­tiste. Il se féli­ci­tait de ses mains promptes ayant su fixer la véri­té sur­ve­nante ; il s’ap­plau­dis­sait d’a­voir, enfin, dédai­gné les déce­vants sub­ter­fuges d’un style pour lais­ser s’é­pa­nouir à son gré cette fidèle iden­ti­té de femme, bien pareille à celles qui passent au che­min de la vie et qui vont dans la ter­restre émo­tion de la chair. 

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Alors le sta­tuaire se hâta de divul­guer son triomphe. 

Ses amis accoururent. 

C’é­taient le Poète, fas­tueux ima­gier de paroles, le Sym­pho­niste, modu­la­teur des voix de l’In­con­nu ; le Phi­lo­sophe, cher­cheur en l’a­bîme des causes ; c’é­tait, aus­si, le Riche, l’ac­qué­reur sou­ve­rain à prix d’or des œuvres du Maître. 

À leurs yeux, aus­si, la noble vic­toire de l’ar­tiste écla­tait sans conteste. Embau­mée, demi-nue, de l’o­deur des herbes, chu­cho­teuse dans le bruis­se­ment des feuilles, la sta­tue s’i­ma­geait toute res­sen­tante d’une extase innée, et les enthou­siasmes se pros­ter­naient devant une telle suprême puis­sance de fic­tion. La pen­sée du Maître s’ad­met­tait, pour tous, dans le sur­na­tu­rel d’une forme immuable. 

Mais beau­coup au delà du pré­vu, le drame de dou­leur humaine devait bien­tôt agran­dir le miracle et se jouer de la Gala­thée enfin châ­tiée d’a­voir une âme. 

Son ado­les­cence, gerbe de fleurs dénouées du prin­temps, avait déjà fui. Elle s’as­som­bris­sait avec l’é­té comme d’une sourde irri­ta­tion lui venant de la brû­lure de la glèbe et des pesantes tor­peurs des nues. Sa blan­cheur fluide gar­dée du marbre s’al­té­rait en troubles pâleurs d’ambre et se stig­ma­ti­sait aux sillons d’une récep­ti­vi­té plus âpre et plus dévorante. 

Elle ache­vait de deve­nir femme à l’as­saut des sen­sua­li­tés sur­prises, révol­tées, enfin farouches. La forêt appe­lait sur sa couche d’ombre les étreintes de l’o­rage, le sol s’en­tr’ou­vrait pour les caresses de l’eau ; telle la Gala­thée pres­sen­tait et voulait. 

Et de quelle rigide reli­gion du Beau l’as­trein­drait-on à res­ter l’i­dole ? Sous quelle figu­ra­tion d’im­pos­sible hié­ra­tisme pré­ten­drait-on cacher dans l’i­dole l’ar­ri­vée de la divinité ? 

Vain ser­vage à l’i­déal ! Cet amour de la Gala­thée, tout à coup sou­le­vée d’au­daces ins­tinc­tives, c’é­tait, pour sa beau­té fac­tice, la tra­gique oppres­sion de n’être rien faute d’une réa­li­té de vivre. Il était atten­du, cet amour, et sup­plié par tout ce qui s’é­tait trans­mis de germes vivaces au sein de la sta­tue prise dans les formes de la vie. Il fal­lait à l’a­mour de la Gala­thée la plé­ni­tude des ivresses et l’a­bat­te­ment des souf­frances qu’il apporte de la nature en nous pour s’a­bî­mer avec nous. L’a­mour s’as­si­mi­lait pour elle aux res­plen­dis­se­ments d’au­rores, aux ten­dresses du jour qui fuit, aux mélan­co­lies que trament les ombres. Il devait être l’an­goisse d’un bon­heur trop grand qui se res­pire dans le souffle des étés, le pré­sage de la chi­mère ailée de nos deuils qui se dis­sipe par les soirs flé­tris où toute féli­ci­té s’éteint. 

Et, sa pudeur arra­chée aux entraves plas­tiques, elle appe­lait, folle, l’embrassement viril de l’ar­tiste ; elle se pré­ci­pi­tait à des hâtes d’é­pui­ser pour lui ces dons qu’elle en avait reçus de vivre et d’ai­mer ; elle hale­tait d’être à lui tout entière, de l’a­voir bien à elle, bien seule­ment à ce qui dans sa créa­tion affran­chie de l’art immo­bile s’a­gi­tait enfin d’hu­ma­ni­té et de femme. 

Hélas ! le Maître ne soup­çon­nait pas de prières de volup­té sous cette sem­blance de chair amou­reuse. Il igno­rait la véri­table gran­deur, la part de divi­ni­té de son œuvre. C’é­tait assez pour sa gloire que la sta­tue parût envo­lée de son socle, comme d’un coup d’aile de lumière, qu’elle s’en­chan­tât de toutes les claires har­mo­nies des heures, qu’elle se fît hagarde et fan­tas­tique à tra­vers la nuit, sans autre par­tage au réel que cette mou­vante désin­vol­ture dont, au hasard du tra­vail, il l’a­vait habillée. 

Qui sait son dépit — peut-être, ô risée, le frois­se­ment de son orgueil d’art pour l’art — si, dépouillant tout-à-fait sa chry­sa­lide sculp­tu­rale, la femme nue avait mar­ché à lui, libé­rée de son appa­rat de chef-d’œuvre, consciente de son être intime, heu­reuse de ses liens tombés… 

—Il n’est rien de toi, disait-il, qu’une sur­face où se fixe­ra ma pensée. 

Et la Gala­thée connut le sup­plice, soi­gna la bles­sure à jamais ouverte d’un amour où l’on ne vou­lait rien entendre des bat­te­ments de son cœur. 

Elle appe­lait une pitié, cepen­dant, et tour à tour elle adju­ra les amis du Maître, le Poète d’a­bord, ins­ti­ga­teur lui aus­si, par le verbe, de cet afflux de vita­li­té qui se vio­len­tait en elle. Mais le tis­seur de rimes n’eut pour réponse que des odes magni­fiques en l’hon­neur d’une Gala­thée main­te­nue à des cor­rec­tions de lignes « que la pas­sion ne doit pas déranger ». 

Res­te­rait-elle donc humi­liée à ce seul rôle d’i­ma­ge­rie de poème, pavoi­sée du vain décor des mots ? 

Sa déses­pé­rance vou­lut, du moins, apprendre à se dire par des chants qui sau­raient être des fris­sons et des pleurs. Elle ten­ta de mêler sa voix aux accords mys­tiques qu’im­pro­vi­sait le sym­pho­niste. Mais les plaintes de la Gala­thée n’ar­ri­vaient jus­qu’à lui que comme l’é­tran­ge­té d’on ne sait quelles élé­gies d’âme cap­tive dans la pierre. Et c’é­tait le texte de loin­taines légendes ins­tru­men­tées en séré­nades plus obs­cures que les ombres écou­teuses de la nuit. 

Ain­si les mains-artistes, les strophes évo­ca­trices, le trans­cen­dant des mélo­dies n’illus­traient que le mythe de la Gala­thée et de sa ver­tu d’être dou­lou­reuse et mor­telle. Le Sou­ve­rain Riche et son Or ne com­pre­naient entiè­re­ment rien, ambi­tieux seule­ment qu’ils étaient de dres­ser au seuil d’un palais le faste de la sta­tue devant laquelle s’u­se­rait le froid res­pect des âges. 

Mais que lui impor­tait une apo­théose de sa beau­té morte ? Et quel amer inté­rêt la pous­sait encore à connaître jus­qu’au bout les causes de sa détresse ? 

— Dis-moi pour­quoi je suis ? lamen­tait-elle auprès du Phi­lo­sophe, dis-moi pour­quoi je pleure et pour­quoi nul de vous ne me devine en moi, telle que je suis et telle que je pleure ?.… 

S’il avait pu l’en­tendre, le dia­lec­ti­cien — sans railler ni com­pa­tir — se fût bor­né, tout moder­niste, au constat pour lui si pré­vu d’une souf­france inor­ga­nique. Il tenait, en effet, pour ration­nel que l’ar­gile de la Gala­thée contînt, en quan­ti­té rela­tive, les prin­cipes pri­mor­diaux de l’ac­tion et du sen­ti­ment, car il consi­dé­rait l’in­tel­li­gence et la sen­si­bi­li­té comme les qua­li­tés d’un ato­misme uni­ver­sel sus­cep­tible de se répar­tir et de se coor­don­ner plus ou moins sous n’im­porte quelle forme spon­ta­née ou imitative.… 

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Elle res­tait donc indif­fé­rente à tous, cette essence de nature qui vou­lait débor­der du nombre et se résoudre en une femme, toute femme, avec ses fai­blesses et ses désordres ? L’art jaloux de la vie haïs­sait cette femme dans la Gala­thée. Seule sa sta­tue avait des amants. 

— Qu’im­porte que tu sois triste ou ravie d’es­poir ? déci­daient-ils. — Sois la seule beau­té ; sois belle de nos visions reflé­tées, sois belle d’un trouble d’é­nigme pour le vul­gaire, sois belle d’un éter­nel silence dont nous dirons le secret de ten­dresse et d’ironie. 

— Rhé­teurs de men­songes, pro­tes­tait l’in­com­prise, l’ou­tra­gée, poètes jon­gleurs des styles éblouis, chan­teurs de l’é­ga­re­ment des songes, sub­tils pra­ti­ciens du métier de plaire ! Votre idéa­lisme feint de s’al­lier au réel ; il se déclame ambi­tieux d’une nou­velle créa­tion de la vie. Et voi­ci que votre sou­hait s’ac­com­plit. La véri­té d’être s’est éten­due de vous en l’œuvre que vous avez faite de moi. J’as­pire et je res­sens la vie, toute la vie elle-même où m’a éle­vée votre rêve. 

Mais vous la ban­nis­sez une fois venue lors­qu’elle est si simple hélas ! si pareille à la Arie rési­gnée ou défaillante des autres enfants de la terre. Je ne pou­vais contraindre mes ins­tincts aux limites de l’i­mage dont vous m’a­viez vêtue. Il me vint les ivresses ado­les­centes puis les san­glots des filles tor­tu­rées d’a­mour. Mais les clar­tés de chan­sons à mes lèvres, l’as­som­bris­se­ment décou­ra­gé dans un regard, cette lai­deur pas­sion­née des sen­ti­ments par les­quels s’at­tes­tait ma réa­li­té de chair et d’âme vous les avez pros­crits parce qu’ils enfrei­gnaient les vaines régles — oh ! si vaines et si chan­geantes — de vos arti­fices de séduc­tion. Plus tard, ma des­ti­née s’ac­com­plis­sait : les fruits de mater­ni­té pen­dus à mon sein, la suite des jours effeuillant ma jeu­nesse, l’au­réole de la pen­sée agran­die à mon front, ces signes gra­dués de la marche à la mort que l’ombre des temps grave len­te­ment sur la fra­gi­li­té des êtres, vous m’en eus­siez repro­ché le désac­cord avec vos rythmes, vos har­mo­nies, vos nuances, vos raf­fi­ne­ments. — « Qu’im­porte que tu sois vraie ? » — m’eus­siez vous redit — « sois morte sous le relief sublime de la matière dont nous t’a­vons tirée »… 

Je vous obéis donc, je retourne à l’i­na­ni­té parée de néant où s’ar­rête votre extase. Je rede­viens l’i­dée sans âme et sans voix dont vous avez dres­sé le symbole…

L’illu­sion d’être de la Gala­thée se dissipait. 

Sa der­nière pen­sée déses­pé­rée se sen­tait trop haute pour la fata­li­té d’art qui l’op­pri­mait. Ain­si se com­prendre c’est mourir. 

La sta­tue pro­file, main­te­nant, sa joliesse inerte et déjà sur­an­née sur l’ho­ri­zon nu, tan­dis que le pay­sage d’au­tomne s’en­se­ve­lit sous les feuilles éteintes et que le lin­ceul des neiges trame vers l’es­pace une vague clar­té de rêve… 

[/​Louis Mul­lem/​]

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