[[Par les auteurs de « L’évolution du sexe ».]]
Les sciences naturelles ne sont pas pour les femmes ce qu’à l’école on croit qu’elles sont — ce qu’est la dissection d’une grenouille pour les anatomistes. Ce sont choses, au contraire, qui se font en compagnie de l’enfant, du poète et du naturaliste, depuis Virgile jusqu’à Darwin, et qui s’entreprennent en jardinant et en étudiant la vie des abeilles. Cette vivante science n’use pas de termes farouches ; même sa langue est plus simple que le parler courant. La « Reine » n’est pas une reine, mais une mère emprisonnée. Les « Neutres » ne sont pas des neutres mais les Sœurs affairées de la ruche. L’emprisonnement à vie et l’étroite existence laborieuse de la maternité sont le partage de celle-ci‑, celles-là ont la vie d’énergie et de travail, la vie libre, le soleil et les fleurs.
Voici donc le contraste entre la mère à son foyer et la « femme nouvelle » — contraste assurément aussi vieux que le monde. Mais ne plaignons pas outre mesure la reine-mère. Quelle mère à la vérité ne sourirait. « La plaindre ? Plutôt l’envier. Fus-je jamais plus heureuse qu’avec mes enfants ?» N’envions pas trop non plus ces travailleurs heureux et libres, et qui reviennent à la ruche chargés de richesses. D’abord, la direction de leur vie, comme de celle de nos femmes émancipées, fut uniquement matérielle et non spirituelle. À rencontre des mâles développés, les bourdons, les travailleuses ont chacune leur aiguillon empoisonné. Mais cet aiguillon n’est pas une arme nouvelle et étrange ; c’est la partie de l’organe même de la maternité qui sert à la reine à déposer chaque œuf dans la cellule qui lui est destinée.
Le parallélisme entre tout ceci et la vie humaine est chose si évidente que c’est là sans doute la raison pour laquelle les biologistes se gardent de l’enseigner.
La passive « hausfrau » de l’Allemagne contemporaine, la « new woman » de l’Amérique ou de l’Angleterre contemporaines, sont l’une et l’autre aussi anciennes que civilisation. Car vous, Mesdames, pour qui la société humaine s’arrête exactement au niveau de la société où vous vous trouvez, ne vous êtes-vous jamais dit que chacune de vos domestiques est une « femme nouvelle », une abeille laborieuse entrée dans la vie pour y travailler ; que la doctoresse et la garde-malade, l’institutrice et l’employée qui écrit à la machine, la couturière, l’employée de fabrique, la demoiselle de magasin et toutes les autres, sont des femmes nouvelles proprement dites, c’est-à-dire des travailleuses ? et que celles qui se disent nouvelles et avancées, et tout le reste, sans travailler, ne font qu’imiter les bourdons ? La servante, la plus proche du foyer, y trouve l’intérêt instinctif de la femme plus que celles qui travaillent au dehors. Ses fonctions domestiques sont aussi plus normalement féminines. Elle pourvoit aux repas, surveille les enfants, comme l’abeille travailleuse, et le plus souvent aboutit au mariage — le plus souvent aussi à la maternité sans le mariage.
Mais comment classer toutes les travailleuses dont le travail n’est pas domestique ? La fonction des unes est évidemment matérielle, celle des autres spirituelle. La couturière est la femme de fatigue de la servante et de la mère, la fille de fabrique est l’esclave qui tisse pour toutes trois, et ainsi de suite. Ces travailleuses ne font que remplacer hommes et machines dans les factoreries, qui sont comme l’agrandissement des offices de la demeure.
Mais les fonctions spirituelles ? À côté de Marthe et de ses servantes s’est trouvée Marie. C’est elle qui symbolise la vocation spirituelle, qui choisit délibérément la meilleure part, qu’on, ne lui ôtera pas ; c’est elle le prototype et l’idéal de toutes sœurs depuis ce jour.
Pourtant l’homme dit à sa sœur : « Ne repousse point l’amour, s’il t’est offert. » C’est que Marie, sœur idéale, n’est pas la plus haute, car en celle-ci, assurément, la maternité doit s’unir à la pureté.
Plus d’une fois le peintre nous a fait voir en la Madone et l’Enfant, non pas seulement un symbole religieux, mais aussi, effaçant les nimbes, une figure, un idéal clairement humains. Pourquoi osons-nous si rarement renouveler d’autres légendes sacrées aussi complètement, représenter plus d’aspects de la vie humaine en les sanctifiant profondément, peindre enfin les Lys de l’Annonciation qu’apporte chaque garçon à chaque fille ? Un tel art, si vieux déjà, se lève seulement, et, aidé de la vivante science dont il est le précurseur, il affrontera franchement les mystères du sexe, délivré de toute fausse modestie propre à notre temps qui passe déjà, temps d’art mécanique et de science analytique.
Quel serait l’idéal de vie, si ce n’était la floraison en nobles (c’est-à-dire, pures) individualités, humaines et organiques, en plénitude d’amour et de sexe ? Et quel meilleur symbole, d’ailleurs, que celui du lys ? Quelle plus claire parole, ou plus exactement révélatrice, quelle parole plus simple ou plus profonde d’initiation à l’art et à la science, que le conseil et le commandement donnés jadis : « Apprenez comment croissent les lys » ?
La théologie, qui ne se lasse pas de matérialiser les symboles, se choquera du « matérialisme » de ceux qui envisagent ainsi le beau symbole qu’elle a la profane habitude d’ignorer. Mais ces lys n’en sont pas moins de véritables lys, et l’art et la science ne sont que des moyens d’apprendre comment ils croissent : Wer Wissenschaft und Kunst besitzt hat auch Religion, en ce cas du moins. Un jour, avec le renouveau de la religion naturelle, se célébrera encore le rituel de la Nature, et l’on plantera réellement des lys parmi nos ronces flétries.
Jamais on ne discuta plus librement qu’aujourd’hui les questions de sexe ; et il se dit beaucoup de choses dont les peureux pourraient s’alarmer et qui peuvent blesser les purs d’esprit. Mais ici comme partout, la route est devant et non derrière nous. Il nous faut attaquer chaque problème, malgré tant de pudeurs alarmées ; ne pas l’esquiver ni le déguiser, ni reculer devant la tâche dans notre lâche vertu. Apprenez donc comment croissent les lys ; envisagez franchement le fait élémentaire biologique et moral. Pur comme un lys n’est pas réellement un banal lieu commun de la morale des faux semblants ; car cela ne veut pas dire faible, exsangue, sans sexe comme des livres de moraliste et des sermons de vicaire. La pureté des lys vient de ce qu’ils ont quelque chose en eux qui peut être pur ; leur gloire est d’être la plus ouverte manifestation du sexe qu’il y ait dans le monde organique. La magnificence dont ils sont revêtus leur est donnée afin qu’ils se montrent, non pour qu’ils se cachent ; ceux-ci portent des robes d’argent étincelant à l’intention de la nuit odorante de passion ; ceux-là déroulent leur parure d’écarlate-orange tachée de brun au jour riche de soleil ; nue et sans honte, rayonnante d’ardeur, respirante, tiède, chaque fleur répand ses richesses de poussière d’or et s’étend pour accueillir celles des autres fleurs. Voilà, lorsque nous l’apprenons bien, comment ils croissent.
Quel est donc le fait élémentaire du sexe et de l’amour, sinon l’accouplement naturel, l’accouplement d’amour ? C’est ce qui ennoblit la bâtardise.
Car ce fut là le secret de la force et du courage de Guillaume le Conquérant, de l’héroïsme éclatant de Don Juan d’Autriche, et de plus d’un héros encore ; tandis que de « mariages de convenance » mal assortis est née la sinistre perversité de Philippe II, de Pedro le Cruel, de tsars fous, et d’innombrables roitelets idiots. C’est à force de cloîtrer avec une timide vertu, une sordide prudence, ses hommes et ses vierges, que l’ancienne noblesse de France est tombée en ruine, et qu’aujourd’hui la classe riche et dirigeante y pourrit. Ici, en Écosse, c’est par la liberté exceptionnelle du mariage et du choix amoureux, et par la fréquence de l’union libre, que s’explique en grande partie la vigueur organique, l’ingenium perfervidum de notre forte race. Il y a des enfants mal nés hors le mariage, mais il y en a davantage et trop qui sont légitimes.
Est-ce donc que nous voulons battre en brèche le mariage — « saper les fondements de la morale », comme disent les imbéciles chaque fois qu’on leur demande de regarder un fait en face ? Nous fortifions le mariage au contraire ; nous en éclaircissons la nature fondamentale et nécessaire, — nous en déterminons la condition qui est la sélection réciproque de types harmonieux au plus haut point de la vie organique et psychique. Nous jetons donc ainsi les fondements de la morale.
C’est pourquoi la légende et la poésie sont véritablement religieuses. La religion est l’idéalisation et la consécration de la vie ; et la vie et l’amour s’identifient ; ainsi Robert Burns, pêcheur humain, est aussi barde sacré. Les religions naturelles, comme toutes les autres, ne sont pas mortes, mais nous reviennent, et en formes toujours plus pures. Burns fut la plus complète incarnation de Dionysos.
Pourtant, puisque « toute idée claire est vraie », c’est-à-dire, a sa part de vérité, d’où vient l’infamie qui, dans la société, s’attache au bâtard ? C’est que trop souvent l’élément psychique a fait défaut dans l’union dont il est né qui n’était pas un mariage, mais une simple copulation comme celle des animaux inférieurs ; bien que cependant ceci vaille mieux que la génération pareille à celle des plantes inférieures qui est l’idéal des « mariages de convenance ». De plus, l’union physique et psychique ne peut être pleine et vraie que lorsqu’elle est permanente, c’est-à-dire, lorsqu’elle évolue durant toute la durée des vies qu’elle entrelace.
En dehors, par conséquent, de toute question des droits et des liens des enfants et de la société, l’idéal à la fois biologique et psychique est la monogamie permanente ; la « promiscuité primitive » dont on entendait tant parler jadis n’étant qu’un rêve hideux, une chimère perverse de cités dégénérées dans la domestication, et qui n’a jamais été l’histoire du passé.
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Mais les amants même reconnaissent dans les refroidissements de la passion, et les dramaturges et les moralistes le leur rappellent constamment, que l’idéal renferme plus d’un élément, et que, par conséquent, l’union complète est chose mathématiquement inaccessible à l’humanité, une aussi complète exaltation physique, psychique, sociale et éthique de la vie étant à peine concevable d’une manière définie. Que l’on accorde même la possibilité d’un cas occasionnel de perfection individuelle dans un sexe, il est très improbable que l’autre présente simultanément celui d’une perfection générale en harmonie idéale avec la première et pourtant différente d’elle, et il l’est encore plus, enfin, que ces deux perfections se rencontrent jamais. Ainsi apparaît du reste un des modes par lesquels s’affirme l’autre idéal du célibat, et nous comprenons davantage le moine et la nonne, le misogyne et la « femme nouvelle ».
L’idée du célibat demande à être analysée. D’où vient que l’homme puisse même la concevoir ? Ce « n’est pas naturel », comme l’on dit, étant donnée l’impulsion puissante de la Nature. Et pourtant l’idée est dans la Nature ; nous établissions un parallèle entre les abeilles travailleuses et les femmes qui travaillent. La répugnance de la vierge, qui, au conseil du mâle : « Si l’amour t’est offert ne le repousse pas », répond : « Ce ne sera que malgré moi si je connais jamais le mariage », tient à plusieurs choses, mais à deux principalement. Elle s’alarme de perdre sa jeune, son enfantine liberté et recule devant la vie maternelle, moins jeune et plus passive. Mais aussi elle pressent une maturité plus remplie, qui outrepasserait l’amour sexuel, elle reconnaît la possibilité d’un paradis, (que ce soit là instinct spirituel ou social, c’est affaire de religion, d’éducation ou de tempérament) « où l’on ne se marie ni ne se donne en mariage, mais où nous vivons comme les anges de Dieu au Ciel » ou bien — dans le langage d’aujourd’hui (qui est spirituel aussi, heureusement) — d’une « Société d’Amis » — les Quakers s’appellent ainsi.
N’est-ce pas assez significatif que ce soit cette société religieuse qui, à tout prendre, semble avoir le mieux réalisé son ciel sur la terre ? Car pour eux la vie séculière de bonnes œuvres et de relations sociables est très normalement accompagnée de vie spirituelle. Ce qui a pu permettre cette réalisation, ce semble être l’égalité et la camaraderie sexuelles que pratique cette société plus que toute autre religion et que toute autre église, et telle que dans chaque assemblée fraternelle, l’Esprit peut se manifester et réveiller la vision béatifique.
Heures rares
Où le maître des puissances angéliques
Éclaire le crépuscule au profond des âmes.
Mais la vie est dans le présent et le réel plutôt que dans l’idéal, et la question capitale, que la religion s’est toujours montrée impuissante à résoudre, et à laquelle la science a pour tâche de l’aider à répondre, est justement : « Que faire réellement et pratiquement dans le présent ? »
Que l’on revienne donc aux femmes qui travaillent, et dont la vocation est surtout soit matérielle, soit spirituelle. Ou bien, pour nous en tenir maintenant aux dernières, comment spiritualiser le présent ?
Les ordres séculiers, pour parler le langage catholique, apparaissent ici, soignant les malades, secourant les pauvres, instruisant les enfants. Il en est que satisfont ces bonnes œuvres : celles qui font profession de sœurs, ou celles encore qui commencent seulement de l’être : les garde-malades, les maîtresses d’école, les conseillères de paroisse ; et assurément beaucoup de vies heureuses et utiles peuvent être vécues ainsi.
Il y a ici, du reste, un retour à la base domestique des travaux féminins, quoique avec une tendance plus grande vers le spirituel. Mais comme l’amant appelle l’amante, de même la compagne appelle le compagnon, la sœur appelle le frère. C’est ici que s’arrêtèrent les anciens ordres religieux, quoique, notons-le bien, l’on ait fait dans la première période monastique de grands efforts pour établir des couvents des deux sexes.
Ceux-ci, malgré les difficultés de réalisation, exprimaient bien le véritable idéal de la coopération et non de la séparation des sexes ; et en dépit des faillites et des erreurs, cet idéal se réalisa fréquemment. Dans cette conception, se retrouve évidemment le côté élevé et pur, le côté idéal du monde des hétaïres grecques, de l’idéale abbaye de Thélème ; c’est ici aussi le coté légitime et raisonnable des revendications les plus outrées de certains romanciers.
L’élément d’union véritable des sexes, comme celui du danger et de la confusion qui peuvent en résulter, sont assurément trop évidents pour qu’on discute la question ; et le problème moral, comme celui de la vie pratique, est non pas de reculer devant les difficultés de la tâche, mais de les surmonter, d’y établir un équilibre plus profond, et d’y puiser enfin les matériaux pour de plus hautes entreprises.
Quelle est donc la condition vitale et normale de la camaraderie vraie, idéale entre frères et sœurs ? Comment atteindre cette perfection plus complète de la ruche humaine ? Quelle en à été jusqu’ici l’expression dans le monde ? L’une de ces expressions, rare, obscure, fantastique même, mais assurément, jusqu’à un certain point du moins, véritable, fut la Chevalerie, qui ne fut pas seulement un ordre temporel des choses, mais aussi en une large mesure la Religion provisoire du Féodalisme occidental, et qui s’attaqua plus courageusement que ne le firent les formes d’orientalisme passif, faussement appelées chevalerie, aux problèmes fondamentaux de la vie journalière.
Dans ses plus nobles exemples, elle réussit à unir l’activité à la pureté ; ne s’y dérobant pas en dressant des cloîtres (solution bien moins morale au fond, plus morale en apparence) comme dans la discipline monastique. L’élément vital de la chevalerie fut de permettre aux deux sexes, non seulement d’exprimer chacun ses qualités, ses supériorités, mais de se développer l’un l’autre. Le courage naturel de l’adolescent fut non seulement fortifié par le danger de ses entreprises, mais affiné par la discipline et la patience qu’il y apprenait. La femme y apprenait aussi plus que la patience et l’affection ; car elle pouvait être non pas son amante, mais sa dame seulement, et elle pouvait ainsi non seulement tracer sa vie, mais aussi l’affermir dans ses desseins.
Nous atteignons ici l’idéal de la femme travailleuse, — celle qui travaille non pas uniquement ni même en très grande partie pour les hommes comme leur servante et leur instrument dans l’accomplissement de leurs projets, mais avec les hommes, dont elle fait l’instrument et pourtant aussi la matière de ses propres projets.
De nouvelles alternatives apparaissent naturellement ici pour le bien ou le mal, des alternatives de sorcellerie noire ou blanche — Circé ou Jeanne d’Arc.
Ce ne sont pas là des idoles, ni des figures historiques ou légendaires uniques. Tous les hommes ne sont-ils pas porcs et héros ? Non pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre — la bête inférieure étant aujourd’hui généralement, mais jamais entièrement, prédominante. La sorcière Jeanne d’Arc gagna ses batailles avec les héros qu’elle avait créés et les reperdit avec les porcs ; la sorcière Circé pour sa part, fit des porcs de héros, et cependant ils furent délivrés.
C’est évidemment aux femmes à dire ce qui reste à dire. Mais si aucune ne s’avoue sorcière de l’un ou de l’autre type, il est évident qu’elles doivent chacune être un mélange des deux. Que devient alors le problème de l’éducation générale, populaire ? La solution consiste-t-elle à fermer les yeux à tout fait sexuel, à tout fait vital ? à enseigner la lecture, l’écriture et l’arithmétique, ou bien le latin et le calcul différentiel ? à obtenir des brevets, à passer des examens d’enseignement supérieur ? ou bien à ouvrir de jeunes âmes, à purifier et à fortifier leur vie éthique et idéale en puissance ?
Mais comment faire éclore de telles figures, par quel procédé traiter la boue morale de nos conditions de vie modernes et, comme le dit Ruskin, cristalliser le sable, la suie et la vase de nos villes d’usine en leurs éléments,— l’opale, le diamant et la neige ?
La chevalerie est-elle morte ? Le diable ne l’est pas. Circé fut-elle jamais plus en évidence ? Y eut-il jamais porcs plus satisfaits que nous autres marins et pèlerins ? Ce n’est pas notre faute, mais ce n’était pas non plus celle du troupeau de Circé ; elle ne lui exprima jamais nettement son idéal, comme Jeanne. L’utilitarianisme d’aujourd’hui se croit impartial, il n’exprime plus d’idéal ; c’est-à-dire qu’il accepte pleinement, bien que tacitement, les idéals négatifs.
Est-il possible ou non de restaurer les idéals moraux, — c’est-à-dire, de produire de nouveau des hommes et des femmes du type le plus élevé ? Et ceci à des fins pratiques dans notre monde moderne de tous les jours ? Réaliser l’Éducation plus haute,au lieu d’en parler, cela est évidemment possible. Le cynisme de ceux qui le nient n’est que de l’ignorance, qui ignore à la fois la nature, l’histoire civile et l’histoire naturelle de la chevalerie, et reste fermée à tout ce qui en fait l’essence vitale sous des apparences vieillottes, désormais mortes.
Tout âge de chevalerie succède à une période de décadence, de dégénérescence morale, et constitue la protestation de l’ordre nouveau, — est l’expression de la jeune vie neuve, forçant les citadelles même du mal, tuant ses plus puissants géants, égorgeant ses monstres infernaux.
Le tueur de géants, l’égorgeur de monstres, est parfois le fils d’un dieu — souvent le fils d’on ne sait qui ; cela, comme il a été dit, peut revenir au même. C’est Jack, Tom Thumb, Dummling, Gareth le marmiton, et ainsi de suite. L’héroïne, elle, est très probablement la fille de l’ogre lui-même, l’héritière du roi méchant et endormi ; Cendrillon ou la mendiante de Cophetua ; rarement de naissance bonne ou sans tache comme la paysanne de Domrémy.
Il faudrait naturellement voir ce que l’idée d’être bien né a de réel au point de vue biologique, l’examiner comme toutes les autres au point de vue de la réalité organique, se dire qu’un sang pur et un sang abâtardi se trompent tous deux aussi bien dans les palais que dans les masures. Qu’importe au fond ? Si bas qu’elle tombe, il y a toujours à espérer de la vie humaine. Les hommes ne sont-ils que porcs et chiens bâtards, et faut-il en croire les romanciers décadents, embourbés à mi-chemin entre l’ancien et le nouvel idéal ? Il n’importe, puisqu’il n’y a pas de brute qui manque entièrement de courage, encore moins d’affection naturelle ; la possibilité de la rédemption, — ce fut toujours la parole de la théologie lorsqu’elle parla le mieux,— ne s’éteint qu’avec la vie. L’étoffe de l’évolution morale est sans cesse avec nous ; cette génération n’ira pas forcément en enfer ; nos enfants du moins pourront briguer le ciel.
Empruntons encore un exemple élémentaire à la vie simple. Le langage mou de la convenance appelle « porc », « sale » et« inconvenant », par opposition sans doute aux lys pour broderies de fauteuil, l’animal qui, dans la langue plus forte de la chasse et de la ferme, du blason et de la science, est sanglier ou truie — mâle et femelle élémentaire, plus même que toute autre bête familière. L’un, rapide, aux défenses acérées, ne regarde pas au nombre de ceux qu’il combat, fait face à la mort parmi une forêt de lances ; l’autre, aux nombreuses mamelles comme la nature, féconde comme la Charité, abandonne sa vie à ses petits patiemment.
Pourtant ces créatures ne sont pas humaines, comme ceux des oiseaux et des bêtes qui sont nos amis. Leur courage n’est que du courage de brute, qui vaut cependant mieux que rien ; leur affection est une affection de brutes. L’un n’est que de la rage aveugle de Berserkirs, aimant le combat pour lui-même ; l’autre n’est que de l’instinct.
C’est lorsque le mâle reconnaît sa compagne et bientôt ses petits, lorsqu’il apprend a construire une demeure pour les siens, à les nourrir et à veiller sur eux, que son courage s’affine. Le sanglier sauvage n’est qu’un batailleur barbare ; de plus nobles lutteurs sont l’Aigle de Rome, le Coq gaulois.
En psychologie, où cette idée que l’on pourrait développer également en histoire naturelle et civile, se retrouve, l’école ancienne a parlé tout son soûl de Plaisir et de Douleur, et une nouvelle école évolutionniste abandonne ces vagues généralités, pour reprendre sur une nouvelle base, l’émotion élémentaire, qui est, dit-elle, la peur. Mais nous sommes portés plutôt à étudier cet autre problème de l’organique Évolution du Sexe. Maîtresse suprême de la vie individuelle à laquelle les écoles à la fois pré-évolutionniste et évolutionniste primitive se limitent trop exclusivement, est la vie sexuelle, dont le caractère primordial d’autre part est l’émotion sexuelle, altruiste, étoffe de l’Affection. Mais l’opposé de l’émotion égoïste de la Peur est le Courage. Nous voudrions donc substituer à la psychologie usée du plaisir et de la douleur, quelque chose de plus conforme au développement actuel de la science ; qui, par conséquent, ne se refuse ni à la psychologie observatrice de la peur et à la criminologie, ni à l’analyse observatrice des romanciers modernes et des aliénistes qui étudient la corruption morale ; mais qui allant plus loin énoncerait de plus hauts problèmes et un meilleur idéal, c’est-à-dire plus scientifique et plus pratique. Nous cherchons donc non seulement la Science mais l’Art, non seulement une « psychologie expérimentale » mais une Éducation évolutionniste, dans laquelle le désir élémentaire de la chair serait discipliné jusqu’à l’amour, et l’Amour parfait chasserait la Peur.
Que devant leurs yeux l’homme-enfant et la vierge-enfant, le garçon et la fille, l’homme et la femme gardent l’idéal des deux sexes, le courage et l’affection. Faites-les, laissez-les se donner à l’un et à l’autre ces idéals. Le courage animal du mâle uni à l’affection sera chevaleresque, magnanime envers les autres ; l’affection instinctive de la femme, accrue de courage, sera la pureté révérencieuse de soi-même.
La pratique et le détail s’apprennent à voir jouer des enfants. Parfois une femme les conçoit dans son « kindergarten » ; le maître d’école aux jeux athlétiques de son escouade de garçons ; mais l’élaboration, le développement, l’organisation de tout ceci appartiennent aux éducateurs, aux femmes fortifiées et dressées par le commerce des hommes qu’elles ont aussi dressés et fortifiés, et ce sera leur plus haute tâche. Quoique ce soit là le secret de la moralisation nouvelle des sexes et de leurs plus hautes possibilités individuelles, à la fois pour lies amants et pour les célibataires, il suffira pour le moment de parler des enfants. Le sabre du garçon, la poupée de la fille, sont les points de départ que la Nature donne à l’éducateur. Encouragez, développez franchement même le jeu de la guerre ; le fusil et le clairon ont leur temps,et valent mieux dans la nursery qu’autour du trône d’un Kaiser. L’exercice et la marche, la mimique du combat et les batailles à la boule de neige, donnent la discipline et la valeur, apprennent la géographie, étoffe de la science, et l’histoire, étoffe de la littérature. Cela veut dire qu’on fera non des grammairiens latins, copieurs de la pédanterie latine, et versificateurs de la décadence, mais des garçons romains, qui comprennent leur César, puisqu’ils ont eux-mêmes, anciens Bretons ou conquérants, défendu ou assiégé une place forte, et dont le jeu ensuite sera de construire un mur romain ou de creuser un fossé. La leçon se poursuivra ainsi à travers l’Histoire dramatisée partout où ce sera possible ; par les travaux d’ingénieur et la fortification ; par l’énergie pratique et l’habileté à la main d’œuvre pacifique, préparation plus vivante que nos écoles de Sloyd et polytechniques pour la vie industrielle. Donnez-leur aussi, avrec tout ceci, légendes, chants et ballades, la bannière de chacun et le drapeau national, symbole concret le plus simple qu’il y ait d’un idéal. Commencée assez tôt, la leçon offrira de faciles transitions pour passer des jeux guerriers aux jeux pacifiques.
Les filles cependant s’amusent d’abord et surtout, puisque il est convenu en physiologie que le rire est un aliment. Leur présence accentue la lutte, récompense le vainqueur, console le vaincu ; elles renouvellent assurément la légende ; assurément aussi elles enseignent l’équité et l’apprennent, comme elles apprennent le courage. Plus la civilisation s’enrichit et s’adoucit, plus il est besoin d’une forte éducation pour les filles comme pour les garçons. Ces questions élémentaires réglées, il est possible de développer l’éducation domestique et la culture, pour lesquelles en somme les filles ont un avantage héréditaire sur les garçons, ainsi que le « kindergarten », qui déjà est une conception féminine.
La place nous manque pour parler des degrés plus élevés de l’éducation mutuelle ; mais énonçons les éléments de tout ceci pour les amoureux d’ordre et de règles, et de codes d’éducation. Partant donc 1° des idéals moraux de courage et de bonté, nous voudrions 2° discipliner ceci dans un drame vivant, en donnant l’instruction intellectuelle correspondante au fur et à mesure ; 3° tout ceci se faisant autant qu’il est raisonnablement possible (c’est-à-dire beaucoup) pour et par les deux sexes ensemble. En un mot, prenez avec soin la contre-partie de vos codes actuels ; défiez ceux qui séparent les enfants et ne leur donnent que des tâches intellectuelles, étrangères à leurs intérêts et à leur vie véritables, qui sont le jeu ; qui affament leur activité pratique quand ils ne leur enseignent pas un savoir faire veule et mécanique ; qui enfin abandonnent la vie morale, dépourvue de direction, et l’éveil inévitable de l’intérêt sexuel à des hasards le plus souvent périlleux.
On ne parle aujourd’hui dans tous les pays que du nouveau mécanisme de l’Éducation ; mais presque personne ne s’intéresse aux côtés réels de la question, ni même se doute de leur existence. Il y a pourtant ici un champ d’expérience pour l’observation et l’imagination, pour la légende et l’histoire, non pas foncièrement il est vrai pour la législation, mais pour les essais pratiques de tous les jours auxquels nous pouvons tous apporter notre concours, pleins d’espoir du reste, « car lorsqu’un penseur sincère, résolu à regarder chaque chose à la lumière de sa pensée, embrasera la science du feu des plus saintes affections, alors de nouveau Dieu sera descendu parmi la Création ».
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