La Presse Anarchiste

Revue des Revues

Ques­tion­naire sur la Com­mune. — La Revue Blanche, 15 mars et ler avril. 

Nous allons savoir la véri­té sur la Com­mune ; il semble que son heure, comme à tous les grands évé­ne­ments, soit venue. On paraît enfin l’exa­mi­ner avec le dés­in­té­res­se­ment exi­gé par l’his­toire. Les vieilles haines d’an­tan ont, pour ain­si dire, dis­pa­ru ; les adver­saires ne sont plus impla­cables ; ceux même que la répres­sion vit les plus achar­nés gardent le silence. D’autre part, les par­ti­sans et les membres de la Com­mune recon­naissent assez volon­tiers les fautes qu’ils commirent. 

Le ques­tion­naire adres­sé par la Revue Blanche (V. nos du 15 mars et du ler avril) à la plu­part de ceux, Com­mu­nards ou Ver­saillais, qui sur­vivent, est donc fort inté­res­sant. Ces dépo­si­tions sont de valeur inégale. Le côté per­son­nel et anec­do­tique sédui­ra ceux qui, à tra­vers les évé­ne­ments, cherchent avant tout l’homme. Les théo­ri­ciens paraî­tront peut-être moins attachants. 

De l’en­semble de ces dépo­si­tions on peut conclure que la Com­mune fut un mou­ve­ment spon­ta­né, quelque peu incons­cient, dont les causes étaient pré­cises, mais le but extrê­me­ment vague. Il ne se trou­va pas d’hommes pour le diri­ger. Ceux que les élec­tions du 26 mars ame­nèrent au pou­voir étaient pour la plu­part de braves gens, ani­més d’ex­cel­lentes inten­tions, mais pris au dépour­vu par les évé­ne­ments. Leur défaut capi­tal fut de déli­bé­rer au lieu d’a­gir. Voi­ci un pas­sage de la dépo­si­tion de Léo Mel­liet, qui fut membre de la Commune : 

« Je consi­dère la révo­lu­tion du 18 mars 1871 comme une mani­fes­ta­tion toute spon­ta­née de l’ins­tinct popu­laire. C’est la pous­sée irré­flé­chie d’un peuple qui se sent tra­hi et mena­cé, mais dont la marche en avant, au lieu d’être basée sur l’a­na­lyse de ses souf­frances et la conscience de ses besoins, n’a d’autre guide que les abs­trac­tions de sou­ve­nirs his­to­riques et de vagues aspi­ra­tions idéales. C’est assez pour com­battre et mou­rir héroï­que­ment, ce n’est pas assez pour triom­pher et vivre. Toutes nos fautes se résument dans ces trois mots : « Ne pas savoir », avec leur corol­laire obli­gé : « Ne pas oser ».

« Une révo­lu­tion qui com­mence par par­le­men­ter pen­dant dix jours est condam­née à mort, et la Com­mune ne pou­vait être qu’une chambre d’en­re­gis­tre­ment de la défaite du peuple. » 

Le côté mili­taire était assu­ré­ment le plus impor­tant pour le suc­cès de l’in­sur­rec­tion. Ce fut peut-être le plus faible de tous. D’une action inco­hé­rente, il ne sor­tit que des mal­adresses et des échecs. Il semble qu’il fal­lait, ou bien faire la guerre comme d’ha­bi­tude — et alors prendre l’of­fen­sive et, dès le 18 mars, mar­cher sur Ver­sailles — ou bien, ce qui est plus dis­cu­table, si on ne se sen­tait pas de force à lut­ter avec l’ar­mée régu­lière, gar­der la défen­sive, faire la guerre de rues, avec les bar­ri­cades et les mines. Ain­si, Paris eût été inexpugnable. 

Mais la Com­mune ne comp­ta pas un homme de guerre, à peine quelques hommes d’ac­tion. De bons offi­ciers, comme Dom­brows­ky et Ros­sel, n’exer­cèrent pas de com­man­de­ment réel et se bor­nèrent à payer de leur per­sonne : « L’in­té­rêt de tant d’in­tré­pi­di­té com­mu­narde sem­ble­ra d’ordre déco­ra­tif. On man­qua de qua­li­tés plus pré­cieuses : le mépris des choses consa­crées et l’i­ni­tia­tive. » (Rép. de J.-B. Clé­ment, ancien membre de la Commune.) 

Une autre faute capi­tale, au point de vue révo­lu­tion­naire, fut de ne pas s’emparer des 3 mil­liards 523 mil­lions enfer­més à la Banque de France, et dont une par­tie fila sur Ver­sailles, sous la sur­veillance des agents même de la Com­mune. Elle four­nis­sait ain­si à ses enne­mis l’arme pour la vaincre. 

La divi­sion, par sur­croît, finit de rendre impuis­sants les membres de là Com­mune. Devant l’Eu­rope coa­li­sée, les Conven­tion­nels par­le­men­taient peu : ils s’en­voyaient à la guillo­tine. La Répu­blique dévo­ra ain­si ses meilleurs enfants, mais elle fut sau­vée. On dira que les temps, en 1871, n’é­taient pas aus­si tra­giques. En réa­li­té, c’est qu’il n’y avait pas, der­rière les hommes de la Com­mune, de volon­té popu­laire assez pré­cise : Où trou­ver l’éner­gie suf­fi­sante pour conqué­rir des droits qu’on ne soup­çon­nait pas ? L’in­dé­ci­sion et l’in­co­hé­rence furent telles, que vingt fois on eût trai­té avec Ver­sailles, et à n’im­porte quelles condi­tions, si Ver­sailles l’eût vou­lu. Mais Thiers, his­to­rien de Napo­léon, tenait à faire son petit siège de Paris. (Rép. de M. Georges Arnold.)

Cette conclu­sion de M. Pin­dy, lui aus­si, ancien membre de la Com­mune, paraî­tra sévère, mais juste : « Je pense que nous avons agi comme des enfants qui cherchent à imi­ter de grandes per­sonnes dont le nom ou la répu­ta­tion les a sub­ju­gués, et non pas comme des per­sonnes ayant la force (tout au moins une cer­taine force) auraient dû le faire en face de l’en­ne­mi séculaire. » 

Dans tous les cas, les erreurs et les fautes furent chè­re­ment payées. En France, où la bra­voure est sur­tout de la vani­té, il est cer­tains moments où l’on meurt sans peine. Cela dimi­nue le mérite de bien mou­rir. Pour­tant, devant la lâche­té habi­tuelle des gou­ver­nants, les membres de la Com­mune, com­bat­tant aux bar­ri­cades, et payant de leur per­sonne, sont un assez rare exemple. 

La répres­sion, les héca­tombes effroyables qui sui­virent, firent cou­rir en Europe un fris­son d’hor­reur. Le gou­ver­ne­ment bour­geois — répu­bli­cain d’é­ti­quette — avait tenu à se mon­trer plus féroce que les monar­chies. Il noya dans le sang l’in­sur­rec­tion popu­laire ; pareils mas­sacres ne s’é­taient vus depuis ceux des Jacques. La bour­geoi­sie, que Thiers repré­sen­tait si bien, répan­dit ain­si la ter­reur ; elle pré­vint pour long­temps toute ten­ta­tive insur­rec­tion­nelle, mais elle sema aus­si la haine ; elle apprit direc­te­ment au peuple ce qu’il igno­rait : où étaient ses enne­mis nés. 

Si des mou­ve­ments nou­veaux se pro­duisent — et ils sont nom­breux à y pen­ser — la colère du peuple aura un objet plus pré­cis. Main­te­nant, les erreurs de la Com­mune et l’ef­froyable expé­rience de 1871 ser­vi­ront-elles ? Tout est là, dirait Joseph Prudhomme. 

Les Bud­gets de Sten­dhal (Revue Blanche, 1er avril).

— Les « Bud­gets de Sten­dhal », publiés dans la même Revue Blanche du 1er avril, montrent la pau­vre­té où vécut un grand écri­vain, qui pas­sait cepen­dant pour homme du monde. Anti­ro­man­tique par nature, tout à fait homme du xviiie siècle (bien qu’il ait admi­ra­ble­ment com­pris le xixe), ses livres ne pou­vaient paraître à une époque moins favo­rable. Ils lui rap­por­tèrent des sommes déri­soires, quand il n’en fut pas de sa poche, pour par­ler vul­gai­re­ment : De l’A­mour, 0 fr. 00 ; les Pro­me­nades dans Rome, 1,500 fr. ; Le Rouge et le Noir, 1,500 fr. ; La Char­treuse de Parme, 2,500 fr. ; en tout, 5,700 fr. pour 22 années, soit 0 fr. 75 par jour. 

Il est vrai que Beyle ne savait pas sol­li­ci­ter les articles de jour­naux. Il consi­dé­rait même cela comme humi­liant (Cf., pré­face de l’Amour). Qu’on mette en regard des chiffres pré­cé­dents ceux qu’a rap­por­tés à M. Paul Bour­get le plat démar­quage de Sten­dhal : on trou­ve­ra d’ho­no­rables rentes. On ver­ra aus­si la dif­fé­rence de deux carac­tères. Hen­ri Beyle, ni de l’A­ca­dé­mie, ni déco­ré (quoique ancien offi­cier), vivant avec 5 francs par jour, res­sort assez grand de la comparaison. 

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