Wassili Wereschagin, par A. G. (Emporium, mars).
C’est une vivante biographie critique du puissant artiste russe : son œuvre y est représentée par dix-huit très belles reproductions de ses principaux tableaux, et par une minutieuse explication de ses méthodes de travail : sa nature de soldat et de voyageur, de philosophe et de poète, de rebelle et de philanthrope, apparaît sous un jour tout à fait séduisant. Il avait résolu le problème capital de l’artiste supérieur : se distinguer par une personnalité absolue, aristocratique dans la meilleure acception du mot, et en même temps demeurer en contact immédiat avec le goût et le sentiment collectif, être toujours compris et aimé par le grand public,vivre avec la foule et traduire son âme colossale par les lignes et les couleurs. Ses toiles de guerre, ébauchées parfois sous le feu de l’ennemi, souvent sur le champ de bataille encore fumant de poudre et de sang, toujours sur les lieux précis de l’action, traduisent aux yeux du corps et de l’esprit toutes les horreurs de la guerre, évoquent toutes les brutalités du carnage, sans jamais cesser d’être sainement objectives et parfaitement équilibrées. Ensuite, le charme de l’Orient biblique le séduit, et ses tableaux inspirés par les légendes, l’histoire, la pensée, le paysage des peuples sémitiques se composent des documents que leur fournit l’archéologie la plus scientifique, la critique la plus vigoureuse, la nature surprise consciencieusement par des croquis recueillis sur place, fécondés par la chaude intuition de l’artiste. Sa fortune qui lui donnait l’indépendance, lui facilita sa tâche d’artiste.
Lecomte de Lisle, par
C’est le plus grand poète lyrique français depuis Victor Hugo, et tout près de lui ; les meilleurs poètes contemporains, Hérédia, Coppée, Sully-Prudhomme, sont tous, qui plus, qui moins, ses disciples. L’auteur des Poèmes antiques, des Poèmes tragiques, et de tant d’autres, est le frère spirituel de Svinburne et de Carducci : sa poésie est comme la leur, profondément païenne et classique, et par là antichrétienne, ou mieux antireligieuse, antidogmatique, anti-métaphysique. Mais en lui, plus qu’en ses frères anglais et italiens, elle est empreinte de scepticisme et de pessimisme, qui arrive parfois jusqu’à l’imprécation désespérée ; bien que tout cela soit, après tout racheté par l’amour consolant de la Beauté immortelle, de l’Art, de l’Humanité, et par la foi dans le triomphe de la justice sociale et dans les prodiges que la raison et la science réservent à l’avenir.
À travers les albums et les affiches, par
C’est la suite d’une brillante série d’études sur l’art de l’affiche ; après nous avoir parlé des pays où il a le plus progressé, France, Belgique, Angleterre, États-Unis, M. Pica nous expose ici l’état de cet art singulier et voyant, séduisant et parfois même génial, dans les pays où il en est encore à ses premiers pas ; et il nous offre plus de 60 échantillons de toute nature, où toutes les tendances de l’esprit, toutes les directions de l’art, toutes les ressources de l’industrie s’entrelacent et se confondent, en transformant les murs de nos villes en une sorte d’étrange galerie de peinture, pleine de gaies surprises pour l’œil, de bruyantes orgies de couleur et de lignes, ou la grâce élégante, l’austérité archaïque, l’humour satirique, l’hallucination délirante, la pureté classique se juxtaposent et se suivent fraternellement, en reflétant les caractères ethniques des nations et les personnalités individuelles des artistes, non moins éloquemment que ne le font les produits de l’art académique.
À quoi servent les urnes, par T. K. (Critica sociale, avril.)
Cet article est un commentaire du résultat des dernières élections générales politiques en Italie : À savoir les partis bourgeois déconcertés par le nombre, rien moins que doublé en vingt-deux mois, des socialistes, par la bruyante victoires des radicaux et des républicains en beaucoup de collèges jusqu’ici profondément dévoués aux institutions, par la défaite absolue du crispinisme, qui entraîne la condamnation définitive de toute politique militariste, expansiviste, coloniale et mégalomane. Mais une cause de stupeur plus grande encore a été la révolte morale du vieux Piémont, le pays des Bougia-nen (Bouge-pas), la patrie de notre constitution bourgeoise, le berceau de la dynastie, qui s’est lancé d’un seul bond à la tête du mouvement socialiste, vers les profondes transformations de l’avenir.
Un employé ; Une commune de l’Italie méridionale. (Critica sociale, avril).
L’article est un vrai modèle de monographie sociologique : la petite ville de Malfetta y est analysée au point de vue socialiste, des classes professionnelles, et tous les phénomènes politiques, économiques, religieux, administratifs y sont interprétés à la lumière de la doctrine matérialiste de l’histoire. C’est la lumière Roentgen de la psychologie sociale, pénétrant dans le squelette et dans les viscères des partis, et nous donnant les visions intimes de leurs transformations. Document de premier ordre pour une future sociologie vraiment expérimentale, ou l’induction et la synthèse suivront la recherche partielle et fragmentaire, au lieu de ces théories générales et aprioristiques, sur lesquelles se règle aujourd’hui la politique de presque tous les grands partis et gouvernements.
Le palais des Borgia, par
Il s’agit des salles du Vatican décorées par le Pinturocchio, sous le pape Alexandre Borgia, et que Léon XIII a rouvertes au public, après les avoir fait restaurer par des artistes consciencieux et respectueux du passé ; c’est un trésor de beauté qui revient à la lumière du jour et de la gloire, une magnificence de couleurs et de dorures, une flore fantastique de lignes et de formes, où tout le monde des plantes et des animaux, des réalités et des symboles, de la mythologie et de l’histoire, de la religion et de l’héraldique a été mis à contribution par la mémoire et l’imagination du grand peintre classique. Et M. Venturi nous décrit tout cela, avec sa plume féconde et évocatrice de savant et d’artiste ; il donne une exacte idée de toutes ces magnificences à tous ceux qui sont privés delà joie de les voir avec leurs propres yeux éblouis.
La Fédération européenne, par
La fédération européenne c’est l’oméga futur, dont nous lisons maintenant l’alpha dans l’actuel improvisé et provisoire « concert européen » ; l’auteur nous trace son histoire depuis le traité de Londres de 1826 ; et il nous démontre que la tradition en est déjà longue, et que ce « concert » tend à devenir toujours plus stable et définitif. L’idée d’une fédération européenne est désormais pénétrée dans l’esprit de tous les peuples et représente un suprême idéal international, auquel les intérêts particuliers, de portée purement nationale, doivent pour le moment se soumettre, jusqu’à ce qu’on trouve l’occasion de les accorder et de les fondre avec lui.
Damanico Morelli, par
Dans cette biographie illustrée sont reproduits : la « Stella mattutina », 1′« Arabe qui chante », le « Salve Regina », les « Iconoclastes », et la délicieuse, l’idéale, la vraiment divine « Madone à l’échelle d’or », qui descend lente, humble et superbe, les larges marches luisantes parsemées de fleurs, en tenant haut sur sa pure tête de vierge l’enfant divin aux petits bras roses grands ouverts pour bénir et pour embrasser l’humanité entière.
L’enseignement religieux à l’école primaire, par
Nos lois scolaires rangent l’instruction religieuses parmi les matières d’enseignement officiel ; mais, depuis beaucoup d’années, cet enseignement avait été aboli de fait. Le mouvement réactionnaire, qui depuis quelque temps s’accentue, chez nous comme en France, dans le monde des consciences, vient de remettre sur le tapis cette question qui semblait ensevelie à toujours sous les nouvelles stratifications que la science et la philosophie contemporaines ont déposées sur la pensée humaine. On invoque, en Italie, le premier article du Statut, qui fait de la religion catholique la « seule religion de l’État ». Cet article est aboli, lui aussi, de fait, en toutes ses conséquences pratiques : le scepticisme naturel, l’indifférence religieuse, le paganisme inné de notre race en a fait un anachronisme innocent et l’auteur ne lui donne aucune importance juridique.
D’autre part, il conteste carrément à l’État le droit de pétrir à son gré les consciences des générations futures ; c’est une violence brutale que d’emplir ainsi de nos convictions nécessairement un peu arriérées les âmes non encore libres des enfants ; et c’est une tyrannie intolérable que celle d’imposer au maître d’école le devoir de prêcher une foi qui souvent lui fait défaut à lui-même. Il faut se décider : ou la religion, ou la science, ou l’état théocratique, comme en Égypte et dans l’Inde sacrée, ou l’école laïque. La philosophie a choisi depuis presqu’un demi-siècle : et nous sommes avec elle.
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