La Presse Anarchiste

Appel aux femmes

À toutes les épo­ques, dans tous les pays, partout où nos regards s’ar­rê­tent, l’in­flu­ence de là femme et l’é­d­u­ca­tion des enfants avec ses con­séquences bien des fois funestes sur le développe­ment humain, s’im­pose à nos yeux. Que de tristes pages l’his­toire nous apprend-elle par là ! Com­bi­en d’élans pop­u­laires, de révoltes acharnées con­tre toute espèce de tyran­nie ont subi les con­tre-choc de la réac­tion, for­ti­fiés par leurs vic­times, la femme et l’enfant.

Aus­si les gou­verne­ments de toutes nuances en bonne con­science des faits, déploient-ils un zèle par­ti­c­uli­er. Quant à l’é­d­u­ca­tion, ils dis­tribuent, fal­si­fient, tour­nent et retour­nent les con­séquences humaines suiv­ant leurs avis et leurs intérêts ; ils imprèg­nent les cerveaux des enfants de tels préjugés et sot­tis­es, qu’ar­rivés à un cer­tain âge toute lutte con­tre reste absol­u­ment nulle. Et plus un pays est soi-dis­ant libre, plus ces exis­tences d’abrutisse­ment, devi­en­nent nuis­i­bles, et plus nom­breuses sont les vic­times de ces tartufes mod­ernes. L’é­d­u­ca­tion devient alors un vil méti­er, à la mer­ci du pre­mier venu étant assez aisé pour pay­er des pots-de-vin, et installer les usten­siles néces­saires. La con­cur­rence que ces exploiteurs se font, entre eux, les trucs qu’ils emploient pour assur­er une nom­breuse clien­tèle, ne font, qu’av­ilir com­plète­ment autant que pos­si­ble l’e­sprit mobile des enfants. Un mal plus désas­treux encore, si on con­sid­ère que les impres­sions de cet âge pour­suiv­ent générale­ment l’homme jusqu’au tombeau. Com­ment se peut-il donc que, jusqu’à aujour­d’hui nous ayons nég­ligé le moment le plus impor­tant de la vie ? n’est-ce pas ridicule et triste en même temps de nous met­tre à semer au moment où nos enne­mis récoltent déjà ? 

On dira peut-être qu’il faut d’abord émanciper les par­ents et que c’est à eux d’élever les enfants dans nos principes. Certes, mais la lutte pour l’ex­is­tence est générale­ment si dure, que la plu­part des citoyens, surtout les femmes, ont à peine le loisir de suiv­re le pro­grès des idées eux-mêmes ; bien moins encore, de l’im­prégn­er à leurs enfants. 

Élevés dans tous les préjugés de leur époque depuis leur jeunesse, l’ex­is­tence sur­chargée de soucis matériels, com­ment doivent-ils s’ap­pro­prier les con­nais­sances les plus vul­gaires de la péd­a­gogie ? Com­ment retrou­ver dans, ces amas d’hypocrisie et de men­songes les faibles rayons de la vérité ? Et même, avec le plus grand savoir et la meilleure volon­té, la tâche dépassera bien des fois leurs forces. Plus l’en­fant est intel­li­gent, plus son imag­i­na­tion est vive, qu’il faut con­stater que plus il est sujet aux impres­sions du dehors, il faut le guider, et c’est là où la vipère bour­geoise com­mence son œuvre de cor­rup­tion. Qui n’avait déjà l’oc­ca­sion d’ob­serv­er les effets déplorables de fables et d’his­toires d’en­fant, aus­si bien que la morale jésuite des livres d’é­cole. Quel amas de faux et ridicule empoi­sonne cette âme flex­i­ble qui reste estropiée pour tou­jours, inca­pable désor­mais d’un juge­ment ou d’une réflex­ion naturelle. Y a‑t-il un champ plus vaste, plus néces­si­teux, pour une pro­pa­gande dont l’im­por­tance n’est pas même à prévoir ! 

Dans une société sans loi, sans autorité, où l’har­monie ne base que sur la sol­i­dar­ité des indi­vidus, l’é­d­u­ca­tion devient néces­saire­ment le prin­ci­pal facteur. 

Il faut pour cela des élé­ments qui, appuyés sur les sci­ences et les pro­pres expéri­ences, sachent être à la hau­teur de leurs immenses devoirs.

Or, sup­posons que le jour de la lib­erté éclaté ; nous avons dis­cuté le genre de lutte, la con­som­ma­tion, pro­duc­tion bref sont excep­tés la cul­ture de l’enfance. 

El pour­tant les fautes com­mis­es dans les pre­miers cas quoique très impor­tantes, peu­vent se répar­er à force de sol­i­dar­ité et de l’in­tel­li­gence des indi­vidus. Mais qui deman­dons-nous, qui répon­dra des con­séquences funestes des faux principes de l’é­d­u­ca­tion ? Voilà un des points les plus impor­tants, et qui doivent nous préoc­cu­per au moins autant que les autres par­ties de la ques­tion sociale, puisque c’est de là que dépend le salut de la généra­tion future et de la révolution.

Mais en vain cher­chons nous pour aller dans la lit­téra­ture péd­a­gogique, après des principes qui pour­raient nous servir comme sou­tien, pour une édu­ca­tion lib­er­taire ? Nous en avons emporté la triste con­vic­tion que tout ce qui était écrit dans ce genre n’est fait que pour arti­fici­er et éloign­er l’homme de la nature, puisqu’au lieu de détru­ire les préjugés, ce n’est qu’après eux que les péd­a­gogues ont tâché de mod­el­er l’homme, et encore, ne s’ag­it-il dans leurs ouvrages que de la classe dom­i­nante ; pas une ligne qui con­cerne l’en­fant du peu­ple. Il faut donc détru­ire, ren­vers­er tous ces sys­tèmes ver­moulus, pour faire place aux principes nou­veaux, si une généra­tion digne de son époque et de la lib­erté, doit couron­ner nos efforts. 

Et à qui pareille tâche con­vient-elle mieux qu’à la femme ? Or, mal­gré la pro­pa­gande très nég­ligée dans les rangs féminins, il y a bon nom­bre de citoyennes d’une volon­té ferme et d’un esprit clair­voy­ant dont les efforts sont ou mal employés, ou com­plète­ment paralysés. C’est à celles-là que le devoir s’im­pose de don­ner l’ini­tia­tive d’une libre entente, cher­chant les caus­es émanant des résul­tats utiles dans la péd­a­gogie, tout en faisant bonne pro­pa­gande dans leurs rangs.

Certes, nous sommes loin de vouloir pre­scrire la façon de nos idées, ce qui serait même ridicule, puisque les con­di­tions locales de chaque dis­trict récla­ment une autre façon d’a­gir quoique les traits prin­ci­paux et le but peu­vent rester les mêmes, et si mal­gré cela nous osons for­mer un essaim, ce n’est que dans l’in­ten­tion d’animer les com­pagnonnes à per­fec­tion­ner et réalis­er ces idées. 

Il y a quelque temps, on a dis­cuté de fonder une école anar­chiste ; une idée aus­si ingénieuse qu’im­prat­i­ca­ble, puisque l’é­cole enseign­era nos pro­pres principes, elle ne vivra pas deux jours, on la dis­simulera et alors elle ne fera que trou­bler l’in­tel­li­gence des enfants. Ensuite il fau­dra des maîtres, des livres, tout un sys­tème nou­veau con­cer­nant nos principes etc. et encore ce ne sera qu’une min­ime par­tie qui en prof­it­era. C’est le com­mence­ment a ren­vers­er, pré­parons d’abord le ter­rain, épurons la lit­téra­ture péd­a­gogique, cul­tivons les esprits, et après on verra. 

Partout où il y a une ou plusieurs citoyennes, on pour­rait par des groupe­ments libres, des réu­nions famil­ières, des cer­cles d’e­scrime, par le chant et les jeux dévelop­per l’e­sprit et la sol­i­dar­ité des enfants aus­si bien que leurs mères. Là ou le fonds d’ar­gent le per­met, col­lec­tion­ner le peu que la péd­a­gogie offre d’u­tile à l’é­tude et pour l’en­fant. Les dis­cus­sions trai­tant le côté pra­tique et la théorie ; une cor­re­spon­dance con­tin­uelle avec d’autres pays et com­munes, amèn­erait néces­saire­ment les meilleurs résul­tats. Il fau­dra alors avec des forces unies com­mencer une œuvre salu­taire, étudi­er les car­ac­tères, chercher après des principes des­tinés à per­fec­tion­ner les généra­tions futures. Il fau­dra surtout éloign­er tout poi­son lit­téraire de l’en­fance, et créer autant que pos­si­ble, ou par un jour­nal, ou par des brochures tem­po­raires, une lit­téra­ture péd­a­gogique suiv­ant nos principes. 

Il n’est pas dit que nous aurons trou­vé le mot d’énigme, ce qui est même peu prob­a­ble, tant qu’ex­is­tera la société actuelle ; mais au moins aurons-nous pré­paré la route, écarté les obsta­cles les plus grossiers. 

[|* * * *|]

Mais ce n’est pas là où il faut s’ar­rêter dans l’ac­com­plisse­ment de notre devoir ! 

Plus nos idées se propa­gent, plus on voit fleurir toute la bes­tial­ité hyp­ocrite du capitalisme.

Il ne suf­fit plus de ravir le com­pagnon, le père, aux siens, c’est à la femme même qu’ils s’en pren­nent qu’elle soit mère ou non. On dirait que ces mil­lions de pau­vres êtres que la mis­ère rend orphe­lins, que ces innom­brables vic­times de leur hypocrisie et de l’ig­no­rance des par­ents, ne suff­isent pas encore à leur appétit de bêtes féro­ces, puisqu’ils s’emparent encore lâche­ment de la progéni­ture de nos meilleurs com­pagnons, pour les civilis­er à la façon de l’ab­bé Rous­sel et et Porquerolles. 

Pour eux une façon comme bien d’autres ne se venger, c’est la plus lâche, mais hélas la plus douloureuse pour nous ; et bien plus impor­tante que nous ne croyons, car mal­gré nos efforts de nous émanciper, de bris­er avec tous les préjugés de notre passé et de notre époque, il en reste tou­jours quelque chose ignoré de nous-mêmes. Ce ne sont que nos enfants nés et élevés dans des con­di­tions plus heureuses, qui seront capa­bles d’ob­serv­er et de juger claire­ment les choses et les idées, et après, dans des luttes acharnées de l’af­fran­chisse­ment, com­bi­en de nous sur­vivront-ils ? Hélas ! la plu­part et les plus braves auront nour­ri avec leur sang l’au­rore de la lib­erté ! Et qui alors, si ce ne sont pas nos enfants, sera des­tiné pen­dant les dernières con­vul­sions d’un mon­stre crevant, vom­is­sant son écume la plus dan­gereuse, à tenir ferme le dra­peau des justes reven­di­ca­tions de l’humanité ? 

Et nous ne feri­ons rien pour les arracher des griffes de nos enne­mis ? Nous regarde­ri­ons les bras croisés nous enlever les forces les plus vir­iles de la révolution ? 

Voilà citoyennes une occa­sion écla­tante de prou­ver notre sol­i­dar­ité, voilà un champ vaste s’ac­com­modant avec nos qual­ités et notre sexe, cher­chons après des solu­tions salu­taires pour l’avenir de nos enfants, met­tons-nous à l’œu­vre, et certes ce ne sera pas le ser­vice le moins impor­tant pour le salut de notre cause ! 


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