La Presse Anarchiste

Entre paysans

Ils ne vous diront jamais la véri­té, car per­sonne n’aime à par­ler contre soi-même. Et si vous dési­rez savoir ce que veulent les socia­listes, deman­dez-le à moi ou à mes com­pa­gnons et non pas à votre curé ou à M Antoine. Cepen­dant quand le curé vous par­le­ra de ces choses, deman­dez lui donc un peu pour­quoi vous, qui tra­vaillez, vous ne man­gez que de la soupe, tan­dis que lui, qui reste toute la jour­née sans rien faire, mange de bons pou­lets rôtis avec ses neveux ; deman­dez lui donc encore pour­quoi il est tou­jours avec les riches et ne vient chez vous que pour prendre quelque chose, pour­quoi il donne tou­jours rai­son aux mes­sieurs et aux gen­darmes, et pour­quoi, au lieu d’en­le­ver aux pauvres gens leur pain de la bouche sous pré­texte de prier pour les âmes des morts, il ne se met pas à tra­vailler afin d’ai­der un peu les vivants et n’être plus à charge aux autres. Quant à M. Antoine, qui est jeune, robuste, ins­truit et qui passe son temps a jouer au café ou à bavar­der sur la poli­tique, dites-lui qu’a­vant de par­ler de nous, il cesse donc de mener une vie de fai­néant et qu’il apprenne ce que sont le tra­vail et la misère. 

Jacques. — Là-des­sus tu as plei­ne­ment rai­son ; mais reve­nons à la ques­tion. Est-il vrai, oui ou non, que vous vou­lez voler les biens de ceux qui possèdent ? 

Pierre. — Ce n’est pas vrai, nous ne vou­lons rien voler, du tout, nous ; mais nous dési­rons que le peuple prenne la pro­prié­té des riches pour la mettre en com­mun au pro­fit de tous. 

En fai­sant cela, le peuple ne vole­ra pas la for­tune des autres, mais ren­tre­ra sim­ple­ment dans la sienne. 

Jacques. — Com­ment donc ! Est-ce que par hasard la pro­prié­té des mes­sieurs est la nôtre ? 

Pierre. — Cer­tai­ne­ment ; c’est notre pro­prié­té, c’est la pro­prié­té de tous. Qui donc l’a don­née aux mes­sieurs ? Com­ment l’ont-ils gagnée ? Quel droit avaient-ils de s’en empa­rer, et quel droit ont ils de la conserver ? 

Jacques. — Mais ce sont leurs ancêtres qui la leur ont laissée. 

Pierre. — Et qui l’a­vait don­née à leurs ancêtres ? Com­ment ? voi­là des hommes plus forts ou plus heu­reux qui se sont empa­rés de tout ce qui existe, qui ont contraint les autres à tra­vailler pour eux ; non contents de vivre eux-mêmes dans l’oi­si­ve­té, en oppri­mant et en affa­mant la plus grande par­tie de leurs contem­po­rains, ils ont lais­sé à leurs fils et petits-fils la for­tune qu’ils avaient usur­pée, condam­nant ain­si toute l’hu­ma­ni­té future à être l’es­clave de leurs des­cen­dants, qui, du reste, éner­vés par l’oi­si­ve­té et par la longue pra­tique du pou­voir, seraient inca­pables aujourd’­hui de faire ce qu’ont fait leurs pères… Et cela vous parait juste ? 

Jacques. — S’ils se sont, empa­rés de la for­tune par la force, alors non. Mais les mes­sieurs disent que leurs richesses sont le fruit du tra­vail et il ne me parait pas juste d’en­le­ver à quel­qu’un ce qu’il a acquis au prix de ses fatigues. 

Pierre. — Tou­jours la même his­toire ! Ceux qui ne tra­vaillent pas et qui n’ont jamais tra­vaillé parlent tou­jours au nom du travail. 

Mais, dites-moi, com­ment se sont pro­duits et qui a pro­duit la terre, les métaux, le char­bon, les pierres et le reste ? Cer­tai­ne­ment, ces choses, soit que Dieu les ait faites, soit plu­tôt qu’elles soient l’œuvre spon­ta­née de la nature, nous les trou­vons tous en venant au monde ; donc elles devraient ser­vir à tous. 

(A suivre)

La Presse Anarchiste