À l’heure où paraîtront ces lignes, le Congrès de Saint-Étienne se terminera.
Les syndiqués par la voix de leurs délégués se seront prononcés.
Le syndicalisme aura, pour un temps, une ligne de conduite tracée, une voie à suivre.
Qu’auront fait les syndicalistes, les Anarchistes ?
Quelle aura été leur influence ?
Nous ne devrions guère avoir besoin de nous poser ces questions, leur attitude et leur position de toujours nous indiquant suffisamment les réponses attendues. Malgré cela ils sont encore nombreux ceux qui n’ont pas apporté la part d’effort que l’on pouvait espérer d’eux et c’est ce qui nous oblige à quelques réflexions.
L’activité déployée depuis quelques mois par les éléments politiques, à l’intérieur comme à l’extérieur de la C.G.T.U., nous démontre plus que toute autre constatation, le vif intérêt qu’ils attachaient à la mise en route — dans un sens favorable à leur doctrine — de ce nouvel organisme, et leur désir de voir prédominer leur point de vue n’avait d’égal que leur adresse, leur habileté à cacher un jeu bien dangereux pour le prolétariat, encore incapable de discerner les mobiles exacts d’un tel déploiement de qualités (
Ce n’est que la répétition des luttes passées et, tout comme les Guesdistes d’alors, ils sont dans leur rôle, lorsqu’ils essaient par tous les moyens de s’emparer du mouvement économique pour des fins politiques, puisque le but — négatif pour la classe ouvrière — qu’ils poursuivent entraîne l’absorption de toutes les forces positives, dont l’indépendance assurerait un résultat opposé à celui qu’ils cherchent.
Mais ne sont pas dans leur rôle, ceux qui, de notre côté ou parmi les syndicalistes dits purs, se laissent dépasser ou entraîner par des adversaires dont la tolérance et l’équité ne seront pas les qualités dominantes, l’heure venue.
Nous saurons bientôt si les hommes qui se disent fermement attachés au syndicalisme ont su réagir à temps et s’ils ont réussi à préserver efficacement le mouvement ouvrier contre tout retour offensif du Monstre Politique.
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Nous examinerons ce que tout le monde connait sous cette expression « les manœuvres de dernière heure » si chères aux politiciens de tous crins pendant les périodes électorales.
Et tout de suite il sera aisé à quiconque voudra s’en donner la peine, de se rendre compte des dessous ténébreux d’une attitude et des combinaisons savamment ourdies.
Si seulement, les militants obscurs, aveuglés par une lumière adroitement filtrée, voulaient une bonne fois, jeter un regard attentif sur ce qui se passe, je suis persuadé qu’ils ne resteraient pas plus longtemps des adhérents « par erreur » et qu’ils apporteraient au syndicalisme une activité actuellement contrariée du fait qu’ils se combattent eux-mêmes sans s’en apercevoir quand ils luttent à la fois sur le terrain économique et sur le terrain politique.
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L’article premier des statuts soumis à l’examen des syndiqués par la C.A. de la G.T.U. a tout d’abord soulevé une tempête d’imprécations dans le clan néo-communiste, puis l’on a cherché toutes les bonnes (
Tout a été mis en mouvement, les arguments les plus spécieux ont plu dru comme grêle, pour déterminer nos « révisionnistes » à se couvrir, pour n’être pas, à leur tour, traités d’anarcho-syndicalistes, ce qui apparaît comme l’injure suprême, l’anarchie étant l’épouvantail — justifié il est vrai — de tous les moineaux de la politique.
Le truc ne suffisant pas, la menace est venue, suspendue sur leur tête et ils se sont pliés, ne voulant pas être la cause d’une nouvelle division.
Les pôvres !
Ils n’ignoraient pourtant pas que la division est une chose connue de ceux-là, qui la présentant comme un spectre, sont parmi les plus forts arithméticiens, puisqu’ils additionnent les erreurs, soustraient les éléments syndicalistes et anarchistes, multiplient les régnassions et divisent jusqu’à l’infini leur propre parti.
Puis le mensonge a servi une fois de plus leur cause.
Ne sont-ils pas allés jusqu’à déclarer que les négateurs de l’État ne visaient pas celui qui compose le plus sûr soutien du Capitalisme, mais exclusivement celui qui, en Russie, diminue chaque jour les conquêtes révolutionnaires ? Le bourrage de crâne, comme on le voit, n’est pas monopolisé par la grande presse, il est la propriété commune de tous les partis politiques.
L’État ne doit pas disparaître, même dans des statuts, et pour cause. En effet, ne serait-il pas extrêmement comique de voir les mêmes individus appartenir à un parti qui vise à l’instauration d’un État dont il serait le maître incontesté et à une organisation syndicale qui nierait ce dont un parti a tant besoin pour vivre ?
Ils ne sont pas pour cela dénués de sens pratique, car connaissant aussi bien que nous les véritables buts du syndicalisme, ils n’ont pas l’air de s’en préoccuper pour eux-mêmes, ils ajoutent, simplement, sans sourciller, avec candeur, que l’inscription de cette formule : « la disparition de l’État » écarterait du groupement naturel des travailleurs une bonne partie de ceux-ci.
Si vraiment c’est là leur seul souci, ils peuvent dormir bien tranquilles. Le prolétariat a fait assez d’expériences douloureuses pour savoir à quoi s’en tenir au sujet de l’État et surtout pour ne pas en désirer une copie, plus ou moins habile, après avoir accordé à la transformation sociale sa chair, son sang, sa vie.
En tout cas, c’est suffisant, pour nous inciter à continuer et à développer notre propagande contre ce fléau, prétendu aujourd’hui « nécessaire » : l’État.
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Évidemment, la formule leur est apparue brutale. Ils s’en sont indignés, mais leur colère n’allait pas seulement à une formule. C’est ce qu’ils nous démontrent en s’attaquant ensuite au projet de statuts tout entier.
La décentralisation, que tentaient de réaliser nos camarades de la C.G.T.U. en l’incorporant dans la structure, dans la charpente de notre organisation, est bien plus dangereuse pour eux que toutes les formules, puisque l’on plantait ainsi les jalons d’un système opposé au leur.
Non mais, voyez-vous tous les membres de ce grand corps, que représente le syndicalisme, capables d’agir, de se diriger, de prendre des initiatives hardies, d’endosser des responsabilités ? Ce serait la fin du règne des ambitieux, des arrivistes.
Tous ces bons à rien seraient mis dans l’impossibilité de trouver l’escabeau qui leur permettra demain de s’élever au-dessus des autres hommes pour les mieux commander.
Plus de comité directeur, plus de pouvoir absolu, plus de centre dictatorial. En un mot, c’est leur négation à tous ceux-là qui gravitent sur le dos du prolétariat et s’en nourrissent comme les plus infects parasites sur le corps des humains ignorants de leur hygiène.
Le Fédéralisme entraîne avec lui — bien mieux que n’importe quelle expression — la disparition de l’État, aussi était-il naturel que parmi les syndicalistes « tièdes » il s’en trouve pour défendre un centralisme quelque peu mitigé pour ne pas trop effrayer la sincérité de certains camarades.
Leur besogne a été d’autant plus simplifiée qu’ils ont trouvé des concours ardents et non moins intéressés chez les politiciens néo-communistes. Ceux-ci ont mis à leur entière disposition l’organe officiel du Parti et nous avons assisté à une débauche de « papiers » de plus en plus compromettants pour le syndicalisme.
Les honneurs de la première page, ordinairement réservés aux futurs dictateurs, leur ont été accordés. L’un d’eux, décédé depuis qu’il annonça une naissance, Monatte, est devenu le chef de la rubrique syndicale a 1’« Humanité », et il nous le fait bien voir.
Est-ce que les sourires aguichants, les œillades incendiaires, les propositions enflammées des « excités » de la IIIe, vont continuer à influencer le moral de nos révisionnistes ?
Je le crois !
Lorsqu’on se laisse aller à descendre une pente, cela parait doux et agréable, les efforts à produire étant moins fatigants à accomplir que quand il s’agit de gravir une montée abrupte. Aussi, quand un cette voie, nul ne peut dire quand il s’arrêtera.
On en a tant vu depuis de ceux qui sous prétexte de réalisations, sont descendus bien bas, que l’étonnement n’est pas grand pour nous le jour où d’anciens anti-politiciens deviennent les plus solides piliers de la politique.
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S’il est une chose qui diminue dans l’estime des syndicalistes, c’est bien l’I.S.R.
Aussi, pour attirer une attention qui commençait à se démentir, il a fallu chercher l’attraction presque unique en son genre.
Après le pistolet de Zinoview, nous avons eu le pétard de Losovsky-Dridzo !
L’on voit que les scissionnistes professionnels de la politique ont fait école, sans difficultés, parmi les chefs de leur succursale.
Je me souviens — il est quelquefois utile de revenir sur soi-même — d’un Dridzo moins méchant et moins volontaire.
C’était, je crois, en 1915 – 1916. À cette époque, avec Trotsky, il dénonçait — sans pétard — les social-patriotes, aujourd’hui ses amis, et venait à nous pour trouver un appui. C’était parmi nous, qu’il trouvait, disait-il, l’élément sincère et courageux et, dans les circonstances difficiles, il rencontrait les anarcho-syndicalistes et se déclarait d’accord avec eux. Cela, c’est du passé. Aujourd’hui, il les méprise et les poursuit de sa haine. Cela, c’est du présent.
Donc une petite cochonnerie nous est venue de « là-bas », qui laisse entendre combien l’autonomie des syndicats est et pourra être respectée.
Les ordres suivront, qui dicteront aux aveuglés d’avoir à se conformer strictement aux décisions prises par l’Exécutif. Brrr !
Est-ce ignorance ou hypocrisie ?
Parce qu’à l’ignorant on fait connaître des arguments compréhensibles, basés sur la Raison et la Vérité.
Mais pour confondre l’hypocrite, on fait connaître publiquement ses manœuvres louches, ses combinaisons sournoises.
Nous y reviendrons au besoin.
Et malgré toutes les décisions qui pourront être prises par le Congrès de Saint-Étienne, comme par vous, Losovsky, sachez bien que nous ne nous laisserons pas influencer. Chaque fois que vous voudrez nous plonger dans l’obscurité, nous apporterons la lumière. Face au mensonge nous dresserons la vérité et à l’hypocrisie nous répondrons par la franchise, quoi qu’il nous en coûte.
Nous nous sommes toujours déclarés adversaires d’une Internationale qui ne serait pas exclusivement syndicale, parce qu’elle ne réunirait pas les travailleurs qui viennent au syndicalisme pour se défendre contre toutes les oppressions.
Nous continuerons à dénoncer l’erreur qui consiste à assimiler les buts du groupement économique à ceux que poursuivent les partis politiques.
Nous resterons fermement attachés à l’autonomie absolue du seul mouvement ouvrier, car ce serait perpétrer la division que d’admettre la tutelle d’un parti parmi tant d’autres.
Contre les ordres. Toujours !
Nous combattons l’Autorité qui diminue les hommes.
Nous restons les défenseurs ardents de l’intégrale Liberté qui les élève.
Devrions-nous être seuls ! Puisque vous nous excluerez !
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