[(
Nous supposons balayée la pourriture capitaliste,
- Êtes-vous en faveur du Travail volontaire ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
- Êtes-vous partisan du Travail imposé ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
)]
La question posée est d’importance puisqu’elle implique le choix entre deux régimes opposés : Autorité et liberté. Elle prêterait à de longs développements s’appuyant sur des considérations historiques et scientifiques.
Un libertaire ne saurait hésiter ! Ses préférences vont au travail volontaire, le travail imposé nécessitant des sanctions, donc l’entretien d’une force répressive ; l’instauration d’une dictature quelle qu’elle soit est néfaste.
Est-ce à dire que ce choix soit purement sentimental ? Certes non ! De nombreux arguments militent on sa faveur.
Tout d’abord, faut-il craindre une abondante floraison de paresseux ? Ce serait méconnaître la nature humaine. Pas de vie sans activité. Depuis l’amibe unicellulaire jusqu’aux espèces animales supérieures, tous les animaux se meuvent pour pourvoir à leur subsistante. L’homme, animal supérieur, n’échappe pas à cette loi générale : il est essentiellement actif, il faut qu’il s’occupe ; l’immobilité, c’est la mort. Le véritable paresseux, celui qui ne fait absolument rien, n’existe donc pas.
Dans notre société capitaliste, peu nombreux sont ceux qui, nés sans fortune, ont choisi leur métier. Les pauvres vont au plus pressé : pour vivre, il faut manger et pour cela, travailler. Bien souvent, les circonstances les dirigent vers un état pour lequel ils avaient peu d’aptitude, d’où manque de goût pour la profession, exercée et rendement médiocre. Dans une société libertaire, au contraire, chacun suivrait ses inclinations et ce n’est pas trop présumer que de dire que la production serait améliorée.
Enfin, nous savons combien la société actuelle est gaspilleuse d’énergies ; combien elle utilise mal les découvertes scientifiques. On se chauffe encore avec du charbon, on s’éclaire souvent au pétrole ; de nombreuses besognes répugnantes ou malsaines qui pourraient se faire mécaniquement sont encore exécutées par des hommes. Dans une société libertaire, on utiliserait rationnellement les connaissances de la science. Celle-ci prendrait d’ailleurs un essor formidable par le fait que de géniaux cerveaux d’enfants du peuple, ne pouvant être cultivés dans la société capitaliste, se développeraient pleinement, enrichissant de nouvelles connaissances le trésor du savoir humain. L’utilisation des possibilités scientifiques permettrait la suppression des métiers haïssables, tueurs d’hommes et amènerait toujours plus de bien-être.
Que l’on ne prétende pas que les travailleurs ne voudront plus faire leur besogne. J’ai dit que l’homme était essentiellement actif. Les travailleurs sont l’immense majorité des hommes ; aujourd’hui Ils vont à l’usine et demain ils exerceraient encore leur métier sous l’empire de l’habitude.
Actuellement, les parasites capitalistes, tout comme ceux qui travaillent, agissent, mais leurs occupations (sports, courses, jeux, noce, etc., etc.), sont non seulement inutiles mais nuisibles à la collectivité : ce point est trop bien établi pour que j’insiste. La Révolution sociale ayant détruit le capitalisme, il est possible, il est même probable que certains des privilégiés actuels se refuseront à tout labeur fécond s’ils n’y sont pas obligés. Eh bien ! je crois qu’il faudra le tolérer. Ces individus ne seront jamais qu’une intime minorité et ce qu’ils voleront à la collectivité sera infiniment moindre que la part des richesses dérobées de nos jours par les profiteurs de tout poil. Je pense, en effet, que la plupart des capitalistes contemporains accepteront d’accomplir une tâche utilitaire après la Révolution. L’individu est le produit de deux facteurs : hérédité et milieu, et rien que cela. L’influence de l’exemple et de l’éducation dans un milieu libertaire déterminera très vraisemblablement la majorité des actuels parasites à travailler.
Je pense que les syndicats (utilisation des compétences) adaptés aux conditions du moment seront capables d’organiser la production. À mon sens il faudra un lien constant, une collaboration continue entre les groupements représentant les diverses industries et professions. Le syndicat local unique avec sections d’industries me paraît désirable. Dans ce cas, les syndicats locaux seront reliés par un organisme régional (la région étant l’étendue de pays, présentant une certaine unité géographique et économique) et les organismes régionaux seront unis par un organisme national.
Internationalement, il faudra un comité technique chargé de la répartition des matières premières et de tous les produits entre les nations suivant les besoins de chacune.
L’activité des syndicats sera entièrement basée sur la statistique. Avant de produire et d’orienter des énergies vers une profession, il est indispensable de connaître les besoins.
[/J.
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Camarades,
À votre enquête « travail volontaire ou imposé », je réponds : « travail imposé et, travail volontaire ». [[À cette formule, je préférerais encore celle-ci :
« Travail imposé et travail volontaire dans source de travail intarissable. »
Dans une société bien organisée, telle que nous la désirerions, où le travail serait la source des plus grandes satisfactions, il serait sage de prévoir que les besoins de travail pourraient dépasser les ressources.
Peut-on, en effet, ne pas tenir compte que déjà, sous les régimes actuels, où le travail est une obligation, le plus souvent désagréable, ne travaille pas qui veut ?]].
Cette enquête déborde du cadre où, dans le but, dites-vous, de faciliter les réponses, vous risquez de la confiner — ensuite, des réponses brèves — sur un sujet aussi complexe, dont la solution, tout en s’efforçant de régler l’organisation de la société humaine, ne peut intervenir qu’en s’appuyant très souvent sur l’humanité elle-même, — me paraît bien rigoureux.
Appréciant autrement, je passerai outre à votre invitation.
Les innombrables générations humaines, qui ont précédé la nôtre sur ce globe, ont assez bâti « à la petite semaine » et « en dehors de l’humanité », pour que les esprits « éclairés » de nos jours, procèdent avec un peu plus de discernement et cessent, tout au moins, d’avoir recours aux replâtrages, puisque vous admettez la pourriture capitaliste entièrement balayée.
Mais où sont-ils, ces esprits éclairés ?
La réponse à cette question me fait presque être de votre avis, lorsque vous semblez encadrer la discussion, comme si vous connaissiez l’indigence de pensée de vos contemporains.
Un homme, émergeant du monde des intellectuels, semblait porter les espérances d’une génération, qui aurait des raisons pour rompre avec les formules du passé : « Romain Rolland » ; et voilà que, lui aussi, grand humain hier, semble être, à son tour, absorbé par le citoyen — si on en juge par une certaine controverse, navrante de banalité et de niaiserie.
« Les ébats » de l’humanité (à dessein, je ne dis pas « la marche » parce que ce terme implique un but et je ne suis pas de ceux qui croient que l’humanité suive une route de laquelle elle serait ou non égarée), les ébats de l’humanité, dis-je, ne sont nullement impressionnés par les plus grandes convulsions de la société.
Et pourquoi l’humain ne pourrait-il reprendre la place dans l’humanité, au lieu de continuer à se personnifier dans le citoyen ? Là, pourtant, semble être son salut.
Il vous paraîtra que je m’éloigne du sujet, en disant que c’est aux intellectuels érudits et à cette érudition, sans cesse reproduite, qu’il faut faire porter la responsabilité de la mauvaise constitution, de la société et de toutes les calamités qui en découlent.
L’érudition devenue une fin, la plupart de ceux qui s’y consacrent, ne prenant garde à sa nocivité a‑créatrice, se trouvent satisfaits, ce résultat à peu près obtenu ; et les autres, tempéraments peut-être créateurs et dont le cerveau pourrait concevoir du nouveau, font, au contraire, reposer toutes leurs conceptions sur le passé.
Que n’aurait-on pu attendre d’esprits, comme Jaurès ou Anatole France, si leur pensée n’était restée-là, à leur insu et peut-être contre eux-mêmes, esclave de leur érudition ? de cette érudition qui a fait : du premier, internationaliste de marque, l’organisateur inégalé de la défense nationale et, de l’autre, révolutionnaire incontesté de la pensée, un engagé volontaire, à 70 ans, dans l’armée du Droit !!
Je ne veux pas m’arrêter aux Barbusse et autres auteurs bellicistes repentis qui, s’ils avaient pensé par eux-mêmes et non à travers leur érudition, auraient pu, au lieu de commettre leurs niaiseries, être de quelque utilité à l’édification d’une société, en harmonie avec l’humanité.
Malgré qu’à court de développement, ce préambule m’autorisera à prendre part à votre enquête au double et inséparable point de vue humain et social.
Nous sommes tous d’accord que le « primum vivere », traduit et dénaturé, de nos jours par « la lutte pour la vie », oblige l’individu à une transformation complète de lui-même.
Bon à l’origine, certainement, l’humain en lutte avec les exigences croissantes de la société doit fatalement devenir mauvais ; progressivement, il dépouille l’humain pour être en état de se défendre dans la société. Bientôt il sera le citoyen, organisé en état de défense, contre son semblable.
L’étonnante lettre de Charrier, parue dans le Libertaire, précieuse surtout par la franchise de certaines affirmations, est une nouvelle preuve de l’immoralité de ce « primum vivere » que les érudits, présents et passés, ont véhiculé jusqu’à nous, sans l’avoir combattu.
La société pourrait donc être meilleure, si « la lutte pour la vie » n’existait pas ou même si elle n’existait qu’à l’état de moyen au lieu d’être un but ; en d’autres termes, si l’idéal de l’être humain était autre, avec la gamme, naturellement, des raffinements plus ou moins malsains, mais propres à chaque individu, que se nourrir, se vêtir et se loger.
Est-il donc impossible qu’il en soit ainsi de nos temps ?
Et la société serait-elle en désaccord avec l’humanité, si l’être humain, en arrivant au monde, sinon contre son gré, tout au moins sans son assentiment, trouvait, automatiquement assuré, un minimum d’alimentation, de gîte, de vêtement, de soins de beauté physique et de soins médicaux, pour la conquête duquel, il devient le loup, que nous savons.
Pour assurer ce minimum : infailliblement nécessité dé travail collectif. Donc travail imposé, mais, à mon avis, nullement en opposition inéludable avec la liberté de l’individu.
En effet, l’anarchiste, le plus jaloux de sa liberté, ne saurait voir celle-ci entachée, parce qu’il serait astreint, pour assurer ses propres besoins, de coopérer à des occupations collectives ne pouvant prendre, en tout état de cause, qu’une partie infime de son temps.
Point n’est besoin de s’être livré au jeu des statistiques, pour affirmer, sans crainte de s’éloigner de la réalité, que ce minimum de besoins, pourrait être assure par un travail collectif insignifiant.
Le nécessaire étant ainsi obtenu par du travail imposé, le travail volontaire pourrait s’exercer librement, dans le champ, on ne peut plus vaste, de la conquête du superflu [[Je me réserve de revenir sur la signification qu’il faut donner à ce terme « le superflu », dont les favorisés de la fortune ont fait jusqu’ici un si mauvais usage.
L’obtention de ce superflu, débourbé des satisfactions malsaines, qui en ont fait l’odieux opposé de misère, pourrait devenir, au contraire, pour l’être humain, l’une des plus attrayantes raisons de vivre.]].
L’application d’une telle répartition du travail, qui serait la base de l’organisation de la société elle-même, pourrait être démontrée assez facilement, sinon brièvement, sur le papier.
Dans la réalité, cette application comporterait d’autres difficultés, dont la première serait l’opposition qu’on rencontrerait chez les individus et chez les nations. Or, la condition essentielle du bon fonctionnement d’un tel système devrait être l’édification sur plan d’ensemble. Ceci dit et en terminant, m’est-il permis de ne pas m’illusionner ?
[/Jean
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Travail libre déterminé par la puissance
de cerveaux libres
Dans une société organisée pour le bien-être de tous, point n’est besoin d’un travail imposé.
Une dépense d’énergie est indispensable à tout être sain. Dans notre société actuelle, cette dépense d’énergie est manifestée chez les bourgeois dans le commerce ou le plaisir ; chez les prolétaires, dans le travail. Dans le premier comme dans le deuxième cas, cette énergie dépensée est néfaste aux individus, n’étant pas proportionnelle à leur force d’activité. Les premiers sont obligés d’y suppléer par des jouissances dégradantes, les seconds s’avilissent par une usure plus forte que la machine ne peut supporter.
Supprimons la dépense d’énergie inutile des bourgeois : toute luxure, tout établissement de plaisir, de jeu, toute jouissance impure ; reste pour conserver la machine humaine des jouisseurs, le travail. Ceux qui sont sains physiquement, intellectuellement choisiront celui-ci. Les autres, subissant l’effet d’une hérédité de snobs, d’orgueilleux, de vicieux paresseux choisiront l’oisiveté. Leur imposer du travail, non ; ne leur accorder pour tout passe-temps que les heures des repas. Donc, la trop grande inertie dégradera leur individu. Ils seront ou malades physiques, ou malades cérébraux ; êtres à mettre à part, tels des êtres néfastes à une société harmonique, êtres appelés promptement à disparaître puisque déjà, ils n’auront aucune des facilités qui font la vie.
Supprimons les causes de l’usure : trop de travail.
Une société harmonisée se sépare des fausses notes, d’où abolition des métiers à préjugés, abolition des états nuisibles : bijoutiers, fabricants d’ornements mortuaires, de coffres-forts, domesticité : soldats, juges, députés, policiers, etc., etc., d’où recrutement de nouvelles activités encore, destinées à alléger la peine des travailleurs indispensables.
Il reste moins de travail pour plus d’individus, donc suppression de la tache manuelle imposée sans souci des facultés de l’ouvrier ; d’abord selon les goûts des parents et non des enfants, puis selon la tyrannie de maîtres jouisseurs, d’où ouvriers médiocres, sans esprit d’initiative allant à la longue journée de labeur, avec la joie, chaque soir de la voir terminée.
Le travail libre et moins pénible, c’est en perspective du travail d’élite, perfectionné, du travail fait avec le corps, goûté avec l’esprit, c’est une future génération de travailleurs manuels au cerveau libre et fort.
L’époque de la formule libertaire : « À chacun selon ses besoins », sera l’époque de la science et des arts, du vrai, du beau et du bien.
Plus de faim, plus d’entraves pour l’épanouissement des sciences et des arts, les deux amies d’une belle humanité, la science adoucissant la vie physique, libérant les cerveaux des nombreux préjugés ; l’art, source d’amour et de joie, goûté en de sains repos.
À chacun selon ses besoins « fera de la femme l’égale de l’homme ». Plus de prostituées dans le mariage, dans les salons, où sur le trottoir ; plus d’enfants abandonnés à l’assistance où chez des nourrices-mercenaires ; plus de madones qui s’inquiètent de la perte d’un collier de perles ; plus de femmes pour crever de jouissances, d’autres, pour crever de souffrances ; chacune à sa place, selon ses forces, son esprit, son cœur.
Le travail imposé de ce fait aux bourgeoises ? Non. Suppression de ce qui fait, à elles aussi, le passe-temps dégoûtant ; suppression du luxe, des heures de thé et des flirts intéressés ; suppression des petits chiens enrubannés ; plus de cette dégradante oisiveté frôlant le travail de beauté, de bonté, destiné à la femme d’une société libertaire.
Les oisives seront gagnées par l’exemple ou bien, elles se supprimeront volontairement, ou involontairement : par l’ennui.
Les avantages d’une société libertaire seront en rapport du nombre d’individus éduqués ; d’où, nécessité absolue d’une éducation intensive. Ce doit être le but essentiel de tout propagandiste. La Révolution détruira les bases pourries d’une société mauvaise, supprimera les maîtres et les esclaves ; l’éducation reconstruira selon sa puissance. Il est tant de sortes de maîtres, il est tant de genres d’esclaves !
[/Illisible./]
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Camarade,
Vous ouvrez à nouveau une enquête dans la R.A., enquête ayant pour but de savoir si l’on est partisan du travail obligatoire ou volontaire.
La question peut peut-être se poser dans la revue qui n’est sans doute pas lue que par des camarades libertaires, mais il est certain que, pour qui est anarchiste ou simplement anarchisant la question ne se pose pas. Si l’on est partisan du travail obligatoire, et fatalement de toutes ses conséquences l’on ne peut pas être libertaire.
En tout cas, même si la question se posait entre libertaires, je suis nettement pour le travail volontaire avec tous ses inconvénients, parce qu’en réalité la paresse n’existe pas. Il n’y a pas d’individus qui ne se meuvent pas d’une façon ou d’une autre et dans une société libertaire ceux qui pourraient avoir tendance à ce que l’on appelle la paresse arriveraient sans s’en rendre compte eux-mêmes à s’intéresser à un travail quelconque.
Il ne s’agirait d’ailleurs que d’aiguiller ce besoin de mouvement dans un sens utilitaire.
En somme, dans la société actuelle, un braconnier n’est-il pas considéré comme un paresseux ? Et cependant son activité volontaire lui permet de vivre, souvent mieux que bien des salariés ?
Ne voit-on pas fréquemment des bourgeois ayant les moyens de ne rien faire, munis d’un véritable atelier où ils s’adonnent à des travaux divers selon leur goût ?
Si je voyais poindre à l’horizon une société libertaire ce n’est pas cette fameuse question de paresse qui m’inquiéterait.
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