Cela me deviendra — je le crains — un lieu commun permanent de constater ici l’indigence des salons.
Que si, pourtant, l’on s’étonnait de cette pénurie d’œuvres remarquables ou franchement belles, il ne faudrait connaître ni son siècle, ni la majorité des hommes « d’élite » qui l’expriment. Le siècle, donc, qui s’abreuve à ces pures sources d’inspiration qui sont, pour les prendre dans le tas — la fièvre politique, le roman-cinéma, les affaires « Landru » (qui permettent d’admirables jeux d’esprit), bref, tous les signes contemporains de la saturation bourgeoise avec son vent très haut, d’argent et d’âpreté à jouir, ce siècle, dis-je, est, dans ses miroirs fidèles, bien reflété — L’art est l’un de ces miroirs ; on n’y peut regarder, c’est vrai, sans faire la grimace. Et c’est cela, bien plus : ce qu’il y a de pire en cela que les jurys des salons ont dû sélectionner pour faire offense à nos goûts, à notre rationalisme, à 1’« art ». Et que ce soient des maîtres — tel Chabas — ou les autres… qui se nomment légion, nous voyons bien que tous les cerveaux sont désespérément vides si les yeux quelquefois, ont encore des lueurs.
Il semble que, pour la plupart, ils se soient astreints, faute de mieux, à tourner en cercle — chacun selon sa spécialité — autour de leurs thèmes favoris.
Nous avons, comme d’habitude, une ribambelle de femmes nues, assises, debout, couchées : d’aucunes visant, semble-t-il, à l’obscène lascif, et, faute d’art (ainsi l’on nomme le talent) échouant au grotesque ; des portraits dont on ne sait que dire ; des paysages parfois charmants, quand ils ne soulèvent pas nos griefs par d’absurdes et anachroniques superfétations tirées de la mythologie : et aussi des fantaisies qui s’apparentent aux écoles diverses.
Citons deux toiles « les pigeons blancs » de J. Dupas, et « le nain » d’Osvald Moser, toutes deux teintées d’un cubisme décadent, bientôt imperceptible. La déformation systématique des plans s’y édulcore, participe de plus en plus de la courbe. Le cubisme, ici, se dégonfle, et — qui sait ? — ne demanderait enfin qu’à acquérir un paisible droit de cité.
J’ai nommé tout à l’heure Paul Chabas, cet excellent peintre de « Matinée de Septembre », « Pêcheuses de lune », chefs‑d’œuvre de délicatesse qui estompent tant idéalement dans de la brume la silhouette féminine.
Ses envois (dont l’un « Printemps », aquarelle gouachée, exécrable en goût et facture) ne possèdent plus, hélas, l’originalité première et si le toujours identique modèle qui a posé les actuels à « Portrait » et « Coup de vent », n’a point enlaidi, elle n’en frôle pas moins l’automne pour nos pensées qui l’avaient conçue plus unique, et non point tant dispersée, en blondes suaves, mais banales.
Marquons, sans trop appuyer, cette impuissance des arrivés à renouveler leur « matière », et l’inconsistance habituelle de leurs éphémères rayons.
Que d’envois à passer sous silence ! Beaucoup de portraits, réussis — Je le veux bien — mais qu’il y a donc, parfois, d’affreux modèles ! Ceci n’étant pas dit pour Mlle Spinelly, danseuse, portraiturée par J. Domergue avec le style faisandé que ce peintre prend de plus en plus en affection. M. Domergue, avec un rare bonheur, fait quelque chose de plus difficile que la peinture ; reconnaissons qu’il méritait mieux que cela ; ses créations de robes prouvent qu’il y a en lui l’étoffe d’un couturier. Quelle sotte modestie peut bien l’empêcher de suivre cette voie ?
À noter, dans le portrait, la recherche malencontreuse de la pose à effet, du geste décoratif, du maniérisme. Il ne faut pas rechercher l’originalité partout où elle ne se peut trouver, c’est une qualité qui, si l’on peut dire, n’est pas extérieure à l’artiste, et l’art n’est pas non plus dans le « difficile », mais dans le simple.
L’on me dira — et c’est vrai — que le simple est très difficile, cela n’empêche qu’il faut y tendre.
Sans transition, passons à un autre genre : Albert Guillaume, caricaturiste, à ce qu’il croit, dans l’ordinaire, expose « la musique moderne », qui serait, peut-être, jusqu’à un certain point, si l’on veut, à moins que l’on ne se trompe, et cela sans le garantir, comme une sorte d’imitation, de simili-critique…
Par hasard, M. Albert Guillaume, fort empêché de savoir ce qu’il faut entendre par « Musique moderne », est, au surplus, bien mal à son aise pour tirer de l’ironie d’une source aussi malaisée. Il lui eût fallu se renseigner…
Quelque tabellion de village, en puissance du « Lac de Côme », de la « Prière d’une vierge », et même (ô prodige), de la « Sérénata » de Toselli, lui en aura sûrement fait accroire à ce sujet, dans une conversation d’après-dîner.
Ses personnages, tous ronds et fades (c’est sa formule de toujours) écoutent, en postures diverses mais surtout grotesques, le « il ne sait quoi » qu’il a plu à l’auteur de leur faire taper par le piano de la maîtresse de maison. Un chanteur (circonstance aggravante) qui n’est pas du tout indispensable dans la scène (au fait qu’y a‑t-il d’indispensable dans tout ceci ?) se contorsionne avec l’espoir d’ailleurs vain de donner la note humoristique à cette ennuyeuse composition.
— G. Brisgaud, bon dessinateur d’habitude, montre un pastel, tête de femme enguirlandée de fleurs, du meilleur mauvais goût. Ferait-il pas mieux de s’en tenir au genre « Vie Parisienne » dans lequel il est d’ailleurs un maître ? Quelle maladresse de sa part, de présenter des femmes sans jambes !
— Portrait de M. Millerand, par M. Baschet. Retenez bien ce nom, car il ira loin ! Encore un qui aura vu un « grand homme » de près (« En étendant la main, j’aurais pu le toucher », eût dit Kipling). Mais combien plus infiniment drôle serait le même, traité par le facétieux Van Dongen, avec les couleurs très spéciales de sa palette. Vous souvient-il de l’inénarrable « portrait » de l’Anatole France, qu’il exposa l’an dernier ?
— Soyons bons pour Petit-Girard, son « Pax In Gloria » est nanti de précieuses qualités. Il a de bien jolis sapins par rangs de deux (ça doit se passer dans les Vosges), des rochers, enfin, au détour d’un chemin, une croix de bois sur un talus, et encore, contemplant icelle, un officier raidi dans son corset, tête nue. Le tout (j’oublie un second personnage) est pétri d’une noble émotion. Que M. Petit-Girard ne s’y trompe pas : ses sapins font sur l’œil une incontestable impression verte ; son bel effort mérite mieux qu’une mention ; signalons-lui toutes les ressources qu’il pourrait tirer de son art inspiré, en présentant ses tableaux en primes, au… Planteur de Caïffa, par exemple.
— Même remarque pour M. Gervex qui se signale à notre admiration au moyen de son « Guillaume II », baigné dans un impressionnant clair de lune incendié. Une justice et sa suite, bien armées (serait-ce pas plutôt la France et ses nobles aillés ?) est prête à fondre sur le malheureux qui en fait un nez long comme ça. Guillaume est à terre, ainsi qu’il sied et les justiciers viennent du ciel : touchant symbole.
— Idem pour le « Casque du Poilu » de M. Brispot, palpitant d’angoisse.
— Dans un autre genre s’affirme la maîtrise de M. le Gomte du Nouy. « Phèdre » nous dit-il. Placés là devant, vous avez tout de suite envie de vous effacer, crainte d’en priver autrui.
— Dans le genre photographique, signalons en passant la « Revue Navale du Havre », de Louis Gillot, magnifique agrandissement en couleurs. Quelle admirable patience a‑t-il fallu à l’artiste pour remplir de peinture un si grand nombre de personnages !
— De M. Edgard Maxence, un « Portrait de M. R. W. » digne de la couverture d’un de nos grands « magasines », chef‑d’œuvre dans le chromo.
Mais n’est-il point sage d’en oublier… des tas ?
Et pour finir, sans plaisanter, la très belle et très réussie « Liseuse », d’Albert Laurens, lequel est, en vérité, un artiste de goût.
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