La Presse Anarchiste

La Liberté de conscience

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II

Dans le prob­lème de la lib­erté de con­science, il y a deux ques­tions dis­tinctes : la lib­erté de con­science des sec­ta­teurs des reli­gions con­sti­tuées, ou des sectes, plus ou moins hétéro­dox­es qui pour­ront s’en sépar­er et la lib­erté de con­science indi­vidu­elle, philosophique, sci­en­tifique ou même religieuse pour tous ceux qui veu­lent rester indépen­dants de toute église d’É­tat ou de toute secte ayant déjà le car­ac­tère de com­mu­nauté religieuse. Mais il y a là une grande difficulté. 

C’est qu’une doc­trine, religieuse ou philosophique, n’est pas seule­ment un ensem­ble de croy­ances aux­quelles l’e­sprit adhère plus ou moins facile­ment ; c’est surtout une règle des mœurs et de la con­duite qui s’im­pose à la con­science et à laque­lle la volon­té se croit tenue d’obéir. Toute foi n’est pas seule­ment théorique mais pratique. 

La foi qui n’ag­it pas, est-ce une foi sincère ?

dit le Joad de Racine. 

La lib­erté de con­science, à laque­lle chaque être humain sem­blerait avoir droit, n’est pas seule­ment la lib­erté de penser, qu’on ne peut entraver, mais la lib­erté d’ex­primer sa pen­sée, sa foi par la parole et l’écri­t­ure, urbi et orbi, en pub­lic comme dans la vie privée ; de la défendre, de la répan­dre, de s’assem­bler et de s’as­soci­er avec ceux qui la parta­gent. C’est enfin la lib­erté pour tout homme d’a­gir con­for­mé­ment à sa foi, de met­tre en pra­tique la règle de con­duite qu’elle lui impose, lors même qu’elle serait con­traire aux lois exis­tantes, et de la faire tri­om­pher, par tous les moyens, des autres doc­trines con­traires et que tout croy­ant sincère a d’au­tant plus en hor­reur qu’il est lui-même plus con­va­in­cu de la vérité de la sienne et plus ardent à la suiv­re. Toute foi ardente, toute con­vic­tion sincère et com­plète tend fatale­ment au prosé­lytisme. L’homme ne sem­ble curieux de con­naître que pour enseign­er ce qu’il sait ou croit savoir. Il ne trou­ve de prix à la vérité qu’à con­di­tion de pou­voir la communiquer. 

La lib­erté de penser n’est qu’un droit tout intérieur et comme le dit M. Jules Simon, ce n’est que le pre­mier acte de la lib­erté de conscience. 

Mais si la lib­erté de con­science, comme lib­erté illim­itée de penser et de croire, entraîne, comme con­séquence, la lib­erté illim­itée d’a­gir, cela suf­fit à en faire con­cevoir les énormes dif­fi­cultés pra­tiques au point de vue de l’or­dre social, ain­si que de la paix publique et privée. Se représente-t-on bien ce déchaîne­ment uni­versel du prosé­lytisme, cette fièvre d’a­pos­to­lat qui peut sévir sur le monde ? 

Si tous ces apôtres ont le droit de servir publique­ment leur dieu sur les places publiques, de l’escorter pro­ces­sion­nelle­ment dans les rues, de n’a­gir que d’après ses com­man­de­ments ou ce qu’ils croient tel, on peut voir à chaque instant, en chaque rue, un dieu se heur­tant con­tre un autre dieu, lui récla­mant le haut du pavé. On peut voir renaître les sectes et les pra­tiques les plus extrav­a­gantes. Des pro­ces­sions de fla­gel­lants du moyen âge pour­raient se ren­con­tr­er avec des ban­des de bac­cha­ntes cri­ant Evo­hé ! ou des théories de femmes pleu­rant la mort d’Ado­nis. L’an­tique phal­lus pour­rait pren­dre le pas sur la croix. Cer­taines sectes pour­raient vouloir brûler les veuves, comme dans l’Inde. Des Mor­mons ten­teraient de rétablir la polyg­a­mie, et des Scop­si pour­raient lut­ter de zèle religieux avec des prêtres de Cybèle, par­mi lesquels un Origène pour­rait pren­dre place, ren­dant ain­si de plus en plus menaçant le prob­lème de la dépopulation. 

Il n’est nulle­ment prou­vé que l’e­sprit humain soit aujour­d’hui guéri de toutes les folies dont il s’est mon­tré capa­ble, et à jamais préservé des crises men­tales qu’il a si fréquem­ment tra­ver­sées. Toutes sortes de signes ten­dent même à faire crain­dre que nous ne soyons au moment de voir se pro­duire un de ces déraille­ments presque uni­versels de l’in­tel­li­gence humaine, qui la livrent en proie aux écarts des imag­i­na­tions malades, et aux accès d’un mys­ti­cisme som­bre capa­ble de toutes les folies et, par elles, de tous les crimes. 

Com­ment con­cili­er le droit qui réclame, exige la lib­erté égale­ment pour tous, avec la suprême loi de l’in­térêt des mœurs, du salut de la patrie, du salut de l’hu­man­ité ? Car tout cela peut être com­pro­mis par l’af­fole­ment des esprits, la diver­gence indéfinie des croy­ances, la mul­ti­plic­ité irré­ductible des principes réglant la con­duite de chacun ? 

D’un autre côté, il y a une rai­son très forte de ne pas vio­len­ter la foi des croy­ants, même et surtout des plus ardents, et quelle que puisse être leur croy­ance. Car si on enlève à ces natures vio­lentes et fana­tiques le frein de cette pas­sion religieuse qui gou­verne leur volon­té et équili­bre toutes leurs autres pas­sions, au point de les amen­er à en faire le sac­ri­fice ; si l’on détru­it en eux ce fanatisme même qui les pousse à des actes plus sou­vent ridicules que crim­inels, mais en leur inter­dis­ant tous les autres crimes, il peut se faire, dans un grand nom­bre de cas, que ces êtres, désori­en­tés par la perte des croy­ances qui les con­dui­saient comme des aveu­gles, mais enfin leur impo­saient une route, une dis­ci­pline, désor­mais sans bous­sole dans la vie, avec des instincts dévoyés par la pas­sion religieuse qui a empêché de naître ou atrophié en eux les sen­ti­ments nor­maux de l’e­spèce, soient inca­pables sans elle, de rem­plir les devoirs soci­aux et fassent courir à la race chez laque­lle ils seront lâchés, comme des hydrophobes, des périls plus grands que ceux qui pour­raient résul­ter de leur zèle religieux. 

Il n’est pas rare d’en­ten­dre des croy­ants avouer que sans la foi ils seraient entraînés à tous les crimes, au moins à toutes les fautes con­tre l’hon­nêteté, que la loi n’at­teint pas, ou qu’on peut lui cacher. Cette con­vic­tion n’est, il est vrai, sou­vent qu’un résul­tat de l’en­seigne­ment qu’ils ont reçu, une con­séquence des prédi­ca­tions de quelques prêtres trop zélés qui, en leur four­nissant cet argu­ment, les font se calom­nier eux-mêmes ; mais il suf­fit que cette con­vic­tion ait été dévelop­pée dans leur esprit pour qu’elle mette en péril leur moral­ité dont elle a sapé les bases nor­males, en détru­isant en eux l’amour du bien pour le bien lui-même. Il y a tout à pari­er que celui qui se per­suade être fatale­ment crim­inel, com­met­tra des crimes, qu’il suc­combera à cette sorte d’au­to-sug­ges­tion que sa foi exerce sur lui et qu’on peut déjà con­sid­ér­er comme un cas de cette folie morale, sou­vent con­statée chez nos délin­quants. En pareil cas, mieux vaut laiss­er à la con­science dévoyée, le frein de cette foi qui les domine et les hyp­no­tise autant, du moins, que leur fanatisme même ne tend pas à les pouss­er à plus de crimes et de méfaits con­tre l’or­dre social que ne pour­rait le faire leur égoïsme, désem­paré de ce sen­ti­ment du devoir qui peut seul impos­er à la volon­té les règles pra­tiques de la jus­tice sociale et, seul, con­stitue réelle­ment l’honnêteté. 

Si, en effet, la rai­son est la règle de l’in­tel­li­gence ; si elle four­nit à l’être vivant, pen­sant et autonome, les moyens d’a­gir en vue d’une fin, elle est impuis­sante à elle seule à déter­min­er un but d’ac­tion quel­conque. Absol­u­ment neu­tre entre toutes les pas­sions dont l’être vivant est sus­cep­ti­ble d’être ani­mé et pos­sédé, la rai­son que ne sol­licit­erait aucune pas­sion n’a­gi­rait jamais en aucun sens, ni pour le bien, ni pour le mal. 

L’être organ­isé qui ne sen­ti­rait ni la faim ni la soif n’au­rait aucun motif de tra­vailler, de s’ingénier pour sat­is­faire des besoins qu’il n’éprou­verait pas. Il faut à l’être vivant des pas­sions organiques pour qu’il vive. Il faut à l’être social des pas­sions sociales pour qu’il rem­plisse les fonc­tions de mem­bre de la société. Un être sans van­ité, sans amour-pro­pre, sans orgueil ni fierté d’au­cune sorte, serait le plus inerte, le plus inutile, le plus inca­pable des indi­vidus. S’il ne ressen­tait des pas­sions sex­uelles, jamais il n’au­rait l’idée, même par inci­ta­tion, d’ex­ercer les fonc­tions généra­tri­ces. Elles ne se seraient pas même dévelop­pées en lui, s’il ne sor­tait d’une race où elles ont hérédi­taire­ment fonc­tion­né, et sans l’ex­ci­ta­tion d’in­stincts pas­sion­nels adéquats à leur nature. 

La valeur morale d’un indi­vidu, comme mem­bre d’une société humaine, n’est donc nulle­ment déter­minée par ses vir­tu­al­ités intel­lectuelles, pures de tous élé­ments pas­sion­nels, puisque ces vir­tu­al­ités ne devi­en­nent des apti­tudes actives que sous l’inci­ta­tion de cer­taines pas­sions spé­ci­fiques étroite­ment adap­tées à un but utile. C’est la gamme de ces pas­sions elles-mêmes qui les met en activ­ité, leur indique leur but, leur donne cette direc­tion sans laque­lle aucune force, ni physique ni morale, ne peut agir, et qui seule fait d’un indi­vidu vivant, un être bon ou mau­vais [[ Orig­ine de l’Homme et des Sociétés. Pre­mière partie.]]. 

Lors donc qu’on sup­pose l’ex­is­tence d’in­tel­li­gences pures, supérieures à toute pas­sion, on sup­pose l’ex­is­tence d’êtres absol­u­ment inertes, dépouil­lés de toute autonomie, inca­pables de rien vouloir, puisque leur volon­té, sans motif, ne pour­rait se déter­min­er à rien ; inhab­iles à agir d’une façon quel­conque, par con­séquent inhab­iles, à être et con­tra­dic­toires par nature à la notion d’ex­is­tence, parce que « ce qui n’ag­it pas n’est pas » [[Leib­nitz]].

La résis­tance des croy­ants à toute autorité qui pré­tend régler leur foi, en empêch­er l’ex­pres­sion ou l’ex­er­ci­ce, et à toute per­sé­cu­tion pour les y faire renon­cer, n’est donc point seule­ment une résis­tance dés­in­téressée de l’e­sprit, entêté à con­fess­er ce qu’il croit être la vérité et à agir selon des règles ou des com­man­de­ments qu’il croit divins : c’est surtout une résis­tance de la volon­té égoïste qui se croit intéressée à con­fess­er cette foi, pré­sumée vraie, à suiv­re cette règle ou ces com­man­de­ments qu’elle sup­pose lui être imposés par un Dieu, en vue des biens qui doivent récom­penser son obéis­sance et sa constance. 

En ce cas, comme en tous les autres, la volon­té des croy­ants cède aux motifs déter­mi­nants les plus forts qui la sol­lici­tent. Elle n’est réelle­ment pas libre de se déter­min­er autrement. De là l’in­ef­fi­cac­ité des per­sé­cu­tions sur les croy­ants sincères, et leur effi­cac­ité au con­traire pour déter­min­er les con­ver­sions hyp­ocrites de ceux qui con­ser­vent assez de doutes sur la vérité de leurs croy­ances pour ne rien vouloir ris­quer pour elles. 

Tout croy­ant, bien con­va­in­cu que le mar­tyre lui vau­dra l’ac­cès immé­di­at à une autre vie de joie éter­nelle, ne peut être si fou que de ne pas accepter un marché où, quels que soient les sup­plices immé­di­ats qu’il doit subir, ils doivent avoir une durée infin­i­ment courte en com­para­i­son de l’é­ter­nité bien­heureuse qu’il attend en récom­pense, et une rel­a­tive douceur, auprès de l’é­ter­nité de sup­plices qu’en­traîn­erait pour lui une abjuration. 

D’ailleurs, il est aujour­d’hui bien prou­vé qu’une con­vic­tion intime, une adhé­sion entière de l’e­sprit à une croy­ance, exerce sur la sen­si­bil­ité même une sorte d’ac­tion anesthésique et déter­mine un état nerveux par­ti­c­uli­er qui, sus­pen­dant la pos­si­bil­ité de la douleur, jette le croy­ant en état d’hyp­nose par une sorte d’auto-suggestion. 

Mais si la per­sé­cu­tion est d’au­tant plus inef­fi­cace que les croy­ants sont plus sincères et plus con­va­in­cus, la per­sua­sion pour­rait sur eux ce que ne peut la vio­lence. La prédi­ca­tion, l’en­seigne­ment, large­ment répan­du et offert à tous, de vérités cer­taines, évi­dentes, telles que celles dont la sci­ence mod­erne a fait la con­quête, est en réal­ité le seul moyen de com­bat­tre le fanatisme religieux des foules abusées, de les ramen­er à la rai­son, à la sagesse, à la con­science des vrais devoirs soci­aux que, si sou­vent, les reli­gions les poussent à enfrein­dre. Si la foi religieuse est de nature pas­sion­nelle plutôt qu’in­tel­lectuelle : si la force, la vio­lence, les men­aces de mort ne peu­vent rien con­tre elle, par cela même qu’elle se fonde sur des espérances d’outre-tombe qui dépassent toutes les espérances pos­si­bles de la vie, elle peut, au con­traire, être légitime­ment com­bat­tue par la dif­fu­sion d’un enseigne­ment sage. Elle peut être atteinte et réfrénée en ses excès ou ses erreurs par l’év­i­dence. Elle peut être éclairée, adoucie et rec­ti­fiée par le raison­nement, qui seul peut, dans l’avenir, amen­er les hommes à la com­mu­nauté des con­vic­tions, et à une véri­ta­ble catholic­ité de la croy­ance sur tous les points essen­tiels de la con­nais­sance de l’homme, de la société et du monde. 

Mais, juste­ment parce que les adeptes des reli­gions, dites pos­i­tives, des reli­gions qui se pré­ten­dent révélées, ont con­staté que chaque pro­grès de la sci­ence et de la rai­son humaines leur enlève des adhérents et attiédit ceux qui leur restent, ils déclar­ent la guerre à la sci­ence, à la rai­son. Ils se dis­ent per­sé­cutés quand on leur refuse tous les priv­ilèges, quand surtout on leur ôte le mono­pole de l’en­seigne­ment pub­lic et qu’on donne à la rai­son, à la sci­ence une lib­erté de parole et de prosé­lytisme égale à celle dont ils jouissent. 

Chaque reli­gion pré­ten­dant pos­séder seule la vérité absolue, soit dans les textes de ses livres sacrés, soit dans le corps de ses prêtres, pré­tend aus­si avoir seule la lib­erté de s’af­firmer, de s’é­pan­dre, de s’im­pos­er à tous. Si d’abord, dans sa phase mil­i­tante, elle ne réclame que sa part de lib­erté, la lib­erté de s’af­firmer, de dis­cuter ; si alors elle accepte pour juge la rai­son humaine en chaque indi­vidu dont elle cherche à faire un néo­phyte ; dès le moment où elle sait ses dis­ci­ples nom­breux, où elle a recruté dans l’É­tat de puis­sants adeptes, elle pré­tend s’im­pos­er, non plus par la per­sua­sion et la libre dis­cus­sion, mais par l’au­torité, par la force. Elle réclame, elle exige le con­cours du bras séculi­er. Elle veut régn­er dans l’É­tat, se le sub­or­don­ner, en faire son instrument. 

III

« Qu’est-ce que l’É­tat ? demandait encore Jules Simon. S’il n’est que la force, c’est-à-dire s’il n’est qu’un con­trat social, une coali­tion des intéressés, qu’ap­porte-t-il avec lui qui puisse ébran­ler ma con­vic­ton ? Cet État athée n’est maître que de mon corps. Et si l’É­tat est fondé sur un dogme, com­ment cette alliance d’une vérité religieuse avec la force civile peut-elle chang­er le car­ac­tère de cette vérité ? Quoi ! en est-elle dev­enue plus vraie, parce qu’elle a une armée ? Étrange principe en ver­tu duquel la reli­gion russe serait plus vraie que la reli­gion romaine, car le czar a plus de sol­dats que le pape. Quelles que soient l’o­rig­ine et la nature de la force, ni indi­vidu, ni majorité, ni État ne peut tri­om­pher du droit de la rai­son ; et nul homme ne peut sans crime, ayant été créé raisonnable, s’ou­bli­er et se prostern­er devant la force. » 

Le point faible de cette élo­quente argu­men­ta­tion, c’est qu’il est fort inex­act d’af­firmer que l’homme soit créé raisonnable.

Il est évi­dent qu’il ne l’est pas à l’é­tat d’en­fance ; il n’est pas moins évi­dent qu’il est loin de le devenir tou­jours à l’é­tat adulte. Un être raisonnable est même une rare excep­tion dans l’hu­man­ité. Il n’en est point qui le soit com­plète­ment. D’ailleurs, pour agir cor­recte­ment, il ne suf­fit pas que le mécan­isme logique soit intact chez l’être humain ; il faut encore que sa rai­son soit éclairée, qu’elle ne soit pas trompée sur les principes, sur les faits qui ser­vent de point de départ à ses raison­nements. Toute erreur de principe mène à l’ab­surde le logi­cien le plus impec­ca­ble, et d’au­tant plus vite et plus droit que sa logique est plus par­faite. Le fanatisme religieux n’est, la plu­part du temps, que les affir­ma­tions dog­ma­tiques des croy­ants poussées à leurs dernières con­séquences. Telle est même la logique des fous. Par­tis des sen­sa­tions fauss­es de leurs visions intérieures, ils en déduisent des motifs d’ac­tion qui décè­lent leur folie. Or, c’est surtout en matière religieuse que l’homme, à toutes les épo­ques, a don­né les preuves des folies les plus étranges. 

L’af­fir­ma­tion de l’in­fail­li­bil­ité de la rai­son humaine est une des erreurs du dogme chré­tien. C’est la croy­ance à ce logos qui éclaire tout homme venant en ce monde. La réal­ité est bien dif­férente. Cette infail­li­bil­ité de la rai­son humaine sup­pose l’homme créé par un dieu, à son image, doué par lui d’une âme pen­sante, immortelle, de céleste orig­ine, qui entre lui et l’an­i­mal ouvre un hia­tus infran­chiss­able. C’est-à-dire que l’ar­gu­men­ta­tion de Jules Simon, comme celle de tous les philosophes de son école, sup­pose juste­ment ce qui est en question. 

Ce qui est bien cer­tain aujour­d’hui, au con­traire, c’est que toutes les races, dans l’e­spèce humaine, et tous les indi­vidus, dans chaque race, sont très iné­gale­ment doués de la fac­ulté logique et que l’emploi qu’ils peu­vent faire utile­ment de cette fac­ulté dépend surtout de la net­teté de leurs notions sur la nature réelle des choses, sur les rap­ports des hommes avec le monde et des hommes entre eux. Or c’est sur ces notions que toutes les reli­gions ont surtout erré. 

Il n’est donc pas indif­férent à l’É­tat que cer­taines reli­gions s’y propagent. 

Toutes les reli­gions se sont propagées, soit par le prosé­lytisme, soit par la force. Mais il suit de l’in­fir­mité si générale de la rai­son humaine, si facile à séduire par de vaines espérances, que leur expan­sion prosé­ly­tique ne prou­ve pas plus leur supéri­or­ité rationnelle que leur expan­sion par la force. Celle-ci prou­ve seule­ment qu’elles ont été adop­tées par les plus puis­sants, par les chefs des nations et dans leur intérêt ; celle-là démon­tre qu’elles ont séduit les con­sciences du plus grand nom­bre qui est tou­jours celui des intel­li­gences médiocres. Le paulin­isme chré­tien, qui s’est si rapi­de­ment répan­du dans l’empire romain en déca­dence, devenu le car­a­van­sérail de tous les dieux du monde, et qui a si com­plète­ment effacé, dès le pre­mier siè­cle, les vagues doc­trines esséni­ennes de Jésus, évidem­ment boud­dhistes d’in­spi­ra­tion et d’o­rig­ine, peut être con­sid­éré comme de niveau sup­périeur à toutes les petites super­sti­tions locales qui, au-dessous du culte des dieux offi­ciels, fai­sait la vie religieuse des peu­ples gré­co-latins, et con­sti­tu­aient surtout la reli­gion des femmes. Mais le chris­tian­isme paulin­ien, tel qu’il se répan­dit dans l’empire, et prit forme dans les con­ciles des trois pre­miers siè­cles, était une rétrogra­da­tion morale et intel­lectuelle évi­dente sur les grandes et saines doc­trines d’Ion­ie, d’Ab­dère, d’Elée et sur les doc­trines du Portique. 

Si le pro­con­sul romain, Ponce Pilate, au lieu de se laver les mains de la mort de Jésus, réclamée par la plèbe de Jérusalem, poussée par ses prêtres, avait sanc­tion­né le juge­ment d’Hérode et fait enfer­mer le pré­ten­du Messie dans un man­i­come, il eut sup­primé par là une des caus­es prin­ci­pales de la déca­dence de la civil­i­sa­tion gré­co-latine et épargné à l’Eu­rope entière quinze siè­cles de con­vul­sions sociales, de guer­res, de servi­tudes et de ténèbres intellectuelles. 

L’a­van­tage des reli­gions pure­ment nationales, comme celles des Grecs et des Romains, c’é­tait de n’être qu’un décor extérieur, une pompe publique qui ne pre­nait pas la con­science intime. Les dieux étaient les pro­tecteurs de la cité, de la race. Leur culte fai­sait des citoyens soumis à la loi, dévoués à la patrie. Pour les familles, il y avait les pénates, les dieux lares, le culte des ancêtres. Pour l’in­di­vidu, il y avait des légions de petits dieux inférieurs, ayant cha­cun leur spé­cial­ité, qu’on allait trou­ver dans leur sanc­tu­aire pour cer­taines mal­adies ou cer­taines affaires, comme de nos jours on va con­sul­ter un médecin spé­cial­iste ou un avo­cat,. et sou­vent avec autant d’ef­fi­cac­ité. Mais rien dans une telle reli­gion ne pre­nait l’homme entier, n’asservis­sait sa volon­té, sa conscience. 

Tout autres ont été les reli­gions prosé­ly­tiques. Celles-là ont tou­jours été des doc­trines du salut. Elles ont fondé leur puis­sance sur cette exagéra­tion de l’in­stinct de con­ser­va­tion qui fait que l’être humain ne peut se résign­er à cess­er d’être. Spec­ta­teur d’un jour au théâtre du monde, il pré­tend y occu­per une place à per­pé­tu­ité. Cette peur delà mort est dev­enue telle, chez nos races supérieures, qu’elles préfèrent un enfer éter­nel à l’anéan­tisse­ment. L’ef­fet moral de telles reli­gions qui vendent le salut à leurs sec­ta­teurs, sous la con­di­tion d’une obéis­sance absolue, d’un com­plet aban­don de la volon­té au dieu qu’elles enseignent, et qui, naturelle­ment, est représen­té par ses prêtres, c’est, avec une exal­ta­tion de l’é­goïsme, un relâche­ment des liens soci­aux. Amis, famille, patrie : tout doit être sac­ri­fié au salut. Le citoyen est sub­or­don­né au dévot. Le céno­bitisme, le monachisme en sont la con­séquence fatale, avec les croisades, les con­quêtes religieuses, les per­sé­cu­tions con­tre les hérésies, les guer­res civiles entre les sectes dis­si­dentes. Vouloir impos­er la tolérance à de telles reli­gions, c’est vouloir qu’elles ne soient pas. Il est plus facile de les détru­ire, que de les ren­dre humaines. Plus leur dogme est insen­sé, plus elles y tien­nent, et plus elles se mon­trent hos­tiles aux pro­grès de la rai­son qui tend à les nier, à les détru­ire. Ce qui fait leur dan­ger et leur force, c’est leur puis­sance de péné­tra­tion. Comme l’eau à tra­vers le sol, elles s’in­fil­trent chez les nations qui vivent en paix à l’om­bre des autels élevés à leurs dieux nationaux, purs sym­bol­es aux­quels elles ne croient guère. Leurs mis­sion­naires y mul­ti­plient leurs néo­phytes. Leurs con­gré­ga­tions s’y for­ment, y gran­dis­sent en silence ; elles con­stituent des fédéra­tions secrètes. Un jour l’É­tat se trou­ve miné, comme un jardin par les tau­pes, comme un navire par les tarets. Les hôtes qu’on avait reçus sans défi­ance, sont devenus des maîtres qui com­man­dent dans la mai­son. C’est là l’his­toire du boud­dhisme, en Asie, celle du chris­tian­isme en Europe. Telle fut égale­ment celle du mazdéisme chez les Par­sis qui se sub­sti­tua aux reli­gions de la Chaldée et de l’E­uphrate, jusqu’à ce qu’il fût chas­sé lui-même par l’is­lamisme, qui procé­da plus violemment. 

C’est ain­si que le mazdéisme détru­isit la puis­sance de Baby­lone, que le chris­tian­isme dis­lo­qua l’empire romain, que le boud­dhisme, envahissant la Chine, arrê­ta son évo­lu­tion mer­veilleuse, qui, sous les insti­tu­tions toutes civiles de Koung-fou-Tseu, lui avait valu plus de dix siè­cles de pro­grès rapides. 

IV

Les peu­ples n’ont-ils pas le droit et le devoir de se défendre con­tre ces envahisse­ments des reli­gions prosé­ly­tiques qui ne leur appor­tent jamais que des trou­bles intérieurs et des révo­lu­tions rétro­grades ? C’est un grave prob­lème à exam­in­er. Com­ment oppos­er la vio­lence à qui procède par la douceur ? Com­ment répon­dre par la per­sé­cu­tion à la prédi­ca­tion ? Quelle digue peut-on con­stru­ire con­tre l’in­fil­tra­tion. On tri­om­phe d’une armée de sol­dats avec des sol­dats ; com­ment se débar­rass­er d’une armée de ter­mites, d’une inva­sion de sauterelles ? 

La tac­tique des reli­gions prosé­ly­tiques con­siste à s’emparer d’abord des femmes. Par elles elles ont bien­tôt les enfants. À la généra­tion suiv­ante, elles ont con­quis les hommes. 

Le meilleur par­ti serait-il d’ou­vrir un libre champ à toutes les doc­trines les plus con­traires, qui s’ex­clu­ent et s’anathé­ma­tisent réciproquement ? 

Si chaque doc­trine avait le même droit pour s’af­firmer et se défendre, en sor­ti­rait-il des clartés qui dis­siperaient toute erreur, ne lais­sant sub­sis­ter que le résidu de vérités qu’elles peu­vent con­tenir ? Les faits de l’his­toire mon­trent qu’il n’en est pas ain­si dans la réalité. 

C’est qu’en effet, les plus sages sont loin d’être les plus nom­breux. Ils ne sont pas même les plus élo­quents. Ceux qui flat­tent les pas­sions des foules en sont mieux écoutés et mieux com­pris que ceux qui n’é­clairent que leurs esprits. Comme ceux qui écoutent ou qui lisent sont plus nom­breux que ceux qui écrivent ou qui par­lent, ce sont eux qui for­ment l’opin­ion en majorité. Cha­cun est sol­lic­ité à n’é­couter et à ne lire que les écrivains ou les ora­teurs qui traduisent ses pro­pres sen­ti­ments. De là, l’in­féri­or­ité numérique fatale des écoles d’élite qui cherchent à faire pro­gress­er l’e­sprit humain, a l’en­traîn­er dans des voies nou­velles, à le guérir de ses erreurs, de ses préjugés. Quand ces écoles arrivent à con­quérir une majorité d’ad­hérents, c’est que déjà d’autres minorités les ont dis­tancées en sig­nalant de nou­velles erreurs et dévoilant d’autres vérités. On peut donc énon­cer en règle que, si toutes les minorités n’ont pas rai­son, même rel­a­tive­ment, du moins c’est tou­jours une minorité qui a rel­a­tive­ment rai­son con­tre tout le monde. En reli­gion, plus encore qu’en poli­tique, la pire autorité, c’est celle du nom­bre. La lib­erté de dis­cuter suf­fi­rait-elle à résoudre le prob­lème de la lib­erté de croire ? 

Out­re cette lib­erté de la dis­cus­sion, il y a la lib­erté d’a­gir con­for­mé­ment à sa croy­ance, qui vient com­pli­quer la ques­tion ; c’est-à-dire la lib­erté de vivre de cer­taine façon, d’avoir cer­taines mœurs, d’en­ten­dre de cer­taine façon les liens et les devoirs de famille, d’ob­serv­er cer­tains usages, de par­ticiper à cer­taines céré­monies, de ren­dre aux morts cer­tains hon­neurs, suiv­ant cer­tains rites. Car tout cela est resté matière de reli­gion, et, autre­fois, le domaine religieux, bien plus éten­du, pre­nait tout l’homme. 

C’est encore à res­saisir tout l’homme que visent les reli­gions déjà con­sti­tuées entre les mains d’une hiérar­chie sac­er­do­tale, qui pré­tend par­ler au nom de Dieu. Il ne s’ag­it pas de preuves philosophiques, dis­ent-elles, il suf­fit d’établir l’au­then­tic­ité d’une révéla­tion, c’est-à-dire de prou­ver par le témoignage, l’ex­is­tence d’un fait matériel. 

M. Jules Simon leur a bien répon­du déjà qu’il n’y a de faits évi­dents que ceux dont on est témoin ; que le reste se dis­cute. « Et la preuve, dit-il, c’est qu’il y a des témoignages con­tra­dic­toires, des révéla­tions con­tra­dic­toires et des incré­d­ules de bonne foi qui rejet­tent toute révéla­tion. Com­ment ne sen­tez-vous pas que vous con­fondez l’év­i­dence qui est dans les faits, avec la cer­ti­tude qui n’est qu’en vous-même ? L’his­toire aurait dû vous dégoûter de ce sophisme. La chimère de l’u­nité a coûté assez de sang ; mais enfin aujour­d’hui, elle est vain­cue, les faits, tous les faits, sont con­tre vous ; les majorités se sont déplacées, le plus pitoy­able des argu­ments, l’ar­gu­ment du nom­bre est devenu ridicule ; il y a désor­mais droit de bour­geoisie pour toutes les croy­ances ; il faut donc trou­ver des argu­ments que vos adver­saires puis­sent admet­tre et ne pas les déclar­er impuis­sants par l’u­nique rai­son qu’ils ne croient pas ce que vous croyez. Eh ! sans doute, si une fois vous partez de la vérité de la révéla­tion, vous pou­vez dire que la rai­son est inutile ou n’est utile tout au plus que pour véri­fi­er les témoignages ; et vous pou­vez dire que toute spécu­la­tion est insen­sée dès qu’elle s’é­carte, ne fût-ce que d’une ligne, de la vérité révélée. Mais dites cela aux théolo­giens, dites-le aux fidèles ; ne le dites pas aux incré­d­ules. Cherchez des argu­ments qui puis­sent les con­va­in­cre. Ne sup­posez pas avec eux ce qui est en ques­tion, si vous voulez réelle­ment discuter.… » 

« Pro­pos­er une doc­trine, c’est recon­naître la lib­erté et la force de la rai­son ; impos­er une doc­trine par la vio­lence, par la cap­ta­tion ou par l’abêtisse­ment, c’est dégrad­er l’homme et désobéir à la volon­té de Dieu qui nous a fait intel­li­gents et libres. » 

C’est juste­ment de cette pré­ten­tion de tous les croy­ants d’obéir à la volon­té de Dieu, quand ils obéis­sent à leur con­science, ou à ceux qui la diri­gent, que vien­nent les dif­fi­cultés pra­tiques de la lib­erté. Car s’il s’agis­sait seule­ment de croire à un Dieu plutôt qu’à un autre, c’est une lib­erté très inno­cente que nul n’au­rait eu l’idée de con­tester à per­son­ne. Mais qui croit à un Dieu, se croit tenu de lui obéir, ou plutôt d’obéir aux inter­prètes de cette volon­té, qui ne s’ac­cor­dent pas entre eux, et sont tou­jours en désac­cord sur une foule de règles de con­duite. De sorte qu’un État où exis­tent des reli­gions mul­ti­ples, dont les adeptes ont toutes lib­ertés pour la pra­ti­quer fidèle­ment, devrait renon­cer d’abord à l’u­nité de loi, à cette unité de loi si pénible­ment con­quise dans les temps mod­ernes. Et, en effet, il existe dans le même État, des catholiques monogames qui n’ad­met­tent que le mariage indis­sol­u­ble, des protes­tants qui tolèrent le divorce, des Turcs ou des Mor­mons qui pra­tiquent la polyg­a­mie, des Guêbres qui épousent leurs sœurs, des Juifs qui admet­tent au moins le con­cu­bi­nage légal, des Chi­nois qui lui don­nent une grande exten­sion, enfin des Polynésiens qui se per­me­t­tent à peu près toutes les licences et des Fid­jiens qui man­gent leurs vieux par­ents pour leur témoign­er plus de respect, en face de cette mul­ti­plic­ité de cou­tumes et de lois, que devien­dra le droit civil ? 

Juste­ment parce que la lib­erté de con­science n’est pas seule­ment la lib­erté de penser et de croire, qu’elle n’est pas seule­ment la lib­erté d’ex­primer, de proclamer, de répan­dre sa croy­ance, il en résulte qu’elle ne peut être illim­itée sans détru­ire les fonde­ments même de la société mod­erne, et l’u­nité morale de toute société poli­tique en général. 

La lim­ite de la lib­erté de con­science, c’est la lim­ite de la lib­erté indi­vidu­elle elle-même qui s’ar­rête néces­saire­ment pour cha­cun où com­mence la lib­erté des autres ; et où la lib­erté de tous borne fatale­ment celle de chacun. 

Déter­min­er dans quelle mesure cette lib­erté d’a­gir peut être garantie à tous sans nuire à per­son­ne, c’est le prob­lème social par excel­lence, parce qu’à lui seul il con­tient tous les autres et les sub­or­donne à lui. 

La pre­mière con­di­tion de sa solu­tion, c’est que nulle reli­gion ne soit priv­ilégiée, que nulle d’en­tre elles ne s’in­féode l’É­tat ou ne lui soit inféodée ; c’est que toutes les églis­es, égale­ment séparées de l’É­tat, égale­ment tolérées par lui, ne reçoivent rien de lui, et vivent seule­ment des sub­ven­tions et des dons de leurs fidèles ; cela même soulève mille ques­tions sec­ondaires très complexes. 

Lâch­er égale­ment la bride à tous les prosé­lytismes, à tous les sac­er­do­ces, intéressés à faire vivre leur Dieu pour en vivre eux-mêmes, ne serait peut-être pas le moyen de pro­téger la lib­erté de penser, de croire et d’a­gir de chaque citoyen en par­ti­c­uli­er ; parce que la lutte ne serait jamais égale entre de sim­ples par­ti­c­uliers ayant leur manière de voir indi­vidu­elle, et des sectes déjà nom­breuses ou de vieilles et puis­santes hiérar­chies sac­er­do­tales, qui, ayant régné de longs siè­cles sur le monde, pos­sè­dent, par cela même, une red­outable puis­sance tra­di­tion­nelle, for­ti­fiée par l’ap­pui qu’elle ren­con­tre dans les instincts hérédi­taires de la race. 

V

Le tableau si élo­quem­ment tracé par Jules Simon des pré­ten­tions du fanatisme à s’im­pos­er par la per­sé­cu­tion, quand il pos­sède la force, ne con­vient point seule­ment à une reli­gion, à une Église, mais à toutes les Églis­es, à toutes les reli­gions. Si cha­cune d’elles, quand elle est vain­cue ou passe à l’é­tat de minorité, revendique à. son tour la lib­erté de con­science avec les mêmes argu­ments que fai­saient val­oir, con­tre elles, les reli­gions ou opin­ions, opprimées par elle, quand elle dom­i­nait, c’est pour s’en servir à res­saisir cette dom­i­na­tion et rede­venir exclu­sive et per­sécutrice, dès qu’elle en aura la puissance. 

Telle est la triste vérité qui ressort de toute l’his­toire ; tel a tou­jours été surtout l’e­sprit des reli­gions con­sti­tuées sur une hiérar­chie sac­er­do­tale, obéis­sant à ses pro­pres ten­dances, à ses pro­pres lois, ne rel­e­vant que d’elle-même, se recru­tant elle-même, indépen­dante du pou­voir civ­il ou l’in­féo­dant à lui. 

Les reli­gions civiles, sub­or­don­nées à l’É­tat, ne sont pas arrivées si vite et aus­si fatale­ment aux mêmes excès ; si elles ont été moins tyran­niques, c’est sous la con­di­tion de rester vis-à-vis de l’É­tat, dans cette étroite dépen­dance, dont elles ont tou­jours ten­té de s’af­franchir. Quand elles y ont réus­si, elles ont aus­sitôt ten­té de devenir dom­i­na­tri­ces, de faire servir l’É­tat à l’ex­pan­sion de leurs priv­ilèges, de con­ver­tir leurs lib­ertés en monopoles, d’employer la puis­sance publique à détru­ire, chas­s­er, per­sé­cuter les opin­ions rivales qui n’é­taient sou­vent que des sectes détachées d’elles, et à réduire au silence même leurs con­tra­dicteurs indi­vidu­els. En réal­ité, la lib­erté que récla­ment tous les sac­er­do­ces religieux est celle d’im­pos­er à tous, par tous les moyens, leurs dogmes, leur culte, leur autorité, d’abord toute morale, mais qui tend fatale­ment à saisir les corps et les âmes. Il est dans la nature des choses qu’il en soit ain­si ; car il est dans la nature humaine d’aller au bout de tout pou­voir qu’on lui laisse pren­dre, de chercher à l’é­ten­dre et d’en abuser sans lim­ites, dès que ce pou­voir est illimité. 

La lib­erté de con­science pour tous n’est donc pos­si­ble que sous la con­di­tion que chaque secte, déjà con­sti­tuée, ne puisse faire abus des forces dont elle dis­pose. Comme avec l’ac­croisse­ment de ses forces et le nom­bre de ses adeptes grandit la pos­si­bil­ité et la presque cer­ti­tude de ses abus, les Églis­es les plus puis­santes, les reli­gions déjà en majorité, doivent être plus étroite­ment assu­jet­ties à des lois que les reli­gions des minorités, tou­jours moins dangereuses. . 

C’est générale­ment le con­traire qu’on a fait. Toutes les reli­gions, déjà en majorité, sont dev­enues ou ont ten­du à devenir reli­gions d’É­tat et, dès lors, sont dev­enues intolérantes et per­sécutri­ces pour toutes les reli­gions rivales. 

Toute­fois, de nos jours, la posi­tion du prob­lème a changé. 

Toutes les anci­ennes reli­gions pos­i­tives, révélées, ayant un sac­er­doce con­sti­tué, ten­dent à s’u­nir con­tre la lib­erté de con­science indi­vidu­elle, con­tre les écoles libres de philoso­phie, con­tre la sci­ence, ses pro­grès, ses décou­vertes, qui bat­tent en brèche leurs dogmes, qui con­tes­tent leur orig­ine divine, cri­tiquent leurs tra­di­tions et nient les titres de leurs prêtres à exercer, au nom d’un dieu, leur dom­i­na­tion sur l’homme. Devant ce péril com­mun, qui men­ace leur autorité morale autant que poli­tique, tous les sac­er­do­ces font cause com­mune. Tous ten­dent surtout à garder ou à repren­dre le mono­pole de l’en­seigne­ment dont ils s’é­taient saisi et qui leur échappe. Garder l’en­fant, c’est garder l’avenir. S’ils gar­dent la mère, ils ont l’en­fant. Qu’im­por­tent les hommes ? Ils passent. Si la famille est ain­si désunie, ils s’en excusent, dis­ant qu’ils recon­stitueront son unité par la foi, quand les enfants élevés par eux seront adultes. 

C’est que toute reli­gion est un champ, un domaine pour son sac­er­doce, et que nul ne renonce aisé­ment à son domaine, à son champ, mais tend sans cesse à l’a­grandir, à le ren­dre plus fécond. La fécon­dité du domaine religieux se mesure aux biens immenses accu­mulés par toutes les Églis­es, durant les épo­ques de foi, dès que les lois leur ont recon­nu le droit de pro­priété. Leurs richess­es, leurs biens sont-ils con­fisqués, par suite d’un change­ment du régime poli­tique, dès que le droit de pos­séder leur est ren­du, de nou­velles richess­es s’ac­cu­mu­lent entre leurs mains. 

Il n’est point de pactole qui roule autant d’or dans ses flots qu’un courant de foi, dirigé par des prêtres qui vivent des offran­des faites au dieu. Le même fanatisme qui élève ses autels et les cou­vre d’of­fran­des, qui dote ses col­lèges sac­er­do­taux de vastes domaines et cou­vre ses prêtres de pier­reries, est aus­si celui qui pro­scrit les dieux rivaux, per­sé­cute leurs prêtres et leurs fidèles. L’un est tou­jours la mesure de l’autre. 

Quand s’él­e­vaient sur les ruines des tem­ples grecs et romains, fer­més par Con­stan­tin et détru­its par Théo­dose, les pre­mières basiliques chré­ti­ennes, l’Église romaine pro­scrivait les ariens, les euty­chéens, les manichéens, toutes les sectes dis­si­dentes qui, dès les pre­miers siè­cles, l’avaient divisée, et qui eussent ren­du la catholic­ité impos­si­ble, si elle n’eût dis­posé de toutes les forces de l’empire. Et quand toute l’Eu­rope se cou­vrait de cathé­drales, du dix­ième au seiz­ième siè­cle, l’Église chré­ti­enne fai­sait les croisades con­tre les Arabes et les Turcs au dehors, con­tre les Albi­geois, les Vau­dois, les Juifs à l’in­térieur. Les papes excom­mu­ni­aient les rois et les empereurs. L’in­qui­si­tion s’étab­lis­sait, mul­ti­pli­ant les bûch­ers ; les guer­res de reli­gion déci­maient les nations, répan­dant partout les ruines et la mort. 

Il en faut bien con­clure qu’il ne peut exis­ter de lib­erté religieuse pour tous que sous la con­di­tion d’ex­clure tous les sac­er­do­ces religieux de toute par­tic­i­pa­tion au gou­verne­ment civ­il et poli­tique ; qu’on peut leur laiss­er toute lib­erté de bénir et de maudire, d’en­seign­er et d’ex­com­mu­nier dans leurs Églis­es, au milieu de leurs pro­pres fidèles ; mais qu’il faut leur fer­mer avec soin les écoles publiques où les jeunes généra­tions appren­nent les devoirs du citoyen, les devoirs de l’homme envers l’homme. À tous les prêtres d’une Église, à tous les mem­bres d’un sac­er­doce engagé par ser­ment à en défendre les dogmes, l’en­seigne­ment de l’en­fant doit être inter­dit. L’É­tat lui-même doit don­ner à l’en­fant, avec l’en­seigne­ment des sci­ences, des règles cri­tiques qui, éclairant sa rai­son, peu­vent ain­si lui per­me­t­tre de juger, en toute indépen­dance, les titres de tous les dieux à leur foi, les dogmes de toutes les reli­gions, la morale de tous leurs prêtres, et de résis­ter à toutes les séduc­tions, à toutes les illu­sions, à tous les entraîne­ments, à tous les ent­hou­si­asmes ou à tous les fanatismes qui peu­vent les sol­liciter. À ces con­di­tions seule­ment on ne ver­ra plus les dieux armés con­tre les dieux voisins, les prêtres exil­er ou brûler d’autres prêtres. Les olym­pes for­cés à la paix, la lais­seront aux hommes. Les offran­des afflueront moins sur les autels ; avec elles dimin­ueront leurs pon­tif­es, et le dernier pon­tife fini­ra avec la dernière offrande, sans que même l’his­toire du temps enreg­istre cette fin, tant elle aura passé inaperçue. 

La reli­gion, la foi sera-t-elle morte pour cela ? Nulle­ment, cha­cun aura la sienne, dans le secret de sa con­science et cha­cun en sera libre­ment gou­verné. Mais, par le pro­grès des sci­ences, le pro­grès des esprits, la dif­fu­sion égale des vérités, évi­dentes pour tous, que nul n’au­ra plus intérêt à obscur­cir, se réalis­era une catholic­ité plus uni­verselle que n’a jamais été celle d’au­cune église. Pour tous, la cer­ti­tude aura rem­placé la croy­ance. Si au delà du champ si éten­du de la cer­ti­tude, il reste encore des curiosités intel­lectuelles à sat­is­faire, des points obscurs dans l’in­tel­li­gence, tous, du moins, s’ac­corderont sur ce principe qu’ils ne doivent en deman­der la solu­tion qu’à leur pro­pre rai­son, et ne doivent écouter que la voix de leur pro­pre con­science et qu’il n’est point de prêtres qui, là-dessus, en sachent plus long que tout le monde. 

Il y aura encore longtemps peut-être des écoles, des sectes philosophiques ; mais si les écoles philosophiques ont sou­vent subi des per­sé­cu­tions, jamais elles n’en ont exer­cé, même dans les moments où leurs luttes ont été le plus ardentes. Jamais elles n’ont ten­té de domin­er l’É­tat. Si par­fois quelque philosophe en a émis l’idée, sa ten­ta­tive tout indi­vidu­elle, a sem­blé à tous une con­tra­dic­tion. Ce qui dis­tingue tou­jours une secte philosophique d’une secte religieuse, c’est juste­ment que l’une se pro­pose à la con­science, à laque­lle l’autre s’im­pose  c’est que l’une procède de la lib­erté, l’autre de l’au­torité ; que le Dieu des prêtres se révèle par eux ; que celui des philosophes, quand ils en ont, se révèle par lui-même, sans inter­mé­di­aire, et que nul ne pré­tend les forcer d’en recon­naître un, s’ils n’en sen­tent pas le besoin. 

Toute l’his­toire démon­tre, au con­traire, que toutes les reli­gions dog­ma­tiques, soutenues par une hiérar­chie sac­er­do­tale se dis­ant l’in­ter­prète des volon­tés des dieux et déposi­taire élue de vérités révélées, inac­ces­si­bles autrement à la rai­son humaine, ont tou­jours aspiré et plus ou moins réus­si à con­stituer des théocraties tyran­niques, oppres­sives des con­sciences, et usurpatri­ces des pou­voirs civils ; qu’elles ont tou­jours inspiré à leurs adeptes un fanatisme intolérant, per­sé­cu­teur, enne­mi de toutes les lib­ertés, opposé à tous les pro­grès, soupçon­neux, défi­ant de toutes les supéri­or­ités, rebelle à leur supré­matie ; et qu’elles n’ont réus­si en somme qu’à fauss­er la moral­ité même des peu­ples qu’elles ont asservis. La plu­part des trou­bles des États, de leurs révo­lu­tions, des guer­res civiles qui les ont agités, des grandes guer­res de con­quête qui ont péri­odique­ment jeté les peu­ples les uns sur les autres, ont été l’œu­vre des sac­er­do­ces ou l’ef­fet de leur prédi­ca­tion. Toute reli­gion d’É­tat a fini par s’asservir l’É­tat, par y domin­er exclu­sive­ment, par enfer­mer tous les esprits dans l’im­passe de ses mys­tères et de ses con­tra­dic­tions dog­ma­tiques, en leur imposant la tyran­nie de ses pré­ceptes de con­duite, sou­vent con­traires à la morale et à la nature. 

La lib­erté de con­science est donc par elle-même la néga­tion de toute autorité religieuse. L’une ne peut sub­sis­ter en face de l’autre. Il faut que l’une tue l’autre. La lib­erté de con­science, niée en principe par tous les sac­er­do­ces, et par tous con­fisquée en pra­tique, n’a jamais pu exis­ter que chez les peu­ples échap­pés au gou­verne­ment des prêtres et dans la mesure où ils lui ont échap­pé. C’est parce qu’il n’a jamais existé encore de gou­verne­ment exclu­sive­ment civ­il, ne subis­sant l’au­torité ou l’in­flu­ence d’au­cuns pon­tif­es, que la lib­erté de con­science qui, comme lib­erté d’a­gir, est la lib­erté indi­vidu­elle elle-même, a tou­jours été étroite­ment lim­itée par des lois d’un car­ac­tère tout tra­di­tion­nel, et injus­ti­fi­able au point de vue de l’u­til­ité publique. 

Le seul moyen d’as­sur­er la lib­erté de con­science, comme lib­erté de penser et d’a­gir, c’est-à-dire d’é­ten­dre à ses lim­ites pos­si­bles la lib­erté indi­vidu­elle qui la con­fient, c’est d’é­clair­er les peu­ples sur leurs vrais besoins, sur leurs vrais devoirs ; c’est de les délivr­er ain­si des devoirs, dits religieux, dont ils ont été acca­blés jusqu’i­ci par les inter­prètes ter­restres de leurs dieux ; de leur épargn­er toutes ces pra­tiques pénibles, humiliantes ou ridicules, ces pri­va­tions, ces macéra­tions sans but qu’ils leur ont imposées, qui ont atteint et dépassé sou­vent les lim­ites du crime, et qui n’au­raient pu trou­ver d’ex­cuse que dans la folie égale de ceux qui les subis­saient et de ceux qui les ordon­naient ; « Mal­heur à vous ! doc­teurs de la loi, dis­ait Jésus aux prêtres des Juifs, car vous chargez les hommes de fardeaux insup­port­a­bles  mais vous-mêmes ne les touchez pas du bout du doigt. » 

Que cha­cun soit libre de s’im­pos­er toutes les pra­tiques ou les absten­tions qu’il croit être agréables à son Dieu, rien de mieux ; mais que ces absten­tions ou ces pra­tiques soient imposées par les prêtres de ce Dieu, même à ceux qui ne croient point en lui, ou qui ne jugent point qu’il les exige, c’est ce qui fera l’é­ton­nement des généra­tions qui nous suivront. 

Le seul moyen effi­cace de fonder dans les mœurs, après l’avoir écrit dans les lois, le principe de la lib­erté de con­science, c’est donc d’in­stru­ire les pop­u­la­tions pour les met­tre en état de résis­ter aux prédi­ca­tions, aux séduc­tions, aux promess­es ou aux men­aces des prêtres de tous les dieux, de tous les cultes, et aux entraîne­ments du fanatisme prosé­ly­tique ; c’est de répan­dre à flot l’in­struc­tion, de vul­garis­er les cer­ti­tudes sci­en­tifiques acquis­es, de faire con­naître à tous les lois de la nature, logique­ment et math­é­ma­tique­ment démon­trées ; c’est de met­tre à la portée de tous, sans l’im­pos­er à per­son­ne, l’en­seigne­ment sci­en­tifique à tous ses degrés, d’en pop­u­laris­er les principes dans des for­mules sim­ples et claires ; c’est, après avoir don­né à cha­cun l’art de lire, de faire en sorte que nul esprit ne manque du livre pro­pre à l’é­clair­er, à sat­is­faire ses curiosités ou à lever ses doutes. Ce qu’il faut, c’est oppos­er partout les évi­dences delà vérité cer­taine aux croy­ances erronées, aux espérances et aux craintes illu­soires des reli­gions qui s’ap­puient sur les pas­sions égoïstes de l’homme en les flat­tant, en les trompant, et en exploitant surtout ce pro­fond instinct de con­ser­va­tion enrac­iné en tout être vivant qui lui inspire l’ef­froi de sa pro­pre destruc­tion. Car c’est sur cet instinct que tous les sac­er­do­ces ont fondé leur puis­sance ; c’est lui et lui seul qui leur a livré l’hu­man­ité depuis ses plus loin­taines origines. 

Le moyen à la fois le plus légitime et le plus effi­cace de prévenir le retour de cette dom­i­na­tion tyran­nique du prêtre dans l’É­tat et la famille, c’est d’en mon­tr­er les résul­tats à tra­vers l’his­toire ; de faire voir quel a été dans l’évo­lu­tion de l’hu­man­ité, le rôle fatal des sac­er­do­ces, celui des théocraties ; c’est de faire con­naître l’o­rig­ine et les développe­ments de toutes les reli­gions qui se pré­ten­dent révélées, la nature du sen­ti­ment religieux lui-même et les racines pro­fondes qu’il a jetées dans l’âme humaine, par le fait d’une longue hérédité tra­di­tion­nelle, à tra­vers les âges d’ig­no­rance et de débil­ité intel­lectuelle de l’hu­man­ité encore à l’é­tat d’enfance. 

Il faut surtout faire con­naître aux hommes, l’homme lui-même, c’est-à-dire ce qu’ils ignorent le plus. L’homme ne se con­naî­tra lui-même, il ne sera guéri de toutes les fables inven­tées sur son orig­ine qu’en apprenant ce qu’elle a été. Il faut qu’il sache bien quels furent ses infimes com­mence­ments, ses pre­mières mis­ères, les luttes qu’il a dû soutenir pour pren­dre sa place sur la terre, où il arrivait désar­mé, nu, sans lan­gage, au milieu d’une créa­tion rivale ou enne­mie. Il faut qu’il con­naisse sa vraie place dans la série des êtres vivants, la vraie place de cette terre, aujour­d’hui son trop étroit roy­aume, au milieu de la pous­sière de mon­des dis­per­sés dans l’in­fi­ni des cieux et dont ses yeux perçoivent les loin­tains rayons. 

Seule la sci­ence peut guérir l’hu­man­ité de la mal­adie des croy­ances, tou­jours prête à la res­saisir, à la rep­longer en de nou­velles rechutes dont chaque fois elle ne sort qu’af­faib­lie ou mutilée. Seule la sci­ence, et ses évi­dences, peut réalis­er l’ac­cord des volon­tés par celui des esprits. Seule elle peut effac­er les préjugés qui ont divisé les races, les nations, les castes. Seule elle peut don­ner à toutes les curiosités, dans ses lim­ites acquis­es, des répons­es tou­jours iden­tiques en tous les lieux et en tous les temps. Seule elle peut se dire révélée car elle est la révéla­tion de la nature par elle-même. Seule elle peut se dire l’ex­pres­sion du logos éter­nel, de cette rai­son « qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Seule enfin elle peut assur­er la lib­erté de con­science, comme lib­erté de penser et comme lib­erté d’a­gir, parce qu’elle peut seule inspir­er à tous une bien­veil­lante tolérance pour tous et prévenir les actes de folie que le fanatisme religieux peut inspirer. 

Cette tolérance, nous l’avons vu, est impos­si­ble entre ces croy­ances opposées, et égale­ment absolues, que les divers­es églis­es ont tou­jours imposées à leurs sec­ta­teurs avec une rigueur d’au­tant plus grande qu’elles étaient plus indé­mon­tra­bles. C’est seule­ment à con­di­tion que cha­cun soit per­suadé qu’il peut se tromper, ou être trompé, qu’il se trompe cer­taine­ment en quelque chose, qu’il peut recon­naître aux autres la lib­erté d’être dans l’er­reur, la lib­erté de se tromper autrement que lui, ou même d’être seuls de leur opinion. 

Or c’est là, de toutes les lib­ertés la plus impor­tante, la plus néces­saire, puisque toute vérité nou­velle est d’abord l’a­panage d’un seul qui la décou­vre et qui reste seul pour la soutenir. S’il est donc une sorte d’opin­ions qui méri­tent tous les égards, tous les respects de l’hu­man­ité, ce sont les opin­ions indi­vidu­elles. Les autres se défend­ent tou­jours assez, et tout ce qu’on peut en crain­dre c’est qu’elles oppriment. 

[/Clé­mence Roy­er./]


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