La Presse Anarchiste

Revue des livres

[|Le Socia­lisme et la Science sociale, par G. Richard. — vol. in-18 de 200 pages, 3 fr. 50. — Paris, Félix Alcan, éditeur.|] 

M. Gas­ton Richard, agré­gé de phi­lo­so­phie, doc­teur ès-lettres, à fait paraître sous le titre Le Socia­lisme et la Science sociale un volume qui fait par­tie de la Biblio­thèque de Phi­lo­so­phie contem­po­raine ; il le pré­sente au public comme une œuvre de pur exa­men et il assure que ce n’est point un pam­phlet diri­gé contre le socialisme. 

Nous recon­nais­sons qu’il n’a point don­né à son livre cette allure de polé­mique hai­neuse à laquelle la plu­part des éco­no­mistes ortho­doxes nous ont habi­tués. Nous pen­sons même qu’il a vou­lu être impar­tial, mais il est évident qu’il n’a pas réus­si, car il n’a pas su se dépouiller de ses pré­ju­gés de classe. Il est fâcheux qu’il ne se soit pas péné­tré de l’es­prit du Dis­cours de la méthode avant d’a­bor­der son sujet. 

Nous sommes bien convain­cu que dans le monde de la féo­da­li­té capi­ta­liste, on n’a point ces pré­ju­gés-là et qu’on sait par­fai­te­ment à quoi s’en tenir sur les pro­blèmes sociaux dont le socia­lisme contem­po­rain cherche la solu­tion pra­tique ; aus­si doit-on sou­rire dans ce milieu des naï­ve­tés éco­no­miques de M. Richard. 

Il consi­dère le socia­lisme comme un état d’es­prit confus qu’il importe d’é­lu­ci­der ; il taxe d’exa­gé­ra­tion les théo­ries des Prou­dhon, des Marx et des Engels ; il conteste les âpres véri­tés que les pen­seurs socia­listes mettent au jour ; il ignore l’ex­ploi­ta­tion de la classe labo­rieuse qui a chan­gé sa condi­tion d’es­clave, puis de serve, pour celle de sala­riée, sans amé­lio­ra­tion bien sérieuse pour elle. 

Il se sert des ren­sei­gne­ments publiés par l’Of­fice du Tra­vail ; il pré­co­nise le mutua­lisme, la coopé­ra­tion et même le grou­pe­ment syn­di­cal, — pour­vu qu’il ne fasse pas trop de grèves — puis il conclut en décla­rant que le libé­ra­lisme pos­sède la pana­cée uni­ver­selle qui atté­nue­ra la concur­rence, fon­de­ra la soli­da­ri­té sociale tout en lais­sant aux hommes leur res­pon­sa­bi­li­té individuelle. 

Il célèbre, natu­rel­le­ment, la grande quan­ti­té d’é­par­gnistes qui par­ti­cipent à la pro­prié­té capi­ta­liste comme actionnaires. 

Il ne semble pas se dou­ter que les Socié­tés de secours mutuels, les coopé­ra­tives, les syn­di­cats ouvriers, les unions et les fédé­ra­tions de métiers sont des embryons de socia­lisme ; que, par suite, l’hu­ma­ni­té s’est enga­gée sur la route du socia­lisme et que ces formes timides de garan­tisme social dis­pa­raî­tront pour faire place à des ten­ta­tives plus har­dies au fur et à mesure que se déve­lop­pe­ra le régime capi­ta­liste, autre­ment dit le col­lec­ti­visme capi­ta­liste, contre lequel la classe labo­rieuse doit se défendre, 

M. Richard ne voit pas le pro­lé­ta­riat sans feu ni lieu pour lequel les Socia­listes reven­diquent le droit à l’exis­tence ; il nous apprend que par­mi les habi­tants de la cam­pagne, 56 % sont pro­prié­taires, 30,09 % fer­miers, colons ou métayers, 13,91 % vigne­rons, bûche­rons ou jar­di­niers, autre­ment dit qu’il n’y a pas de jour­na­liers ; 2° qu’il y a 5,534,145 patrons contre 799,647 employés et 6,935,723 ouvriers dans le com­merce et l’in­dus­trie ; 3° que 64 % des pay­sans sont pro­prié­taires de la mai­son qu’ils habitent et que d’une façon géné­rale 56 % des fran­çais sont dans les mêmes condi­tions. Ces chiffres extrê­me­ment roses sont offi­ciels et ne sont pas même contes­tés par les Socia­listes, sui­vant lui. 

On peut se deman­der si ceux-ci ont bien les moyens d’en pro­duire de nou­veaux pour contes­ter ceux du minis­tère du com­merce ; ont-ils décla­ré, d’ailleurs, qu’ils étaient incon­tes­tables ? Nous savons com­ment les sta­tis­tiques rela­tives aux syn­di­cats ouvriers se font et, par suite, nous ne pou­vons les consi­dé­rer que comme des fan­tai­sies arran­gées pour les besoins de la cause des modernes Pangloss. 

M. Richard ter­mine son livre par une fan­fare en l’hon­neur du libé­ra­lisme. Celui qu’il pré­co­nise est aimable, puis­qu’il ne borne pas la mis­sion de l’É­tat à faire le Gen­darme ; il veut, au contraire, que l’É­tat assure au Pro­lé­ta­riat — il existe donc — non seule­ment la liber­té, mais l’aide, le concours résu­mé dans l’i­dée d’é­du­ca­tion.

C’est fort bien ! Mais les mal­heu­reux pris par le chô­mage, mais les ouvriers qui, à par­tir de 40 ans, se voient fer­mer la porte des chan­tiers, des ate­liers et des usines comme trop vieux, mais les labou­reurs obli­gés de quit­ter leur com­mune avec leurs familles après avoir man­gé leurs der­niers sous, mais les petits com­mer­çants rui­nés, mais les jeunes gens qui ne peuvent trou­ver un gagne-pain mal­gré leurs diplômes, mais les mil­liers de mal­heu­reux qui tombent en route dans les fon­drières de notre socié­té impla­cable ou qui assiègent les portes des mai­sons de men­di­ci­té et des wor­khouses reli­gieuses pour leur pain et leur gîte !

M. Richard veut bien dis­cu­ter avec le socia­lisme et ne pas le consi­dé­rer comme un monstre alté­ré de sang ; il nous accorde que notre doc­trine est une erreur sin­cè­re­ment pro­fes­sée, mais issue fata­le­ment de l’é­tat impar­fait de nos connais­sances socio­lo­giques et qu’elle céde­ra à une cri­tique impar­tiale.

On n’est pas plus bien­veillant ! Ain­si, les éco­no­mistes et les phi­lo­sophes socia­listes sont des igno­rants ; quant à lui, M. Richard, il est infaillible comme le Pape. Nous avions pen­sé qu’un Engels, par exemple, devait avoir une com­pé­tence en matière de choses indus­trielles et éco­no­miques, qu’un pro­fes­seur ne pou­vait atteindre ; nous nous étions ima­gi­né que le Pro­fes­so­rat était contraire à la com­pré­hen­sion des choses pra­tiques ; mais, évi­dem­ment, nous nous étions trom­pés ; désor­mais les doc­teurs ès-lettres auront, seuls, qua­li­té pour tran­cher les ques­tions d’é­co­no­mie sociale et les astro­logues ne tom­be­ront plus dans les puits. 

M. Richard conclut en disant que le libé­ra­lisme nous don­ne­ra, avec la soli­da­ri­té sociale, la res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle, tan­dis que le socia­lisme ne serait que l’op­pres­sion de l’É­tat et l’ir­res­pon­sa­bi­li­té collective. 

Nous dénions abso­lu­ment que le socia­lisme sup­prime la res­pon­sa­bi­li­té humaine, mais ce que nous consta­tons dans notre socié­té, c’est que les classes pri­vi­lé­giées jouissent de tous ces avan­tages sans assu­mer la moindre responsabilité. 

Il fau­dra bien des livres comme celui de M. Richard pour faire dis­pa­raître le socialisme ! 

[/​Ch. Bru­ne­lière./​]

[|L’Homme de Génie, par Césare Lom­bro­so. — 2° édi­tion fran­çaise. — Tra­duc­tion de MM. F. Colon­na d’Is­tria et Cal­de­ri­ni. — Pré­face de M. Ch. Richet. — volume in‑8 de xxxi-582 pages. — 15 planches. — Paris 1896. — G. Car­ré, éditeur.|] 

Cet ouvrage fait par­tie de la biblio­thèque d’An­thro­po­lo­gie et de Socio­lo­gie qu’é­dite la mai­son Car­ré et Naud. Il est tra­duit sur la sixième édi­tion ita­lienne. Il pré­sente les mêmes défauts que la pre­mière édi­tion fran­çaise et que les pre­mières édi­tions ita­liennes. M. Lom­bro­so n’a pas recon­nu le bien fon­dé des cri­tiques faites et il main­tient ses asser­tions ris­quées. Quatre par­ties dans ce gros volume : la pre­mière, phy­sio­lo­gie et patho­lo­gie du génie ; la deuxième, étio­lo­gie du génie ; la troi­sième, le génie dans les fous ; la qua­trième, syn­thèse, la psy­chose dége­né­ra­trice (épi­lep­toïde) du génie. Un index alpha­bé­tique assez exact, aide à consul­ter l’ou­vrage. Impri­mé en Ita­lie, il y a de fré­quentes fautes typo­gra­phiques et la langue n’est pas tou­jours très pure. 

Dans ce volume de Lom­bro­so, on retrouve les mêmes qua­li­tés et les mêmes défauts qui sont dans toutes les œuvres du Maître ita­lien, dans L”Homme cri­mi­nel, dans Le Crime poli­tique, etc. Il sem­ble­rait que M. Lom­bro­so est dépour­vu de sens critique. 

En effet, les faits qu’il cite ne sont jamais exa­mi­nés avec soin par lui. Il ne les ana­lyse que super­fi­ciel­le­ment, si tant est qu’il le fait. Il se tient aux ren­sei­gne­ments de deuxième, troi­sième et qua­trième main ; ne va pas aux sources et accepte béné­vo­le­ment quan­ti­tés de faits qui devraient être dis­cu­tés tou­jours, et sou­ventes fois reje­tés. Il accueille tout ce qui tend à démon­trer l’i­dée à prio­ris­tique qu’il pos­sède. Il suf­fit que cela confirme sa concep­tion hypo­thé­tique pour qu’il le note sans véri­fier son exac­ti­tude. Lom­bro­so est à ce sujet si sub­jec­tif, si imbu de son hypo­thèse, qu’il écrit : « Il est cer­tain qu’il y a eu des génies pré­sen­tant le com­plet équi­libre des facul­tés intel­lec­tuelles, mais ils offraient alors des défauts dans l’af­fec­ti­vi­té, dans le sen­ti­ment ; per­sonne ne s’en aper­ce­vait, ou plu­tôt, per­sonne ne l’en­re­gis­trait  — voi­là tout. » C’est là un pro­cé­dé très simple, mais pas très scien­ti­fique ! On n’ob­serve pas une chose et on affirme son exis­tence ! ! Notons que même ration­nel­le­ment, on ne peut affir­mer l’exis­tence de ces défauts d’af­fec­ti­vi­té ou de sentiment. 

M. Ch. Richet estime que la thèse de M. Lom­bro­so est tout à fait démon­trée par le détail des faits nom­breux qu’il cite. Réel­le­ment, les faits sont très nom­breux. Ils se pressent, s’ac­cu­mulent, se suivent un peu sans ordre, touf­fus, dif­fus. À une lec­ture rapide, ils semblent démons­tra­tifs. Mais si l’on réflé­chit, on constate que tels qui parais­saient pro­bants, ne le sont pas du tout ; que tels autres auraient besoin d’être eux-mêmes prou­vés. Le lec­teur est un peu étour­di par la masse de faits entas­sés par Lom­bro­so. On suc­combe sous leur poids. On lit vite, car l’ou­vrage est entraî­nant et inté­res­sant et on ne per­çoit pas les erreurs d’in­ter­pré­ta­tions, la fai­blesse de cer­taines déduc­tions, le peu de soli­di­té de cer­tains argu­ments, l’ab­sence d’in­di­ca­tions des sources pour véri­fier les faits. Pour nous, l’ou­vrage de Lom­bro­so ne prouve pas la nature épi­lep­toïde du génie. Certes nous ne nions pas qu’il y ait eu des génies fous, des génies épi­lep­tiques, des génies plus ou moins aber­rants, mais nous pen­sons qu’il y a des génies sains. Lom­bro­so le recon­naît. Rien d’ex­pé­ri­men­tal ou d’ob­ser­vé ne l’au­to­rise à affir­mer sciem­ment que ces génies sains avaient des failles dans l’af­fec­ti­vi­té, le sen­ti­ment. Il le fait gra­tui­te­ment pour confir­mer sim­ple­ment sa manière de voir. On pour­rait aus­si repro­cher à Lom­bro­so d’é­tayer sa thèse sur une foule de gens qu’il classe comme génies et qui sont d’illustres incon­nus, même par­mi les éru­dits. Il est ratio­nel­le­ment cer­tain que les influences cos­miques, sociales, héré­di­taires, agissent sur les indi­vi­dus et sont les fac­teurs du génie. Les cli­mats, les pays de plaines, de col­lines, de pla­teaux, de hautes mon­tagnes, de val­lées, les maré­cages, les com­po­si­tions du sol, la race, le sexe, l’an­ces­tra­li­té, les mala­dies, la pro­fes­sion, l’é­du­ca­tion, l’ins­truc­tion, les milieux poli­ti­co-social et fami­lial, etc., sont sans nul doute des causes géni­trices dans le génie. Lom­bro­so a rai­son de les recher­cher, mais les déduc­tions qu’il tire déjà sont un peu aven­tu­rées, pré­ma­tu­rées. Aucunes, par exemple, celles rela­tives à la race, sont en contra­dic­tion avec l’o­pi­nion beau­coup plus for­te­ment moti­vée de cer­tains savants, de Tylor entre autres. 

Les œuvres de Lom­bro­so sur la cri­mi­no­lo­gie, comme son livre sur l’Homme de Génie, auront eu cet inap­pré­ciable valeur de remuer une masse consi­dé­rable d’i­dées, de les expo­ser d’une façon inté­res­sante, d’in­vi­ter les scien­tistes à les étu­dier, à les élu­ci­der. Lom­bro­so est un remueur d’i­dées, mais sans méthode, sans esprit cri­tique. Il a été exces­si­ve­ment utile à la science, car il a appe­lé l’at­ten­tion de tous sur des études importantes. 

À cause de cela, on ne lui repro­che­ra point trop sa hâte de publier des ouvrages sans bien élu­ci­der tous les faits qu’il apporte à l’ap­pui de sa thèse. Quoi qu’il en soit, l’Homme de Génie vaut d’être lu. Il ren­ferme tant d’i­dées vraies.

[|Mémoires du géné­ral comte de Saint-Cha­mans, 1802 – 1832. — Volume in‑8 de 542 pages. Avec une hélio­gra­vure, por­trait de l’au­teur. — Paris 1896. — 7 fr. 50 Plon, Nour­rit et Cie, éditeurs.|]

Ces mémoires, comme Une famille ven­déenne pen­dant la Grande Guerre, dont nous avons par­lé dans l’Huma­ni­té Nou­velle, font par­tie de la magni­fique col­lec­tion des mémoires his­to­riques que publie la mai­son Pion. Le comte de Saint-Cha­mans fut aide de camp du Maré­chal Soult, Il fut mêlé au monde mili­taire de l’Em­pire, de la Res­tau­ra­tion, des Cent jours et de la seconde Res­tau­ra­tion. Il fut spec­ta­teur et acteur. Il sut voir, il sut noter. Il fut sol­dat de 1801 à 1831, et par­vint au grade de géné­ral, et il com­man­da devant l’en­ne­mi. Il connaît très bien l’é­tat mili­taire, aus­si son opi­nion vaut-elle qu’on la relate ici : « l’é­tat mili­taire est le plus mal­heu­reux que puisse choi­sir un homme, par les dégoûts, les injus­tices, les souf­frances, les pri­va­tions et les dan­gers dont on y est jour­nel­le­ment acca­blé » (p. 17). Il y a des nota­tions bien sug­ges­tives. Ain­si M. de Saint-Cha­mans nous apprend que Soult aimait beau­coup être à l’a­bri du dan­ger et que ce défaut était com­mun à beau­coup d’of­fi­ciers géné­raux qui dans les grades infé­rieurs n’a­vaient pas regar­dé à se faire tuer. La for­tune est la cause de cela, selon notre auteur (p. 35). Les effets de la guerre ne sont pas celés. On voit les sol­dats vaillants luti­ner vio­lem­ment les jeunes femmes dans les villes prises d’as­saut (p. 44 et 171). Les sol­dats, les offi­ciers, les four­nis­seurs voler à qui mieux mieux (p. 149, 213, 437, etc.). Ailleurs (p. 65), le géné­ral auteur nous apprend que les par­le­men­taires sont tou­jours des espions à l’a­bri des lois, comme les ambas­sa­deurs. Et cette obser­va­tion prouve que notre auteur n’est pas dépour­vu d’es­prit phi­lo­so­phique. Ne cite-t-il pas aus­si diverses anec­dotes qui indiquent pour les hommes poli­tiques une mora­li­té très fruste (p. 87) ? Des pas­sages fort inté­res­sants sont ceux rela­tifs à l’in­sur­rec­tion de 1830. Il y a là des pages sèches, véri­tables rap­ports, qui méritent d’être médi­tées. M. de Saint-Cha­mans com­man­dait une colonne qui eut ordre de se pro­me­ner dans tout Paris lors des fameuses jour­nées. L’au­teur narre une anec­dote mon­trant que la misère fut la cause prin­ci­pale du sou­lè­ve­ment du peuple et il estime que s’il avait eu de l’argent à dis­tri­buer au peuple, il n’y aurait pas eu de révo­lu­tion. Il constate aus­si que l’in­fan­te­rie refu­sa de tirer sur le peuple révolté. 

On lira cer­tai­ne­ment avec grand plai­sir les ren­sei­gne­ments, anec­dotes, détails intimes et nou­veaux, sou­ve­nirs inédits que les Mémoires de M. de Saint-Cha­mans nous donnent sur la Cour, la ville, l’ar­mée, la guerre, les sou­ve­rains fran­çais et étran­gers, etc., pen­dant les trente pre­mières années du siècle. Nous devons signa­ler aux édi­teurs diverses notes mal mises, notam­ment page 7. 

L’ou­vrage se ter­mine par une bonne table alpha­bé­tique des noms cités. 

[|L’an­née scien­ti­fique et indus­trielle (1896) par Émile Gau­tier. — Volume in-18 de xi-531 pages. — 75 figures et por­traits. — Paris, 1897. — 3fr. 50. — Hachette, éditeur.|] 

On aime natu­rel­le­ment à se tenir au cou­rant des pro­grès réa­li­sés chaque année dans les sciences et dans l’in­dus­trie. M. Louis Figuier avait com­pris ce désir, ce besoin même, et en 1856, il fon­dait l’Année scien­ti­fique qu’il conti­nua jus­qu’à sa mort. M. Émile Gau­tier lui a suc­cé­dé. Le volume qu’il consacre à l’an­née 1896 est bien. Il est suf­fi­sam­ment com­plet et sa lec­ture est aisée. Le recueil com­mence par la Cos­mo­lo­gie (Astro­no­mie et Météo­ro­lo­gie) ; puis c’est la phy­sique avec de nom­breuses pages consa­crées aux rayons X ; ensuite la chi­mie, l’his­toire natu­relle, les sciences bio­lo­giques (phy­sio­lo­gie, méde­cine, hygiène), l’a­gri­cul­ture, les arts indus­triels, les tra­vaux publics, la marine, la géo­gra­phie. Une cin­quan­taine de pages sont consa­crées aux Aca­dé­mies et Socié­tés savantes de France, et cela nous semble inutile, car la matière dont il y est par­lé peut ren­trer sous d’autres rubriques. Il n’est nul­le­ment inté­res­sant de savoir les noms des lau­réats des Aca­dé­mies. Sous le titre de « varié­tés », envi­ron vingt pages sont consa­crées à des choses inté­res­santes et qui ne pou­vaient se clas­ser. Une nécro­lo­gie inter­na­tio­nale ter­mine le livre de M. Gau­tier. Peut-être cette nécro­lo­gie n’est-elle pas assez com­plète. En somme, un bon livre, utile et qu’on lira. 

[|De l’o­na­nisme chez la femme, par le Dr Pouillet. — volume in-18 de 216 pages. — 3 fr. 50. — Paris 1897. — Vigot, éditeur.|] 

Il existe un très grand nombre de trai­tés sur l’o­na­nisme chez l’homme, mais il n’existe que fort peu d’ou­vrages sur l’o­na­nisme fémi­nin. Le sujet valait qu’on le trai­tât scien­ti­fi­que­ment. C’est ce qu’a fait avec la plus grande com­pé­tence le doc­teur Pouillet. Voi­ci le plan qu’il a sui­vi au cours de son étude : Défi­ni­tion de l’o­na­nisme, ori­gine, his­to­rique som­maire ; formes ; causes ; signes ; consé­quences locales et géné­rales ; trai­te­ment ; conclusion. 

Nous n’a­vons aucune cri­tique à faire à ce petit manuel que les mères devraient lire pour savoir veiller sur leurs filles, que les maris et les amants devraient médi­ter pour ne pas mettre en dan­ger la san­té et même la vie de leurs com­pagnes ; que les femmes qui se mas­turbent devraient étu­dier pour échap­per aux acci­dents locaux et géné­raux qui sont la consé­quence fatale de l’onanisme. 

[|Hyp­no­tisme, Reli­gions, par le Dr Félix Regnault. — Volume in-18 de viii-317 pages, avec 53 des­sins de A. Col­lom­bar. — 3 fr. 50. — Paris 1897. — Schlei­cher frères, éditeurs.|] 

L’ou­vrage du Dr Regnault est pré­cé­dé d’une courte mais sub­stan­tielle pré­face de M. Camille Saint-Saëns. Le livre a 21 cha­pitres et un appen­dice consa­cré aux Béguins de la val­lée du Gier et aux masques. 

Les reli­gions ont eu pour pre­mier mobile la recherche de la véri­té, le désir de savoir, de connaître et l’im­puis­sance d’ex­pli­quer. L’homme a ima­gi­né les Dieux plus ou moins à son image. Car nous ne pou­vons pas ima­gi­ner ce que nos sens ne nous ont pas appris. L’i­ma­gi­na­tion n’est qu’une série d’as­so­cia­tions de sou­ve­nirs. La sor­cel­le­rie naquit pour se défendre des mau­vais esprits, et le culte fut cal­qué sur la vie popu­laire. Le doc­teur Reguault trouve que la prière et le culte ont socia­le­ment une action sug­ges­tive utile. 

Cela est vrai, mais il est aus­si vrai que socia­le­ment ces prières et ce culte ont eu aus­si une action nui­sible. M. Regnault ne le dit point ; peut-être ne l’a-t-il pas vu. Certes la socié­té peut tirer pro­fit de croyances erro­nées et c’est le cas pour la reli­gion, mais la socié­té aurait peut-être eu plus de pro­fit si ces croyances erro­nées n’a­vaient pas eu cours. Quoi­qu’il en soit, il faut avec l’au­teur recon­naître que les croyances et les pra­tiques reli­gieuses ont joué dans la socié­té un rôle immense. L’hys­té­rie reli­gieuse est de toutes les reli­gions et de tous les temps ; on le voit à la lec­ture de l’ou­vrage du doc­teur Regnault ; on en a des preuves nom­breuses dans l’Écho du Mer­veilleux que publie M. Gas­ton Méry et dans les inci­dents fré­quents exta­tiques de Tilly-sur-Œuvres, qui se passent actuel­le­ment. Divers cha­pitres sont consa­crés au juif erran­tisme, à la léthar­gie, à la véné­ra­tion des fous et des per­son­nages hys­té­riques, aux sor­ciers, à la pos­ses­sion démo­niaque, aux incubes, aux hys­té­riques, fon­da­teurs de reli­gions, aux mar­tyrs anes­thé­siés, à la sug­ges­tion réa­li­sant les pro­phé­ties, à l’hyp­no­tisme et aux miracles anciens qui sont vrais, aux miracles contem­po­rains et aux pèle­ri­nages, etc. Le doc­teur Regnault étu­die le rôle de la sug­ges­tion reli­gieuse dans la guerre et il le juge exces­si­ve­ment impor­tant, plus même qu’il ne nous paraît l’être en réa­li­té. La sug­ges­tion selon lui l’emporte sur la qua­li­té des armes, sur le nombre, sur l’ha­bi­le­té stra­té­gique. Le fac­teur moral est tout (p. 216) ! Et l’au­teur, aban­don­nant la science abs­traite pour la science appli­quée, réclame des offi­ciers vigou­reux, rom­pus aux exer­cices phy­siques, à la parole har­die, au geste déci­dé ; de belles brutes en un mot pour la guerre, l’u­tile guerre, car c’est là un idéal pour l’au­teur. Il écrit : « De nos jours, la foi reli­gieuse s’est en par­tie per­due chez nous. Mais beau­coup croient encore et fer­me­ment. Il appar­tient aux diri­geants de ne pas lais­ser perdre ce fac­teur pré­cieux du cou­rage. Ne mêlez pas les pro­vin­ciaux cré­dules avec les scep­tiques des villes. Ces der­nier feront grand mal en riant de l’a­mu­lette que porte le pay­san et qu’il croit pro­tec­trice. Aux croyants, il faut des aumô­niers pleins de zèle, des pra­tiques reli­gieuses fré­quentes et hono­rées par tous les chefs. » (p.190,191). M. le doc­teur, Regnault aurait dû ajou­ter : il faut per­pé­tuer les erreurs, entre­te­nir des concep­tions fausses dans l’es­prit de la masse pour que cette masse tra­vaille et meure pour les diri­geants. Cette conclu­sion inévi­table de l’o­pi­nion de l’au­teur est bru­tale, mais elle est lumi­neuse et M. Regnault aurait eu rai­son de l’é­crire. On eût été au moins aver­ti que la fin de ses études était non pas le mieux-être des humains en géné­ral et l’ex­pan­sion de la véri­té, mais la conti­nua­tion de l’er­reur pour le bien-être d’une minorité. 

L’au­teur affirme que « croire est une néces­si­té sociale : une foi com­mune peut seule unir les hommes en socié­té. » Il faut donc une reli­gion, non pas celle d’au­jourd’­hui, car l’an­ti­no­mie entre la science et elle est com­plète. Quelle sera cette reli­gion ? L’au­teur le laisse entre­voir en disant « qu’au lieu de com­battre la véri­té, la foi doit s’é­di­fier avec ses maté­riaux. » Cette reli­gion là, nous en vou­lons bien, mais sous son cou­vert nous ne vou­lons pas qu’on conti­nue l’er­reur en per­pé­tuant des concep­tions fausses chez cer­tains, sous pré­texte que la véri­té leur serait nui­sible. Oui, les reli­gions ont eu leur uti­li­té, mais elles ont eu leur nui­sance et il serait peut-être dif­fi­cile d’é­ta­blir un exact bilan et de prou­ver qu’elles furent plus utiles que nui­sibles. On peut s’é­le­ver contre l’i­dée de l’au­teur qui affirme que l’homme a besoin d’autre chose que la véri­té : l’en­thou­siasme. Mais l’en­thou­siasme peut très bien exis­ter conjoin­te­ment avec la seule recherche de la véri­té. On peut fort bien se sacri­fier pour la véri­té. Elle peut déve­lop­per l’es­prit de soli­da­ri­té. Tout cela dépend de l’é­du­ca­tion, des mœurs, et la foi irrai­son­née, absurde, n’est pas néces­saire pour avoir des socié­tés solides, puis­santes, robustes et vivaces. 

[|Index biblio­gra­phique|]

Le Monde où l’on imprime, par L. Muhl­feld, volume de cri­tique lit­té­raire, « regards sur quelques let­trés et divers illet­trés contem­po­rains » ; in-18 ; 3 f r. 50 ; Per­rin, édi­teur. — Un pays de céli­ba­taires et de fils uniques, par Roger Debu­ry, volume contre la dépo­pu­la­tion, beau­coup d’emphase et rien de pro­fond ; in-18 ; 3 fr. 50 ; Den­tu, édi­teur. — Contre et pour le néo mal­thu­sia­nisme, par P. Robin, bro­chure inté­res­sante, sérieuse ; in‑8°; Stock, édi­teur. — Phy­sio­no­mie de saints, par Ernest Hel­lo, volume remar­quable par la beau­té du style et le vide du fond ; in-18 ; 3 fr. 50 ; Per­rin, édi­teur. — L’in­di­vi­du et le com­mu­nisme, bonne bro­chure de pro­pa­gande com­mu­niste ; in-18 ; 0 fr. 15 ; Temps Nou­veaux, édi­teur. — L’Art et la Socié­té, par Charles-Albert, bro­chure de pro­pa­gande ; in-18 ; 0 f r. 16 ; Art social, édi­teur ; — L’En-Dehors, par Zo d’Axa, recueil d’ar­ticles publiés en 1892 dans son jour­nal L’En-Dehors ; cela n’a pas vieilli et se lit avec joie ; volume in-18 ; 1 fr’. ; Cha­muel, édi­teur. — Le pro­blème social, par Louis Ulbi­no, volume sans valeur his­to­rique et cri­tique ; in 18 ; 3 fr. ; F. Alcan, édi­teur ; — Béran­ger et la légende napo­léo­nienne, par Jules Gar­sou, bro­chure in‑8 de 47 pages ; étude un peu sèche, pas assez cri­tique, qui fera par­tie d’un ensemble de tra­vaux sur l’in­fluence de la lit­té­ra­ture sur la légende Napo­léo­nienne ; 1 fr. ; P. Weis­sen­bruch, édi­teur. Bruxelles. — Affaire de la rue Taver­nier, stran­gu­la­tion par les mains ou suf­fo­ca­tion, par A. Lacas­sagne ; bro­chure in‑8 de 34 pages ; rap­port médi­co-légal très pré­cis et inté­res­sant spé­cia­le­ment les légistes ; Storck, édi­teur, à Lyon ; Mas­son, édi­teur, à Paris. — Loi­sirs for­cés, Aven­tures et pen­sées d’un pri­son­nier, par Fritz Fried­mann ; volume in-18 ; pas bien inté­res­sant cet ouvrage, mais il faut tou­te­fois signa­ler quelques pages éparses où l’on peut pui­ser des notes sur les pri­sons, les poli­ciers, les magis­trats ; 3fr. 50 ; P. Ollen­dorf, édi­teur. — Doc­trine de l’Hu­ma­ni­té, Pierre Leroux, bro­chure in‑8, publiée par le fils de de ce pen­seur, recueil d’o­pi­nions récentes sur ce génie, auquel on va éle­ver une statue. 

[/​A. Hamon./​]

La Presse Anarchiste