Le Socialisme en Angleterre, par Tom Mann (Sozialistische Monatshefte. avril). – L’auteur de l’article essaye de déterminer quels sont les progrès actuels du socialisme en Angleterre. Pour cela il compare deux moments du mouvement, la période qui a précédé 1882, et celle qui embrasse ces quinze dernières années. Il montre d’abord les ouvriers anglais attachés aux deux grands partis politiques, les conservateurs et les libéraux, travaillés par les adeptes de la tempérance et les non-conformistes, s’intéressant surtout aux courses de chevaux et au foot-ball et s’approvisionnant aux coopératives par mesure d’économie. Le mouvement socialiste anglais commence à se déterminer nettement à partir de la période où les ouvriers anglais luttent contre la police dans la rue pour obtenir le droit de faire des démonstrations sur la voie publique et de tenir des meetings en plein air. La grève de 89 – 90 donne une nouvelle impulsion et fournit l’occasion de fonder les célèbres nouvelles Trades unions en organisant les non professionnels. Le socialisme commence à pénétrer largement tout le mouvement ouvrier si bien qu’aux congrès ouvriers les trois quarts des délégués sont socialistes.
L’Internationalisme des travailleurs anglais organisés se dénote par les secours en argent qu’ils envoient à leurs collègues du continent qui sont en grève. C’est ainsi que pour la grève de Hambourg les constructeurs mécaniciens anglais ont envoyé aux dockers allemands 500 liv., les maçons 500 liv. et les chauffeurs et charpentiers de navire 225 liv. Les coopératives de consommation elles-mêmes sont en majorité socialistes. Enfin les résultats obtenus aux dernières élections malgré le système du vote plural et le coût onéreux des campagnes montrent bien le progrès que le socialisme démocratique a fait en Angleterre.
D’ailleurs le rapport mensuel du Parti ouvrier indépendant accuse 14.289 membres cotisants auxquels on peut ajouter 5.000 non cotisants. La Fédération sociale démocratique compte 10.000 membres et la société fabienne avec d’autres groupes socialistes 2.000. Ces chiffres sont sans doute assez faibles si on les compare à ceux que donnent certains partis socialistes continentaux. Ils sont importants pour l’Angleterre surtout si l’on envisage les résultats déjà obtenus par les camarades anglais et à ce propos Tom Mann ne peut s’empêcher de grandement s’étonner que les « conditions du travail se soient si peu améliorées sur le continent alors que la France possède 62 socialistes députés au Parlement, l’Allemagne 48, la Belgique 33… Si les socialistes anglais avaient 10 ou 12 camarades à la Chambre des Communes nous verrions certainement ou bien se réaliser des réformes par voie législative… ou bien l’opposition aux mesures capitalistes deviendrait si vive qu’il en résulterait des troubles continuels jusqu’à ce que les revendications ouvrières soient prises en considération. »
L’État idéal, étude sociale d’après la « République » de Platon, par Johannes Gaulke, « Akademie », avril. – L’auteur a de très vives craintes : il lui semble qu’actuellement on ne se défie pas assez de l’idéalisme et de Platon. Pour ce dernier l’individu n’est qu’un rouage de la machine publique, il lui faut se plier à d’inflexibles lois ; il est la propriété de l’état ; la communauté des femmes est principale dans ce système, l’oppression de l’art y est postulée. Or, qui ne voit qu’actuellement l’état est un déplorable Mécène ? Le militarisme actuel présente une analogie très grande avec la caste guerrière de la « République ». La tendance à l’égalité devient de plus en plus menaçante. L’individu est inflexiblement courbé à l’école et dans l’industrie. La société moderne est donc sur le point de réaliser l’état idéal de Platon. Elle le réalisera parfaitement par l’avènement du socialisme d’État. C’est là un grand danger. Il faut donc s’apprêter à livrer le dernier combat pour la liberté de l’humanité ; combattre l’état idéal platonicien, c’est-à-dire le socialisme d’État. Platon fait encore trop de disciples. On s’en serait peut-être peu douté sans l’article de M. Gaulke.
Problèmes du Socialisme. — L’importance politique et sociale de l’espace et du nombre, par E. Bernstein. « Neue Zeit ». nos 30 et 31 – E. Bernstein déplore dans la « Neue Zeit » que les socialistes se préoccupent si peu de certaines questions importantes pour une doctrine fondée sur la science. Les utopistes même du commencement du siècle s’en inquiétaient davantage que ces socialistes qui n’accordant à l’état nulle confiance ne comptent fonder la société socialiste que sur les ruines de ce dernier. Toute la théorie des adversaires de l’état repose sur une manière de preuve ressemblant fortement à la preuve ontologique de l’existence de Dieu : il nous semble cependant que cette ressemblance n’exclut pas certaine différence, mais peu importe d’ailleurs.
E. Bernstein argumente de la façon suivante : s’il y a bien actuellement des phénomènes sociaux qui semblent indiquer que l’on pourra dans la société future se passer des organes qui constituent l’état, il suffit pourtant d’examiner les conséquences de la limitation de l’espace et de l’augmentation de la population pour être persuadé exactement du contraire. Le nombre et l’espace voilà ce qui bien examiné doit nous rendre sozial-démocrates.
En effet : 10.000 hommes ne peuvent donner immédiatement et directement leur avis sur tous les points qui les intéressent ; un million, etc., ne le peut « a fortiori ». Il est donc « évident » qu’il faut que subsiste une délimitation territoriale et on ne voit d’ailleurs pas pourquoi les nations ne continueraient pas à former des unités administratives, surtout étant donnés les progrès des moyens de transport. Or, il est impossible de désigner chaque année par voie de suffrage tous les employés de l’administration des transports. Il est en outre impraticable de vouloir affermer à des associations libres l’administration de ce service ; ces associations ne tarderaient pas, en effet, à se livrer à une concurrence frénétique. Donc, il faut qu’il y ait des fonctionnaires et permanents et responsables. Ils remplaceront avantageusement la communauté : on a vu pourquoi. Ils la remplaceront agréablement puisqu’ils n’obligeront pas chaque citoyen à donner son avis tous les dimanches sur des questions auxquelles il n’entend rien.
L’espace et le nombre servent encore à E. Bernstein à fonder la nécessité de sanctions pénales pour les crimes importants, à regretter que la propagande sociale démocratique appuie surtout sur les « droits » des citoyens bien plus que sur leurs devoirs, etc.
Et E. Bernstein conclut : Si l’on ne regarde pas la société comme une espèce de mollusque, on est obligé de lui concéder un squelette, c’est-à-dire une manière d’état. Étudions la question et nous croirons à la nécessité d’organes aussi utilement conjonctifs que les fonctionnaires.
L’évidence et l’analogie jouent un grand rôle dans l’argumentation de M. Bernstein.
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