La Presse Anarchiste

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À pro­pos du livre du pro­fes­seur Kis­tia­kovs­ki : Étude sur la peine capi­tale, par M.P. Danevs­ki (Russ­kaia Mysl, février). – L’ou­vrage du pro­fes­seur Kis­tia­kovs­ki est consi­dé­ré comme un des meilleurs trai­tés de la lit­té­ra­ture euro­péenne sur la peine de mort. L’ar­ticle de M.P. Danevs­ki est une cri­tique appro­fon­die de cette étude minu­tieuse, remar­quable par la méthode d’in­ves­ti­ga­tion sui­vie par l’au­teur. M. Danevs­ki se range du côté des savants juristes pour pro­tes­ter éner­gi­que­ment contre l’ap­pli­ca­tion de la peine capi­tale. Le gou­ver­ne­ment a nom­mé il y a quelque temps une com­mis­sion spé­ciale char­gée d’é­la­bo­rer la révi­sion du code pénal russe. Cette com­mis­sion a rédi­gé un pro­jet dans lequel elle se pro­nonce pour la sup­pres­sion de la peine de mort en géné­ral. Elle fait une réserve. Elle demande à la conser­ver dans les cas de crimes poli­tiques, tels que : atten­tat contre la vie du tsar, de la tsa­rine, du tsa­ré­vitch et autres membres de la famille impé­riale ; révolte contre le régime poli­tique en Rus­sie et autres délits impor­tants. Tou­te­fois le pro­jet exempte de cette peine les femmes. Il sup­prime la peine de mort pour « mau­vaise inten­tion » de l’ac­cu­sé. Jus­qu’i­ci cette « mau­vaise inten­tion » ou ten­ta­tive ou pré­pa­ra­tion même vague était punie avec la même rigueur que si le crime eût été perpétré. 

M. Danevs­ki appuie sur ce fait que l’au­teur Kis­tia­kovs­ki étu­die la ques­tion de la peine capi­tale en cor­ré­la­tion avec le déve­lop­pe­ment intel­lec­tuel et social de l’hu­ma­ni­té. M. Kis­tia­kovs­ki démontre avec évi­dence que l’ap­pli­ca­tion de cette sorte de sup­plice dans telle ou telle socié­té est subor­don­née à l’é­tat de culture de celle-ci à l’é­poque don­née. M. Kis­tia­kovs­ki donne en outre une base socio­lo­gique à son expli­ca­tion des réformes légis­la­tives et de l’ex­tinc­tion de cer­taines ins­ti­tu­tions. Par­mi celles-ci, il com­prend aus­si la peine capi­tale, ins­ti­tu­tion qui est, d’a­près lui, sur le point de dis­pa­raître. Il en donne l’his­to­rique et il constate que la peine capi­tale a le plus sou­vent été pra­ti­quée par l’homme pri­mi­tif, à cette période de l’é­vo­lu­tion sociale où le régime de ven­geance était encore en pleine vigueur et où l’i­dée de l’im­par­tia­li­té ne s’é­tait pas encore for­mée. Il voit dans l’in­té­rêt éco­no­mique — l’a­van­tage d’un dédom­ma­ge­ment maté­riel pour une perte ou une offense — le fac­teur essen­tiel qui contri­bua à rendre ce mode de sup­plice moins fré­quent. Mais les délits ordi­naires étaient aus­si punis de la même manière. De là l’i­dée de la néces­si­té d’un arbitre neutre, d’une auto­ri­té publique qui plus tard se trans­forme en pou­voir de l’É­tat. M. Kis­tia­kovs­ki conclut que l’es­cla­vage a exer­cé une influence énorme, sinon pré­do­mi­nante, sur le main­tien de la peine capi­tale et sur l’é­ten­due de son application. 

D’a­près M. Kis­tia­kovs­ki la concep­tion sociale d’un peuple ne se mani­feste dans aucune de ses ins­ti­tu­tions avec autant de net­te­té que dans l’his­toire du bour­reau lui-même. Les pre­miers bour­reaux dans les socié­tés consti­tuées furent les princes et le plus sou­vent encore les prêtres. À la suite de la sécu­la­ri­sa­tion, les fonc­tions du bour­reau pas­sèrent aux magis­trats char­gés de rendre la jus­tice. Peu à peu, ce ser­vice se trans­for­ma en une pro­fes­sion hono­rable exer­cée par des hommes de métier. Et ce n’est qu’a­près de longs siècles, qu’aux yeux du public, le bour­reau est deve­nu cet « être hideux et lâche » qui n’ins­pire que du mépris et du dégoût. « M. de Maistre, ajoute l’au­teur, s’est plu à affir­mer que la gran­deur, la puis­sance et la subor­di­na­tion des socié­tés humaines reposent sur le bour­reau qui per­son­ni­fie la ter­reur et sert en même temps de lien entre ses membres ; en son absence l’ordre ferait place au chaos, les trônes s’ef­fon­dre­raient et la socié­té elle-même ces­se­rait d’exis­ter. Il a ain­si mon­tré la signi­fi­ca­tion du bour­reau dans notre socié­té contem­po­raine en se gui­dant d’a­près l’i­déal d’une civi­li­sa­tion qui a vécu. » 

M. Kis­tia­kovs­ki relève ce fait que ce sont les petits pays qui, les pre­miers, sup­pri­mèrent chez eux la peine capi­tale. Leur exemple fut sui­vi par les États de deuxième ordre et les grandes puis­sances, comme l’I­ta­lie, par exemple, furent les der­nières a se déci­der a adop­ter cet ordre de choses. Et il ajoute qu’il n’est que temps de sup­pri­mer entiè­re­ment ce sup­plice en Rus­sie, d’ailleurs si contraire au génie natio­nal, car de tout temps il a été réprou­vé par le peuple russe. 

[/​Marie Strom­berg./​]

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