La Presse Anarchiste

Correspondance

La Répu­blique gré­vyste. – Les méca­niques qui ne mar­chaient pas, grin­çaient où mar­chaient à rebours, sont, parait-il, chan­gées ; et cha­cun croit, en France, qu’a­bon­dam­ment. grais­sés par le bud­get (comme il convient), tous les rouages de l’É­tat répu­bli­cain tour­ne­ront désor­mais dans une har­mo­nie par­faite. Soit ; mais, comme une machine ne tourne pas pour le seul plai­sir de tour­ner, il reste à savoir une chose : si le nou­veau méca­nisme va fonc­tion­ner pour ou contre le pro­lé­ta­riat ; s’il aide­ra à fabri­quer du pain pour qu’on ne danse plus devant le buf­fet vide, ou si les gibou­lées de plomb qui trouent les poi­trines poi­lues, vont tout bon­ne­ment recom­men­cer. Nous nous deman­dons, en d’autres termes, si le pro­lé­ta­riat fran­çais gagne quelque chose au rem­pla­ce­ment de la Répu­blique maré­cha­lesque par la Répu­blique gré­vyste ; ou bien, s’il nous faut fre­don­ner pru­dem­ment le refrain populaire :

C’é­tait pas la peine assurément
De chan­ger de gouvernement.

Admet­tons donc que tout soit en place, hommes et choses, et pas­sons tout le bazar en revue, avec cet œil soup­çon­neux qui convient à des hommes qui sont presque tou­jours refaits.

La Chambre haute regorge jus­qu’au der­nier étage de réac­tion­naires répu­bli­cains. La Chambre basse est rem­plie jus­qu’à la cave de répu­bli­cains réac­tion­naires. M. Gré­vy, dit l’intègre, est assis au fau­teuil de la pré­si­dence, et M. Gam­bet­ta se ren­gorge dans son faux-col qui craque, et pro­mène sa son­nette et son œil sur le tumulte de l’Assemblée.

On espère de M. Gré­vy bien des choses, qu’il fau­drait ne pas espé­rer. J’ac­cor­de­rai, si l’on veut, que M. Gré­vy jus­qu’i­ci n’a pas com­mis de fautes ; mais on convien­dra avec moi que, pares­seux avec délices, M. Gré­vy n’a­vait jamais rien fait. Or, vous savez le pro­verbe : « qui n’es­saie rien, ne se trompe jamais ». É tant don­née l’im­mo­bi­li­té native du nou­veau pré­sident de la Répu­blique, il ne pou­vait faire des fautes qu’à la condi­tion qu’on en com­mit pour lui ; son pre­mier minis­tère abuse de la per­mis­sion. Et bien­tôt, — nul homme sérieux n’en doute, — on ver­ra M. Gré­vy dégrin­go­ler de la pré­si­dence, dépu­ce­lé de sa répu­ta­tion ancienne, plié en deux, sous le poids des balour­dises des autres, balour­dises qu’il n’au­ra point per­son­nel­le­ment com­mises mais qu’entre deux bâille­ments il aura contresignées.

M. Gam­bet­ta est plus habile. Au cours de la der­nière crise minis­té­rielle, il a sen­ti toutes les dif­fi­cul­tés de sa situa­tion, et il a promp­te­ment avi­sé. Son élec­tion comme pré­sident de la Chambre a été un coup de maitre, et de maître-coquin. Chef de la majo­ri­té, il était dans l’o­bli­ga­tion de com­battre le minis­tère Dufaure, tous les minis­tères centre gauche, de deve­nir chef de cabi­net, de tom­ber à son tour, de perdre ce qui lui reste de vir­gi­ni­té par­le­men­taire, de ris­quer son avenir.

Une fois, il a pu voter contre M. Dufaure, tout en s’abs­te­nant de par­ler contre lui ; mais les cri­tiques de la presse l’ont aver­ti qu’il serait peu pru­dent de tenir de nou­veau cette atti­tude oblique. Il a com­pris ; et, dans sa sou­plesse de sal­tim­banque, il s’est réfu­gié dans les bras du fau­teuil de Saint-Sébas­tien ; il s’est mis à cou­vert der­rière le mutisme de la pré­si­dence, et, désor­mais en sûre­té, il attend, dans cette pre­mière étape néces­saire, l’oc­ca­sion de gra­vir un fau­teuil plus brillant, celui dont le bois est tout meur­tri du sabre du maré­chal, et dont le velours va être frois­sé et usé par le der­rière intègre de M. Grévy.

Comme on le voit, ce n’est pas brillant, côté des hommes ; voyons côté des dames, si les ins­ti­tu­tions valent mieux.

Le par­ti socia­liste ouvrier se forme en France ; or, il est cer­tain que le déve­lop­pe­ment orga­nique d’un groupe, comme celui d’un homme ou d’une plante, dépend dans une large mesure de la qua­li­té du milieu au sein duquel cette évo­lu­tion s’ef­fec­tue. Nous ne contes­tons pas qu’un sys­tème d’ins­ti­tu­tions libé­rales, comme la res­ti­tu­tion de toutes nos liber­tés, ne soit une atmo­sphère favo­rable à la rapide crois­sance de notre par­ti. Nous recon­nais­sons que la Répu­blique seule nous don­ne­ra ces liber­tés ; mais il faut nous deman­der si, mal­gré les hommes que nous avons dépeints, la Répu­blique gré­vyste en est grosse.

Hélas ! non. La machine n’a fait que deux tours de roue à peine, et voi­ci déjà deux pro­duits fre­la­tés : une liber­té (celle de la presse) fou­lée ; une autre liber­té (celle des pros­crits) escamotée.

Pour avoir publié des articles signés de deux membres de la Com­mune, le jour­nal la Révo­lu­tion fran­çaise vient d’être condam­né, en ver­tu d’un décret-loi pris dans l’ar­se­nal de 1852. De plus, une com­mis­sion nomi­née parle, non pas de remettre tout sim­ple­ment la presse en liber­té, mais de codi­fié toutes nos lois sur la presse !

Le pro­jet d’am­nis­tie, tel qu’il sort des mains de la com­mis­sion, montre avec la plus vive clar­té le peu de libé­ra­lisme gou­ver­ne­men­tal. Seront gra­ciés et amnis­tiés ceux-là seuls que le gou­ver­ne­ment juge­ra bon de gra­cier et d’am­nis­tier. Tous les autres, les chefs de la Com­mune, les Inter­na­tio­na­listes, ceux qui pour­raient aider à la consti­tu­tion du par­ti socia­liste, le gou­ver­ne­ment les craint.. Il ne les amnis­tie­ra pas. Ils res­te­ront en pri­son comme Cos­ta, comme Gel­ler, comme Guesde ; à l’é­tran­ger, comme Val­lès ou Pin­dy ; en Nou­velle-Calé­do­nie, comme Louise Michel et ses amis.

Si c’est là ce qu’on appelle la res­ti­tu­tion de nos liber­tés, j’im­plore l’au­to­ri­sa­tion de deman­der antre chose. Pas vrai ?

Ques­tion du tra­vail . – Le pro­jet de loi sur les chambres syn­di­cales, dépo­sé sur les bureaux de la Chambre par M M. Lockroy et C°, ne réus­sit pas à conqué­rir l’adhé­sion des tra­vailleurs. Trente-quatre syn­di­cats de Lyon ont dis­cu­té en assem­blée géné­rale la ques­tion de savoir s’il fal­lait appuyer ce pro­jet, ou récla­mer son retrait. Dix-sept chambres syn­di­cales ont conclu au rejet pur et simple du pro­jet. Qua­torze ne consen­ti­ront à l’ap­puyer que si de nom­breux amen­de­ments le trans­forment. Un seul syn­di­cat accepte sans réserve. Il en est de même à Paris. Qua­rante-trois chambres syn­di­cales ne veulent pas en entendre par­ler. Toutes les chambres syn­di­cales, celles de Paris et celles des dépar­te­ments, réclament le seul éta­blis­se­ment du droit com­mun, c’est-à-dire la liber­té de réunion et celle d’as­so­cia­tion. Le seul jour­nal ouvrier, le Pro­lé­taire, conclut aus­si au rejet du projet.

Nous allons pro­ba­ble­ment nous trou­ver en face de deux congrès ouvriers. L’un est celui de Mar­seille, — le troi­sième congrès ouvrier de France, l’autre est le congrès dit des prud’­hommes. La plu­part des ouvriers trouvent avec grand sens qu’il est peu utile et fort coû­teux de convo­quer un congrès pour dis­cu­ter la seule ques­tion des prud’hommes.

Ils pensent que l’on devrait aban­don­ner l’i­dée de ce congrès et por­ter tout sim­ple­ment la ques­tion qu’on veut, y dis­cu­ter, à l’ordre du jour du congrès de Mar­seille. Selon nous, ils ont raison.

Quoi qu’il en soit, la com­mis­sion qui orga­nise le congrès ouvrier dit des prud’­hommes, invite toutes les chambres syn­di­cales et toutes les socié­tés de pro­duc­tion à nom­mer dans le plus bref délai trois délé­gués pour assis­ter à ce Congrès.

J’ai aus­si sous les yeux la cir­cu­laire adres­sé par la com­mis­sion d’or­ga­ni­sa­tion du congrès de Mar­seille à tous les tra­vailleurs et aux socié­tés ouvrières de France. Ce docu­ment est d’une trop grande éten­due pour que vous puis­siez le publier in exten­so. Je vais en don­ner un résu­mé à vos lecteurs.

Les signa­taires de la cir­cu­laire, élus pour consti­tuer la com­mis­sion d’or­ga­ni­sa­tion, rap­pellent que la convo­ca­tion du congrès de Mar­seille à été déci­dée par le congrès de Lyon. Ils montrent que le pro­lé­ta­riat fran­çais a pris conscience de lui-même en tant que par­ti, et qu’il a pris pour devise : « Éman­ci­pa­tion des tra­vailleurs par les tra­vailleurs eux-mêmes. » Ils disent ensuite son fait à la Répu­blique Gré­vyste : les tra­vailleurs ont tout sacri­fié pour elle ; elle n’a rien fait encore pour les tra­vailleurs ; il faut que cette ingra­ti­tude cesse, ajoutent-ils ; le qua­trième État ne demande pas, comme le tiers-État jadis, à  être tout ; mais il veut, au moins, être quelque chose. Enfin le mani­feste fait appel aux groupes ouvriers pour que l’ordre du jour puisse être consti­tué au plus tôt.

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