La Presse Anarchiste

Les Clefs d’un témoignage

Le témoignage rap­porté par Mihai Dinu Ghe­o­rghiu offre au lecteur un matéri­au d’une excep­tion­nelle richesse, tant par ce qu’il révèle de la vie d’un cadre tech­nique pen­dant la fin de l’ère Ceaus­es­cu que par les infor­ma­tions poli­tiques, fussent-elles sub­jec­tives, sur les linéa­ments sur­prenants de la non moins sur­prenante « révo­lu­tion » roumaine des 21–23 décem­bre 1989.

Une pre­mière infor­ma­tion doit être retenue qui à l’époque n’avait pas appelé l’at­ten­tion des pub­li­cistes plus préoc­cupés de sen­sa­tion­nel nécrophile que de com­préhen­sion. C’est l’at­tente et l’e­spoir habi­tant la pop­u­la­tion dès la chute du mur de Berlin, ain­si que son extrême ner­vosité avant et après le xive con­grès du PCR qui, une fois encore, avait con­sacré le suc­cès sans partage du secré­taire général du par­ti et de son clan. Ceux qui suiv­aient avec minu­tie les événe­ments roumains avaient eu vent de ten­sions et de con­tes­ta­tions par­mi les cel­lules ouvrières au cours des mois précé­dant l’or­gan­i­sa­tion du con­grès. Des voix s’él­e­vaient dans les organ­i­sa­tions de base pour repouss­er la réélec­tion de Ceaus­es­cu tan­dis que quelques intel­lectuels décou­vraient, tar­di­ve­ment, et comme par enchante­ment, les ver­tus de la dis­si­dence. Or ce texte nous apprend qu’a­vant même la chute du régime, et les événe­ments de Timisoara, une man­i­fes­ta­tion de protes­ta­tion était prévue à Iasi… Quelque chose était donc ébran­lé dès lors que l’al­lié le plus fidèle, vas­sal de l’URSS bre­jnévi­enne, Honeck­er, avait dû céder, devant la con­tes­ta­tion pop­u­laire, tan­dis que pour les joueurs aver­tis, il ne pou­vait s’a­gir que d’un lâchage de la part des Sovié­tiques. Puis vint le tour de la Tché­coslo­vaquie. Il n’é­tait plus pos­si­ble de douter que les par­tis com­mu­nistes étaient bal­ayés avec la com­plic­ité des ser­vices secrets locaux et sovié­tiques. Aujour­d’hui, on sait avec pré­ci­sion que les ordres don­nés pour réprimer fer­me­ment les man­i­fes­ta­tions de Leipzig ont été court-cir­cuités par les KGB-istes de la Stasie et que la répres­sion de la pre­mière man­i­fes­ta­tion de la « révo­lu­tion de velours » à Prague n’é­tait qu’une provo­ca­tion organ­isée par les ser­vices de sécu­rité afin de décon­sid­ér­er les durs du par­ti com­mu­niste et de per­me­t­tre la mise en place de solu­tions plus réformistes.

En Roumanie, la sit­u­a­tion était plus com­plexe. Depuis vingt ans, la poli­tique de Ceaus­es­cu visait à élim­in­er, autant que faire se pou­vait, l’in­flu­ence interne et externe des Sovié­tiques. Si bien qu’il fal­lait plutôt compter avec les courants réformistes œuvrant de manière plus ou moins autonome au sein du par­ti. Si, comme le remar­que l’au­teur, la police est omniprésente dans le cen­tre de la ville, recou­vre de pein­ture les slo­gans anti-Ceaus­es­cu et inter­dit tout attroupe­ment, il n’empêche que ses com­porte­ments man­i­fes­tent une ambiguïté cer­taine. D’un côté, la police ter­rorise par sa seule présence, tan­dis que de l’autre elle arrête des étu­di­ants qui man­i­fes­tent en por­tant des signes de deuil et des bou­gies (se con­for­mant au style des man­i­fes­tants de Leipzig et de Prague, preuve, s’il en fal­lait, du rôle des média inter­na­tionaux), mais elle les relâche le lende­main matin après leur avoir fait pay­er une sim­ple amende pour un motif dérisoire au regard d’une men­ace révo­lu­tion­naire : « trou­ble de l’or­dre pub­lic ». Cette atti­tude mon­tre, me sem­ble-t-il, que le coup d’É­tat-révo­lu­tion était déjà en pré­pa­ra­tion au sein même de la Secu­ri­tate. Et je n’en veux pour preuve que l’épisode de Falticeni, lorsque le témoin décou­vre que le colonel de la Secu­ri­tate d’un rég­i­ment sta­tion­né près de cette ville est présen­té par les autorités locales comme l’un des organ­isa­teurs de la « révo­lu­tion » dans la ville !

D’autres indices ren­for­cent cette lec­ture. Ain­si, on apprend que les respon­s­ables de l’or­dre à Sucea­va, les chefs de la mil­ice (depuis dev­enue police) et de la Secu­ri­tate se met­tent aux ordres du con­seil pro­vi­soire, tan­dis que leur supérieur hiérar­chique, l’in­specteur général du min­istère de l’In­térieur du départe­ment, con­tin­ue d’ex­ercer un pou­voir suff­isant pour con­train­dre l’ad­min­is­tra­tion des Postes d’in­staller au siège du con­seil des télé­phones sup­plé­men­taires. C’est encore cet offici­er supérieur du main­tien de l’or­dre qui prend en charge les casernes de la mil­ice et de la Secu­ri­tate afin d’éviter que les sol­dats et les sous-officiers ne soient pris de panique et ne com­met­tent quelque bêtise sanglante. À cela, il con­vient d’a­jouter le rôle attribué au secré­taire du par­ti du départe­ment et aux officiers supérieurs de la mil­ice et la Secu­ri­tate : pris en otage par le con­seil, ils demeurent calmes voire déten­dus ; c’est ce com­porte­ment qui les rend sus­pects et non une quel­conque offen­sive cher­chant à les délivr­er des mains des « révo­lu­tion­naires ». Il faut donc en con­clure qu’ils savent ne rien ris­quer. On en trou­vera la preuve ultime à la fin du témoignage, avec l’his­toire des revolvers per­dus puis retrou­vés, lorsque ces mêmes officiers, changeant de ton, les lui récla­ment en retrou­vant leurs anci­ennes habi­tudes de com­man­de­ment. C’est là que les « révo­lu­tion­naires » et surtout le témoin, obser­va­teur per­spi­cace, mesurent leur impuis­sance et les manip­u­la­tions dont ils furent l’objet.

C’est encore à la lumière de ce témoignage que l’on peut com­pren­dre com­bi­en les nou­velles alarmistes lancées par la télévi­sion et la radio de Bucarest (avec la com­plic­ité de cer­taines radios étrangères) sont les armes de la désta­bil­i­sa­tion des nou­veaux pou­voirs locaux, pré­caires et insta­bles, lesquels sont oblig­és de s’en remet­tre à la pro­tec­tion de la Secu­ri­tate pour se garan­tir de toute attaque des invis­i­bles et omniprésents « ter­ror­istes ». Le témoin devine très vite que les bruits alarmistes qui tra­versent la ville, une attaque ici ou là, un braquage de banque, ou de mag­a­sin, etc., ne recou­vrent aucune réal­ité sinon comme manœu­vre des­tinée à empêch­er le nou­veau pou­voir de s’or­gan­is­er. Sa ver­sion me paraît d’au­tant plus crédi­ble que les « révo­lu­tion­naires » n’ont pas d’armes ou lorsqu’ils en pos­sè­dent elles sont dépourvues de car­touch­es ! Quant à la Secu­ri­tate, jamais elle ne tire sur les « révo­lu­tion­naires ». Voilà qui détru­it le mythe des « ter­ror­istes » qui, selon les média roumains et occi­den­taux, voulaient défendre jusqu’à la mort le régime Ceaus­es­cu. Une chaîne de télévi­sion française avait même filmé dans un hôpi­tal de Bucarest des « ter­ror­istes » blessés ! « Ter­ror­istes » aus­si vrais que les charniers de Timisoara et leurs 4.000 morts ! Quant à la foule massée devant le siège du con­seil, ses huées, ses accla­ma­tions sug­gèrent à l’ob­ser­va­teur que des infor­ma­teurs, des provo­ca­teurs et des agents divers de la Secu­ri­tate jouent de l’in­con­stance et de la ver­sa­til­ité d’une foule apeurée pour désta­bilis­er le conseil.

La lec­ture de ces lignes laisse devin­er où se situe le vrai pou­voir : il demeure fer­me­ment entre les mains des anci­ennes forces de l’or­dre qui sem­blent plus ou moins bien con­trôler la sit­u­a­tion et lais­sent les gens vivre une expéri­ence de révolte qui se donne comme révo­lu­tion. D’autres élé­ments d’in­for­ma­tion con­fir­ment cette inter­pré­ta­tion. Ain­si l’im­pos­si­bil­ité du nou­veau pou­voir local à chang­er les directeurs d’en­tre­prise mon­tre les lim­ites étroites de ce pou­voir et ce qui, der­rière, garan­tit à l’an­ci­enne organ­i­sa­tion le main­tien de ses privilèges.

Lorsqu’au début du mois de jan­vi­er 1990, quelques jours après l’exé­cu­tion som­maire du prési­dent Ceaus­es­cu et de son épouse, j’avais écrit et pub­lié un arti­cle inti­t­ulé, « Un ther­mi­dor à la roumaine » [[Repub­lié dans les Cahiers d’Iz­tok, n°1, édi­tion Acratie,1991.]], je n’avais à ma dis­po­si­tion, out­re une con­nais­sance assez pré­cise de l’his­toire sociale et poli­tique de la Roumanie con­tem­po­raine, que les invraisem­blances relevées à la vision des images télévisées, l’é­coute des radios, la lec­ture des jour­naux. Peu après, on appre­nait que les charniers de Timisoara n’é­taient qu’une igno­ble et macabre mise en scène, que les « ter­ror­istes » étrangers (surtout arabes !) n’avaient jamais existé, que le FSN s’é­tait for­mé bien avant le mois de décem­bre 1989.

Plus tard, en févri­er 1990, lors d’un voy­age d’un mois en Roumanie, les nom­breuses inter­views effec­tuées dans divers milieux socio-pro­fes­sion­nels me prou­vaient que la « révo­lu­tion » de décem­bre n’avait été qu’un remar­quable coup d’É­tat, qu’une remar­quable mise en scène de révo­lu­tion jouant à la fois sur les reg­istres intérieurs (faux com­bats et vrais morts à Brasov par exem­ple) et les média étrangers. Mise en scène de révo­lu­tion où, par­fois, des bavures ont causés des vic­times non prévues par le scé­nario (com­bats entre quelques com­pag­nies de la mil­ice et de la Secu­ri­tate con­tre l’ar­mée à Sibiu). Toute­fois, en cer­tains endroits, à Timisoara et Bucarest surtout, il était pos­si­ble de croire aux prémiss­es d’une authen­tique révolte pop­u­laire sans qu’elle pos­sédât jamais la force d’un boule­verse­ment rad­i­cal. Aux lieux-clefs du pou­voir nous ne vîmes émerg­er aucun leader qui n’ap­partînt déjà à la nomen­klatu­ra ou à l’élite intel­lectuelle longtemps collaboratrice.

Révo­lu­tion man­quée diraient cer­tains. Tel n’est pas mon avis, car il n’y eut jamais à pro­pre­ment par­ler de révo­lu­tion : tout au plus une con­tre-révo­lu­tion réal­isée par des com­mu­nistes réformistes à laque­lle s’est mêlée ici ou là (Timisoara, Cluj, Brasov) les prémiss­es d’une révolte pop­u­laire bien vite reprise en main. Enfin, et ce n’est pas la moin­dre de ses vic­toires, l’ex-PCR rebap­tisé FSN a réus­si à se don­ner une légitim­ité démoc­ra­tique grâce à son suc­cès élec­toral. Or les pré­parat­ifs de la cam­pagne élec­torale se sont faits dans l’at­mo­sphère d’une véri­ta­ble cam­pagne de teneur occulte organ­isée par des équipes mixtes com­posées d’an­ciens activistes du par­ti et des mem­bres de la Secu­ri­tate (en par­ti­c­uli­er dans les cam­pagnes et les petites villes), tan­dis que l’or­gan­i­sa­tion des élec­tions était con­trôlée par l’an­ci­enne admin­is­tra­tion soucieuse de ne rien per­dre de ses prérog­a­tives [[En par­ti­c­uli­er il con­vient de soulign­er que les listes élec­torales se fondaient sur le dernier recense­ment de 1977 ! Placées sous le con­trôle d’ob­ser­va­teurs occi­den­taux il est remar­quable que ces parangons de la démoc­ra­tie n’aient pas sus­cité la moin­dre protes­ta­tion après les élec­tions. C’est à ce pro­pos qu’il con­viendrait, peut-être, de relever la con­nivence, sinon la con­ver­gence d’in­térêts entre le FSN et l’Oc­ci­dent, lequel voy­ait (et voit tou­jours en ce dernier) le garant le plus sûr au main­tien de l’or­dre. Surtout pas de vagues dan­gereuses.]]. Mal­gré les mal­adress­es, les erreurs, telle que l’in­ter­ven­tion répres­sive des mineurs au mois de juin 1990 ; mal­gré l’ag­i­ta­tion plus ou moins con­trôlée par les oppo­si­tions comme les man­i­fes­ta­tions plus ou moins per­ma­nentes à Timisoara, Bucarest, Brasov ; mal­gré la con­sti­tu­tion de syn­di­cats indépen­dants, la mul­ti­pli­ca­tion des grèves ici et là, et l’ef­fon­drement de la pro­duc­tion ; et grâce à la faib­lesse de tous les par­tis d’op­po­si­tion, noyés dans des querelles par­lemen­taires et inca­pables de se trou­ver une véri­ta­ble base sociale, le pays sem­ble encore bien tenu en main par le FSN. Si, comme l’af­firme un de ses lead­ers, Sil­viu Bru­can (vieux routi­er du com­mu­nisme), « le pays est ingou­vern­able, parce qu’il faut au moins vingt ans au peu­ple roumain pour appren­dre la démoc­ra­tie », il con­vient d’en tir­er une con­clu­sion, à savoir qu’au­cune force poli­tique alter­na­tive n’a et n’au­ra les moyens, à court terme, de remet­tre sur la voie la pro­duc­tion, d’établir l’or­dre et la con­fi­ance sociale néces­saires, hormis une dic­tature civile ou mil­i­taire, dont les véri­ta­bles maîtres appar­tien­dront tou­jours aux anci­ennes élites des forces de l’or­dre, du par­ti et de l’ar­mée aux­quels se join­dront les oppor­tunistes (intel­lectuels et gérants de l’é­conomie) qui ne man­quent jamais à l’appel.

Toute­fois, ce qui car­ac­térise le régime poli­tique actuel de la Roumanie c’est moins une crise de légitim­ité qu’une crise générale d’au­torité tant du côté du pou­voir que du côté de l’op­po­si­tion : le pays vit dans une sorte d’anomie poli­tique qui prof­ite chaque jour plus aux pop­ulistes-nation­al­istes et, last but not least, au régime précé­dent. Il n’est pas rare à présent d’en­ten­dre par­mi les ouvri­ers et les employés des opin­ions favor­ables au prési­dent Ceaus­es­cu. Chô­mage mas­sif, infla­tion mas­sive, effon­drement de la pro­duc­tion, rareté générale des pro­duits de pre­mière néces­sité, ali­mentent un ressen­ti­ment gros de dangers.

[|* * * *|]

L’ex­em­ple roumain éclaire, par la vio­lence du change­ment de pou­voir, le sens des muta­tions poli­tiques qui ont bal­ayé les com­mu­nistes en Europe de l’Est. Celles-ci ressem­blent plus à un retrait pro­gram­mé des Sovié­tiques avec l’ac­cord des puis­sances occi­den­tales (on n’a tou­jours rien appris sur les déci­sions pris­es à Malte juste avant que les régimes com­mu­nistes les plus autori­taires ne soient con­traints à lâch­er prise), de manière à éviter de véri­ta­bles révo­lu­tions qui auraient peut-être con­duit à l’émer­gence d’une troisième voie qui ne soit ni le lénin­isme cen­tral­isa­teur, bureau­cra­tique et polici­er, ni le cap­i­tal­isme libéral, insoucieux du bien-être col­lec­tif et de pro­tec­tion sociale. C’é­tait à l’év­i­dence le but du Neues Forum de l’ex-RDA. Il a échoué devant la puis­sance du mark : les Alle­mands de l’Est s’é­tant fait acheter puis con­quérir par la Deutsche Bank. Toute­fois, ce qui était pos­si­ble pour la RDA ne l’est pas pour les autres pays de l’Est qui, avec le retrait sovié­tique, l’ar­rêt des four­ni­tures de matières pre­mières à bon marché, l’ef­fon­drement du Come­con, retrou­vent la vérité de leur état économique d’a­vant-guerre, à savoir celui de pays pau­vres qui n’ont aucun pou­voir sur leur des­tin économique et doivent se soumet­tre aux déci­sions pris­es par les grands trusts financiers inter­na­tionaux, le FMI, la Banque mon­di­ale et aux lois d’un marché plané­taire sur lesquelles leur poids est nég­lige­able. Après les désas­tres de l’ex­péri­ence com­mu­niste (qui restent encore à penser philosophique­ment) déjà une con­science aiguë des désas­tres du cap­i­tal­isme libéral sur­git (c’est l’une des raisons des taux d’ab­sten­tion élevés lors des pre­mières élec­tions libres en Pologne, Hon­grie et Tché­coslo­vaquie). Pays pau­vres, ils ne con­stituent pas un marché immé­di­at pour les économies occi­den­tales parce que pour qu’il y ait marché il faut qu’il y ait de l’ar­gent ! Or il n’y en a guère. Ces pays ont tou­jours été pau­vres (à l’ex­cep­tion de la Bohême-Moravie), et seuls les immenses sac­ri­fices imposés avec une vio­lence inouïe par les régimes com­mu­nistes ont réus­si à dégager une plus-val­ue pour con­stru­ire une indus­trie pen­sée au milieu du xxe siè­cle dans les ter­mes du xixe siè­cle. Quoi qu’en dis­ent les idéo­logues du libéral­isme (tou­jours ani­més d’un opti­misme dévas­ta­teur), « le retard his­torique » dans le champ du cap­i­tal­isme ne se rat­trape pas avec les incan­ta­tions aux ver­tus rédemptri­ces de l’é­conomie de marché, les bonnes paroles des bailleurs de fonds occi­den­taux, la vir­tu­osité rhé­torique des jeux par­lemen­taires, et, last but not least, les hochets de la sous-cul­ture gadgé­tique plané­taire. Car ce n’est pas avec le cap­i­tal­isme des vendeurs de gaufres, de T‑shirt et de jeans que l’on recon­stru­ira l’é­conomie en ruine. Une telle muta­tion, celle de bâtir une nou­velle indus­tri­al­i­sa­tion, exige d’autres et cru­els sac­ri­fices que les nou­veaux pou­voirs n’ont plus la force idéologique et répres­sive d’im­pos­er à leurs populations.

Dès lors, la lib­erté poli­tique récem­ment acquise ressem­ble bien à une nou­velle illu­sion : mirage d’indépen­dance poli­tique et sujé­tion économique, voilà qui est le lot de tous les pays du tiers-monde. Pays ingou­vern­ables qui, à court terme, ver­ront se lever du sein même de la pop­u­la­tion des appels à l’im­po­si­tion de régimes autori­taires, peut-être dic­ta­to­ri­aux. Car chang­er l’Est impli­querait que l’Ouest change aus­si, ce qui ne sem­ble guère être le pro­gramme des démoc­ra­ties occi­den­tales qui, chaque jour, entraî­nent le monde dans une ruineuse et mortelle course à l’in­no­va­tion tech­nologique, à l’ur­ban­i­sa­tion la plus irra­tionnelle (dont les régimes com­mu­nistes ne furent pas les seuls à met­tre en œuvre), au saccage des plus beaux sites naturels, lesquels prof­i­tent aux groupes indus­triels et financiers qui con­trô­lent les tech­niques et les échanges financiers à l’échelle de la planète.

[/Claude Karnoouh/]


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