Et d’abord, pour servir de préface :
Introduction à la Plate-forme d’Archinoff
Anarchistes,
Très significatif est le fait. qu’en dépit de la puissance, du caractère positif et de l’incontestabilité de l’idée anarchiste, en dépit aussi de la netteté et de l’intégrité des positions anarchistes face à la révolution sociale, en dépit enfin de l’héroïsme et des sacrifices innombrables apportés par les anarchistes dans la lutte pour le communisme libertaire, le mouvement anarchiste resta toujours faible et figura, pour la plupart, non comme un véritable facteur, mais plutôt comme un petit fait, un épisode.
Cette contradiction entre le fait positif et incontestable des idées anarchistes et l’état misérable où végète le mouvement libertaire trouve son explication dans un ensemble de causes dont la plus importante, la principale, est l’absence, dans le monde. anarchiste, de toute allure, de toute pratique organisée, ordonnée.
Dans tous les pays, le mouvement libertaire est servi par quelques organisations locales professant une idéologie et une tactique contradictoires, n’ayant point de perspective d’avenir, ni de continuité de travail et disparaissant, habituellement presque sans la moindre trace.
Un tel état de l’anarchisme révolutionnaire, si nous le prenons dans son ensemble, ne peut être qualifié autrement que comme « désorganisation chronique ».
Telle la fièvre jaune, la maladie de la désorganisation s’est emparée de l’anarchisme et le secoue d’année en année.
Il n’est pas douteux, toutefois, que cette désorganisation se niche elle-même dans quelques défectuosité d’ordre idéologique, notamment dans une fausse interprétation du principe d’individualité dans l’anarchisme, ce principe étant trop souvent identifié avec l’absence de toute responsabilité. Les orateurs de l’affirmation de leur « moi » en vue d’une jouissance personnelle s’en tiennent obstinément à l’état chaotique du mouvement anarchiste et se réfèrent, pour le défendre, aux principes inébranlables de l’anarchisme et de ses maîtres.
Or, les principes inébranlables et les maîtres disent tout juste le contraire.
L’éparpillement, c’est la ruine, l’union étroite, c’est le gage de la vie et du développement…
… Généralement presque tous les militants actifs de l’anarchisme combattirent toute action et rêvèrent à un mouvement anarchiste soudé par l’unité du but et de la tactique.
Ce fut aux années de la révolution russe de 1917 que la nécessité d’une organisation générale se fit sentir le plus nettement, le plus impérieusement. Ce fut au cours de cette révolution que le mouvement libertaire manifesta le plus haut degré de démembrement et de confusion. L’absence d’une organisation générale poussa plusieurs militants de l’anarchisme dans les bras des bolchévicks. Elle est la cause de ce que plusieurs autres militants restent dans un état de passivité, empêchant toute application de leurs forces qui sont, souvent, d’une : grande importance.
Nous avons un besoin vital d’une organisation qui, ayant rallié la majorité des participants du mouvement anarchiste, établirait dans l’anarchisme une ligne générale pour tout le mouvement.
Il est temps pour l’anarchisme de sortir du marais de la désorganisation, de mettre fin aux vacillations interminables dans les questions théoriques et tactiques les plus importantes, de prendre résolument le chemin du but clairement conçu, d’une pratique collective organisée.
Il ne suffit pas, cependant, de constater la nécessité vitale d’une telle organisation. Il faut. aussi établir la méthode de sa création.
Nous rejetons comme théoriquement et pratiquement inepte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la « synthèse », c’est à‑dire réunissant des représentants des différentes tendances dans l’anarchisme, Une telle organisation ayant incorporé des éléments théoriquement et pratiquement hétérogènes, ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus concevant de façon différente toutes les questions du mouvement. anarchiste, assemblage qui se désagrégerait infailliblement à la première épreuve de la vie…
La seule méthode menant à la solution du problème d’organisation générale est à notre avis, le ralliement des militants actifs de l’anarchisme sur la base de thèses précises idéologiques, tactiques et organisationnelles, c’est-à-dire sur celle d’un programme homogène.
Ce texte date de 1926…
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Et voici quelques extraits d’interventions faites par le camarade Maurice
Congrès de Vichy, 1956 :
… Depuis toujours, deux tendances se sont opposées au sein de notre mouvement : les partisans d’une organisation solidement structurée et les partisans d’une organisation très lâche ― qui frise l’absence d’organisation…
… Or, l’expérience a montré qu’aucune œuvre sociale, de quelque nature qu’elle soit, n’était possible sans recourir au principe de l’association des efforts, c’est-à-dire à une organisation. À partir du moment où on admet la nécessité de celle-ci, il faut bien l’accepter non seulement avec ses avantages, mais aussi avec ses dangers ― sauf à réduire ceux-ci au minimum.
L’erreur commune à beaucoup de camarades est cependant. de vouloir réduire les dangers jusqu’à un point tel qu’en voulant les supprimer, on supprime du même coup les avantages de l’organisation : celle-ci n’est plus que nominale, c’est un décor de théâtre, une façade sans maison derrière…
… Ce message est un cri d’alarme : l’anarchisme agonise. Il agonise parce qu’il a perdu toute foi dans son propre destin, parce qu’il a renoncé à s’actualiser dans la réalité sociale de notre temps.
… c’est la nécessité… de créer une organisation anarchiste sur des bases sérieuses et solides, ne rassemblant que des hommes résolus à s’évader des parlottes stériles, adoptant librement et lucidement les risques et les sacrifices qu’impliqua toute organisation.
Bulletin Intérieur mai 1957 :
… Et voilà bien, précisément, ce dont crève l’anarchisme : de cette béate satisfaction du présent, de cette. espèce de « ça durera bien autant que moi » informulé, de ce renoncement à regarder la réalité en face, de ce refus de mesurer le déclin de notre idéal…
… La vérité est que nous ne pourrons jamais échapper à ce dilemme : ou se rassembler sur des formules vagues, que tout le monde peut faire sienne parce qu’elles n’expriment rien ; ou bien se définir et se différencier. Dans le premier cas, l’organisation unique est possible, mais sans utilité parce que sans efficacité. Dans le deuxième cas, l’organisation est spécifique et ne peut prétendre à satisfaire les tendances les plus contradictoires…
… Inéluctabilité de la différenciation et nécessité du choix.
… le sentiment de la révolte et l’aspiration à la liberté ne sont pas nécessairement liée à une conception anarchiste de la vie Il me semble que l’anarchisme ne peut se définir qu’à partir du moment où, exprimant la révolte, il propose les armatures sociales de la liberté.
Il y a en effet deux faons extrêmement différenciées de concevoir l’anarchisme. Encore que ces deux conceptions s’interfèrent chez un même individu, il n’en demeure pas moins qu’une claire prise de position au départ, laquelle entraine nécessairement un choix, est indispensable si on veut échapper à la confusion.
Ces deux conceptions sont les suivantes :
Ou bien l’anarchisme est considéré comme une
Ou bien l’anarchisme est considéré comme une
On comprend l’importance de définir ces deux conceptions. Car il est bien évident que, suivant qu’il s’agisse d’un anarchisme philosophique ou d’un anarchisme révolutionnaire, les optiques différeront sur tous les problèmes que posent l’activité militante.
Congrès de Nantes, 1957 :
… Nous sommes à l’heure du choix. Il faut choisir entre le « subir » ou le « devenir », entre l’acceptation passive d’une lente glissade vers les oubliettes de l’histoire ou la volonté de réémerger dans la réalité de notre temps…
… De cette conjoncture historique (la première guerre mondiale et le triomphe du marxisme en Russie) résulta un double état d’esprit qui, peu à peu, s’infiltra dans le mouvement et le gagna tout entier. Le premier était une psychose de vaincu. L’effritement des groupes, les successifs échecs pour remonter la pente, la perte progressive de leur influence, la conscience d’être dépassés par l’évolution détermina peu à peu chez les militants un complexe de vaincus, qui ne pouvait à son tour qu’accélérer la chute. Le deuxième état d’esprit fut la conséquence d’une sorte de choc en retour qui, par un phénomène psychologique d’auto-défense contre le milieu défavorable, provoqua l’éclosion d’un mépris dédaigneux ― je dirais presque aristocratique ― pour tout ce qui n’était pas anarchiste…
… Je suis persuadé que ce ne sera que dans la mesure où les anarchistes se libéreront de ce double complexe de supériorité personnelle et de fatalité collective que la pensée pensée anarchiste se dégagera de la gangue où elle s’est fossilisée.
Ce que je propose est une méthode pour parvenir à ce but. La différenciation et le choix ne sont que les éléments de base de cette méthode, les premiers pas vers une rénovation.
Ce qui est important aujourd’hui, ce que je demande aux camarades, c’est une prise de conscience qui implique la volonté d’orienter la propagande anarchiste vers un retour à la réalité sociale de son temps, un refus de se comporter en « minoritaires de propos délibérés ».
Ce ne sera qu’à partir de cette prise de conscience et de ce choix que pourra s’édifier une organisation anarchiste. Car, avant de s’organiser, il faut clairement définir ce pourquoi on s’organise…
… Encore une fois, il faut être sérieux. Le fait pour un certain nombre d’êtres de se rassembler en vue d’œuvrer à une tache déterminée
… Je ne parle pas d’incompatibilité de cohabitation de plusieurs tendances dans une même organisation, mais de l’incompatibilité de deux formes d’esprit, ce qui est très différent…
… Mais ces tendances ne peuvent diverger que sur les aspects divers de la pensée et sur les méthodes de la lutte, non sur la pensée et la lute elles-même Il y a donc incompatibilité entre la conception ésotérique et la conception révolutionnaire parce que les optiques sont opposées et que l’une renonce à la lutte que l’autre préconise…
… Ce qui est important aujourd’hui, c’est beaucoup moins de construire une organisation qui, aussi structurée fut-elle, serait sans efficacité en l’absence de toute base doctrinale.
Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est que les militants prennent conscience de cet instant de l’Histoire où se joue le destin de l’anarchisme en tant que concept social.
Sans doute, y aura-t-il toujours des anarchistes si on assimile l’anarchisme à l’élémentaire et instinctive révolte de l’Homme devant les contraintes sociales. Mais l’anarchisme en tant que forme possible de la société, en tant que possibilité de réalisation sociale, en tant qu’expression concrète d’un ensemble humain libre, cet anarchisme ne survivra pas si les anarchistes renoncent à la définir clairement, à lui donner les indispensables assises doctrinales sans lesquelles aucun mouvement révolutionnaire ne peut prétendre entrer dans la réalité de l’Histoire.
Les anarchistes le désirent-ils vraiment ? C’est à vous, mes camarades, de répondre à cette question. Mais je vous mets en garde contre une réponse négative qui aura pour résultat de pousser vers les oubliettes de l’Histoire dont j’ai parlé l’une des plus belles espérances sociales qu’ai connu la pensée humaine.
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Bulletin Intérieur, novembre 1957 :
Je vais essayer d’être clair, La pensée anarchiste est née au milieu du siècle dernier avec Proudhon ― Je dis bien la
D’abord, l’esprit. L’esprit anarchiste est, essentiellement, une expression particulière d’une réaction humaine presque aussi vieille que l’humanité elle-même et qui est tout simplement l’instinct de révolte. C’est le refus de la servitude qui dresse en permanence les hommes ― ou, du moins, certains d’entre eux ― contre le Maitre qui personnifie, et,contre les lois, juridiques et morales, qui expriment une certaine société.
Il est bien évident que cet instinct. de révolta a existé de tout temps ou, du moins, depuis l’époque lointaine où un homme, usant de sa force physique, réduisit en esclavage son compagnon. Cet instinct de révolte, ce refus de la soumission, cette constante négation d’un « ordre » consacrant l’injustice et se maintenant par la violence, a été la source de toutes les insurrections. Des légions d’esclaves révoltés de Spartacus, qui mirent en péril la Rome impériale, aux Sans Culottes, qui firent trembler l’Europe monarchiste, aussi bien que de Barcelone à Budapest, ce même instinct de révolte, toujours et partout, a dressé les hommes dans un refus véhément de la servitude.
Ce qui précède démontre une évidence : l’instinct de révolte n’a pas été « inventé » par les anarchistes : il n’est pas spécifique à 1’anarchisme. Il a animé et dressé dans des combats farouches des hommes dont les préoccupations sociales étaient inexistantes. Il est l’esprit de l’anarchisme en ce que celui-ci s’est inclus ce « moteur » de toute action, humaine il n’en est pas la raison.
Il serait donc abusif, à mon avis, de vouloir identifier l’anarchisme à ce
La révolte de l’homme peut donc revêtir deux aspects : instinctive ou raisonnée. Instinctive, elle n’est que le réflexe de l’être ― ou de l’animal ― à qui un maitre inflige de mauvais traitements. L’esclave ou la bête se rebellent sans se soucier de savoir comment ils vivront lorsque le maitre ne leur distribuera plus leurs pâtées quotidiennes. Au contraire, la révolte raisonnée va au delà du geste d’auto-défense et envisage les perspectives dune société d’où auront également disparu le maitre et l’esclave.
Là commence la révolte consciente
Sans doute, bien avant. Proudhon et autres « inventeurs » de l’anarchisme, des révolutions avaient été animé par des hommes dont les inquiètes pensées interrogeaient l’avenir. Mais aucun d’eux, avant Proudhon et ses successeurs, n’avait défini, dans un concept philosophique, les perspectives d’une édification sociale où la liberté prendrait la relève de l’autorité.
C’est là le profond mérite de l’anarchisme ― et il n’est pas mince. C’est là son originalité C’est là, à mon avis, son essence même. Car que reste-t-il à l’anarchisme si on lui ôte ses perspectives sociales ― sa Raison ? Il lui reste l’instinct de révolte ― son Esprit ― qui n’est pas spécifiquement. anarchiste, qui n’est même pas spécifiquement humain, puisque l’animal le ressent au même titre que l’homme.
Commence-t-on à comprendre : la différenciation, complétée par une double identification, sépare dès l’origine ceux pour qui l’anarchisme se condense tout entier dans le geste de révolte et ceux pour qui l’anarchisme, incluant la révolte, se prolonge dans des perspectives d’édification sociales.
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Bulletin Intérieur, mai 1959 :
Qu’est-ce que la Révolution ?
Pourquoi ce geste naturel de révolte ? Parce que des entraves artificiellement créées viennent amoindrir la liberté de mouvement : ce ne sont donc pas les révolutionnaires qui créent les causes et les circonstances des révolutions…
… Il est bien évident qu’une révolution ne se déclenche pas à l’heure H du jour J sur un ordre d’une quelconque organisation révolutionnaire. Affirmer une telle contre-vérité et sen servir pour ridiculiser les révolutionnaires n’est pas sérieux…
… Le rôle des révolutionnaires ― des organisations révolutionnaires ― est seulement de prévoir ces explosions et de s’y préparer afin de les doter d’un contenu idéologique qui aille au delà du simple geste de révolte…
… Si aucune entrave ne venait contrarier, ralentir ou stopper le cours dune évolution, il n’y aurait pas de révolution. Et affirmer que l’action révolutionnaire est dépassée est un non sens dans la mesure où on reconnaît que l’évolution est bridée…
… La révolution est la réaction d’une énergie qui se heurte à un obstacle. C’est l’eau d’un fleuve trop longtemps contenue qui brise la digue pour reprendre son cours normale…
… En résumé : l’acte de révolte est un geste naturel d’autodéfense, inhérent à toute l’animalité, contre toutes les violences engendrées par l’autorité. La Révolution est l’acte de révolte prolongé, étoffé, nourri d’un contenu idéologique qui ouvre de nouvelles perspectives sociales.
Le premier est l’œuvre de l’Instinct, la seconde est l’œuvre de la Raison…
… La violence. révolutionnaire est fonction de la violence « légale » à laquelle se heurte la Révolution. Cette évidence pourrait presque se mettre en équation et se définir par cette règle : « La violence révolutionnaire est directement proportionnelle au degré d’autoritarisme d’un É tat considéré et inversement proportionnelle au degré de libéralisme de celui-ci »…
… S’il advenait que le mouvement anarchiste reprenne vigueur et devienne une force sociale déterminante, il courrait le très gros risque de se défigurer au contact de la réalité.
Ce risque, j’accepte ― et les anarchistes révolutionnaires accepent ― de le courir. Et s’il advenait que nous réussissions, société qui s’instaurerait alors ne serait certainement pas l’Eden anarchiste dont ont rêvé certains, mais elle serait. Elle existerait et ne serait rien d’autre qu’un moment de l’Histoire Humaine…
… l’objectif des anarchistes révolutionnaires n’est pas d’édifier une société parfaite, mais, plus modestement, une société perfectible, où la disparition des entraves étatiques permettrait un déroulement régulier de l’évolution…
… J’affirme que :
– Le refus de la révolution comme moyen de transformation sociale conduit nécessairement au réformisme, c’est-à-dire à une intégration au régime.
– Le refus de la violence révolutionnaire doit logiquement entrainer l’acceptation, au moins passive, de la violence légale de l’É tat…
… Une fois de plus, le choix s’impose… Ce chois, nous sommes un certain nombre à l’avoir fait en toute connaissance de cause ― sans nous dissimuler ni les risques, ni les dangers idéologiques qu’ils représentent.
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Congrès de Trélazé, 1963 :
la Fédération Anarchiste s’est reconstituée fin 1953. Mais cette reconstitution s’est effectuée dans des conditions telles qu’elle portait en elle-même les causes paralysantes qui devaient lui interdire tout développement sérieux.
Ces causes étaient ― et sont ― les suivantes :
a) Refus de se définir. avec une suffisante netteté dans le vaste éventail où se rassemblent tous ceux qui, de près ou de loin, à tort ou à raison, se réclament de la philosophie anarchiste.
b) Refus de s’organiser sur les bases minima et nécessaires à toute formation qui se veut être autre chose qu’un témoin de son temps.
c) Refus de considérer les Congrès comme l’émanation souveraine de l’organisation.
À partir de ce triple refus, il ne pouvait plus y avoir d’organisation à proprement parler, mais seulement une association de camarades aux penses divergentes, parfois diamétralement opposées et, par là-même, sans caractère, sans méthode et sans buts définis, sans autre cohésion que celle d’une vague référence à certains « grands principes » purement négatifs.
L’erreur à été de vouloir faire de la F.A. Ainsi conçue une organisation spécifique, tout en lui interdisant de se doter de structures internes et idéologiques indispensables à la vie de tout mouvement.
À partir de ces considérations, il n’y avait ― il n’y a toujours et il n’y aura ― qu’une seule solution valable raisonnable et viable : que la F.A., telle qu’elle a été conçue, ne soit pas et ne prétende pas être autre chose qu’un simple centre de liaisons…
… Or, la F.A, n’a su être le simple bureau de liaisons qu’elle devait être, ni l’organisation qu’elle ne pouvait être…
… Pour sortir de cette équivoque paralysante, il n’est, à mon avis, d’autre choix que celui posé par cette alternative :
– Ou bien la F.A. deviendra réellement ce qu’elle ne peut qu’être dans sa forme actuelle : un centre de liaisons entre les différentes tendances… mais, en ce cas, elle devra renoncer à se comporter comme une organisation qu’elle n’est pas et ne peut pas être sous sa forme actuelle.
– Ou bien la F.A. renoncera à la prétention de rassembler tous les anarchistes et se transformera en organisation spécifique en se dotant des structures internes et de la substance idéologique. Nécessaire.
Je [crois] pour ma part que le moment approche où le choix s’imposera sans possibilité de l’esquiver, car la vie refuse les équivoques et les imprécisions. La persistance dans les errements actuels ne pourra que conduire vers une dégradation continue…
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Congrès de Toulouse, 1965 :
… Cela veut dire que les décisions doivent être prises par la base. Or, la base ne peut prendre de décisions que lors des Congrès, ce qui signifie que ceux-ci doivent être souverains… Tant qu’on n’appliquera pas ce principe, il y aura tout ce qu’on voudra ― sauf une organisation libertaire.
Pour que les Congrès soient souverains et prennent des décisions il faut, nécessairement, recourir au vote qui départage les avis. Ce n’est pas la solution idéale : c’est la seule pratique…
… Il n’est pas vrai que le vote, c’est la dictature de la majorité sur la minorité ― dès l’instant où celle-ci n’est pas contrainte se soumettre‑à la décision de la majorité. Par contre, l’absence de vote, c’est toujours la dictature de la minorité sur la majorité…
… La discipline… c’est la meilleure et la pire des choses. La meilleure lorsqu’elle est librement acceptée ― et comment, anarchistes, pourrions-nous la concevoir autrement ? La pire lorsqu’elle est imposée. Mais c’est, en toute circonstances, la condition indispensable de toute organisation, de toute vie collective, de toute société.
Hors de la discipline librement consentie, il n’y a ni action collective possible, ni solidarité effective, ni tolérance de ses semblables ― puisqu’il n’y a plus que le repli sur soi même, l’isolement, la solitude de la tour d’ivoire.
La discipline, c’est accepter de vivre avec les autres qui ne pensent pas exactement comme soi et ne pas nuire aux efforts qu’ils ont librement décidé à la majorité.
La discipline librement consentie, c’est l’effort moral qu’accomplit l’individu pour se surmonter lui même et accomplir son destin d’être social. C’est la limitation volontaire d’une part de liberté pour s’intégrer dans une famille idéologique, dans une œuvre collective, dans une lutte commune.
Le refus de cette discipline, c’est le refus pur et simple de toute organisation.
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Congrès de Bordeaux, 1967 :
Une fois de plus, le mouvement anarchiste français traverse une crise… Il est facile d’en accuser avant hier Fontenis et ses amis, hier l’U.G.A.C. et aujourd’hui les « situationnistes ». Beaucoup plus facile que de rechercher et d’analyser les causes réelles de ces crises, dont les renouvellement périodiques expriment la persistance d’un malaise qui dépasse, et de loin, les personnalités des auteurs de ces micro-drames…
… (L’une des causes), sans doute la plus profonde, quoique la moins ressentie par les anarchistes de la vieille école, c’est l’absence d’une organisation réelle et d’une définition idéologique…
… Je suis convaincu que le refus obstiné de certains camarades devant la nécessité de s’organiser et de se définir est responsable. de la crise actuelle, comme des précédentes, pour une part au moins aussi importante que l’irruption dans le mouvement d’un certain nombre d’individus dont « l’anarchisme » va chercher ses inspirations à des sources pour le moins suspectes.
Je suis convaincu que ce refus obstiné de toute organisation structurée comme de toute définition idéologique, refus qu’on ne retrouve ni chez Proudhon, ni chez Bakounine, ni chez aucun des théoriciens de l’anarchisme socialiste ou communiste, cette conception d’un anarchisme réduit aux dimensions artisanales, entaché d’une mystique individualiste dans ce qu’elle a de plus paralysante, sans commune mesure comme sans ouverture sur la réalité du monde moderne, est la cause de ce que l’anarchisme ne se survit, à travers des crises succesives que comme un anachronisme historique…
… Je lui demande (au Congrès) de faire un choix clair, précis, irréversible, entre :
– d’une part, une organisation structurée dont les Congrès souverains détermineront les grandes lignes de l’action collective et donneront aux responsables nommés des directives précises ; une définition idéologique du mouvement qui le situe sans équivoque aussi bien face aux paralysantes exigences de l’individualisme que de la démagogie néo-marxiste.
– d’autre part, le maintien de la F.A. sous sa forme actuelle d’une association sans structures et sans définition idéologique, ceci étant clairement précisé dans une déclaration de principe remise à chaque nouvel adhérent.
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Bulletin Intérieur septembre 1967 :
Un nombre relativement important d’adhérents et de groupes ont. quitté la F.A.. Il y a parmi eux, j’en suis persuadé, un certain nombre d’éléments valables que le refus de la F.A. de se définir comme une organisation révolutionnaire a décidé au départ. Parmi eux, beaucoup, malheureusement, iront se perdre dans la nature, car je doute qu’ils suivent longtemps les quelques énervés qu’ils ont laissé parler et agir en leurs noms. Certains reviendront, je l’espère, sinon à la F.A., du moins au militantisme…
… Je demeure convaincu que l’inorganisation et la confusion de la F.A. sont à l’origine de toutes les crises passées et présente et qu’elles susciteront, dans un avenir plus ou moins proche, d’autres crises semblables ― si rien ne change.
Mais je suis également convaincu maintenant qu’un certain nombre de camarades n’accepteront jamais que la F.A. se définisse comme une organisation révolutionnaire et que, par conséquent, la loi de l’unanimité, [?] avec rigueur, tous les efforts faits en ce sens sont parfaitement inutile…
… Je considère donc désormais la F.A., non pas comme une organisation, mais comme un rassemblement hétérogène de camarades se réclamant tous de l’anarchisme. En raison même des divergences profondes qui séparent ses composants, ce rassemblement ne peut admettre ni structures organiques, ni définition idéologique…
… Je lutterai désormais au sein de la F.A. pour que celle-ci prenne, sans confusion possible, les caractères propres à un tel rassemblement…
… C’est dans un but très clair que je prends cette nouvelle proposition.
Et ce but, c’est de laisser le champ libre à une future organisation anarchiste et à un journal de propagande d’expression révolutionnaire