La Presse Anarchiste

Côté des Dames

Par­mi toutes celles qui se dis­tinguent, en ce moment, et qui prouvent par l’exemple que les femmes sont, ô mer­veille des êtres capables de tout ce dont sont capables les hommes, il en est une au mérite de laquelle on ne rend pas assez hom­mage : Marthe Hanau.

On lui consacre bien, tous les jours, dans la presse, un com­mu­ni­qué plus ou moins long, embar­ras­sé et gogue­nard. Mais, tout de même, com­pa­ré à la publi­ci­té qu’on fait à Mis­tin­guette, c’est un peu maigre…

Je ne suis pas assez calée en science finan­cière, mal­gré les ensei­gne­ments de mon ex-bon maître, M. Gas­ton Jèze, pour appré­cier exac­te­ment ce qu’a fait cette éner­gique petite grosse. Mais il me semble bien qu’elle a tout sim­ple­ment pris un rang fort hono­rable par­mi l’ho­no­rable cor­po­ra­tion des gens d’af­faires, et je ne suis pas éloi­gnée de croire ceux qui m’af­firment qu’il faut cher­cher uni­que­ment dans son suc­cès les causes de sa catas­trophe, œuvre de confrères inquiets d’une si redou­table rivale.

Le fond de l’af­faire importe peu, d’ailleurs. Si la « Pré­si­dente » a volé quelque galette à ses contem­po­rains, elle n’a fait que suivre une cou­tume, il me semble, assez répan­due et pas seule­ment dans le monde des banques. Ce qui est inté­res­sant, c’est la phase actuelle de son aven­ture : c’est la grève de la faim, et l’at­ti­tude des spectateurs.

Voi­là une femme qui, au moment où j’é­cris, n’a pas man­gé et n’a bu depuis quelque trois semaines, que ce qu’un mor­ti­cole offi­ciel lui a enton­né de force.

Elle a don­né l’exemple d’une constance sur­hu­maine, rin­çant sa bouche ulcé­rée d’eau fraîche, et reje­tant cette eau, subis­sant plu­sieurs fois par jour le sup­plice chi­nois de se voir pré­sen­ter des mets appé­tis­sants et ferme devant l’in­sis­tance de ceux qui les lui appor­taient, sou­te­nant contre dix ou onze robustes indi­vi­dus des luttes épiques pour reje­ter l’i­gnoble tuyau de caou­tchouc qu’on veut lui four­rer dans l’estomac.

Qu’en pensent les mes­sieurs qui affirment aux femmes que leur sexe suf­fit à leur conci­lier la pro­tec­tion du sexe fort ? Est-ce ça, la galan­te­rie fran­çaise ? Est-ce ça, la che­va­le­resque indi­gna­tion des hommes devant la vio­lence faite à une femme ?

Et, d’autre part, qu’en pensent les femmes ? Toutes celles qui se font une gloire des hauts faits accom­plis par une des leurs, qui sou­lignent com­plai­sam­ment chaque exemple d’éner­gie, de cou­rage, don­né par une femme ?

Pen­dant qu’on enfourne à Marthe Hanau, maî­tri­sée par une bande de robustes gaillards, quelques cuille­rées de café au lait qu’elle se contraint à vomir, les diri­geantes du fémi­nisme ortho­doxe sont réunies en États Géné­raux, et se réclament ain­si, j’i­ma­gine, des « grands prin­cipes de 89 ».

Elles ne paraissent pas soup­çon­ner un ins­tant que la Répu­blique, fille de ces grands prin­cipes, laisse réta­blir la tor­ture, orne­ment clas­sique de l’an­cien régime et ce, sur la per­sonne d’une femme, et d’une femme remarquable.

Car, encore une fois, si Mme Hanau a com­mis des escro­que­ries, ce que j’i­gnore et ce que tout le monde ignore offi­ciel­le­ment, puis­qu’elle n’est qu’in­cul­pée, elle n’en est pas moins une femme d’une trempe excep­tion­nelle, qui peut-être se fût dis­tin­guée autre­ment si ses talents et son acti­vi­té avaient trou­vé, dans la socié­té bour­geoise, un champ plus hon­nête où s’exercer.

Tant pis pour elle ! Elle n’est, pour la fémi­niste la plus enra­gée comme pour l’homme le plus fémi­no­lâtre, que « la mère Hanau », héroïne d’un… tra­gi-vau­de­ville. Elle est, pour avoir droit à la véné­ra­tion uni­ver­selle, en retard d’en­vi­ron dix-huit cents ans. Oh ! si elle était venue, au deux ou troi­sième siècle, faire la grève de la faim pour prou­ver que Dieu est un en trois per­sonnes et que les païens sont de grands coquins, on te vous la cano­ni­se­rait avec un saint enthou­siasme… Mais elle ne veut rien que prou­ver qu’elle est en guerre, à sa manière, avec la société.

Et la Socié­té, même en la per­sonne de ses membres les plus abru­tis et les plus humbles, n’aime pas ça, que voulez-vous ?…

[/​Maxi­mi­lienne/​]

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