L’un des grands événements de ces derniers mois fut le nouvel effort des gouvernements pour « mettre la guerre hors la loi ».
Des messieurs officiels se sont efforcés d’acclimater l’olivier locarnien à Londres, encore que les bords de la Tamise semblent rebelles à ce genre de culture. On nous assure que cette conférence a été un triomphe, sinon pour notre diplomatie, du moins pour la cuisine française.
Déjà, le pacte de Locarno n’avait été scellé qu’entre la poire et le fromage d’un déjeuner offert par nos plénipotentiaires, et grâce moins aux arguments de M. Briand qu’à l’éloquence ce menu historique :
Hors-d’oeuvre variés
Aspic de foie gras
Truite sauce bleue
Poulet Henri IV
Canard truffé braisé au porto
Petits pois fermiers
Perdrix rôties sur canapé
Fromages — Fruits
Bon appétit, Messieurs !
Mais que penser de cet entrefilet :
Bordeaux. — La famille Lamy, le père âgé de 80 ans, la mère de 70 ans, la fille de 38 ans, s’est suicidée à l’aide d’un réchaud à charbon, ce matin, à Léognan. Leur acte de désespoir est attribué à la misère…
Sinon qu’il y a des gens qui n’ont pas de « savoir-vivre »… D’abord, est-ce qu’il y a tant de misère qu’on voudrait faire croire ?
Non, et voici le consolant démenti que j’oppose aux mauvais esprits :
Londres, 20 février. ― Le mariage du duc de Westminster avec miss Loelia Ponsonby a été célébré ce matin.
À cette occasion, miss Loelia Ponsonby a reçu, comme cadeau de noces, un énorme diamant qui est évalué à 200 000 livres sterling.
Entre deux ministères, on a fait beaucoup de « copie » à l’occasion de la disparition d’un certain général Koutiepof. Vraisemblablement, ce « brave général » file, quelque part, le parfait amour avec une aimable partenaire.
Qu’on lui fiche la paix, et à nous aussi !
Malgré les batailles autour de l’assiette au beurre ministérielle, le prestige de la France reste intact : nos bons gendarmes de la Guadeloupe tirent sur les ouvriers ; l’ordre règne à la Guadeloupe.
À Yen-Bay, nos juges condamnent à mort treize « rebelles » (c’est ainsi que s’appellent les patriotes quand ils ne sont pas les plus forts) : l’ordre règne en Indo-Chine.
Exceptionnellement, à Toulon, l’ordre ne règne pas : un amiral et un pharmacien général l’ont perturbé en se livrant à un pugilat en règle ; c’est la première fois, peut-être, que ces héros professionnels payent de leur personne dans un combat.
L’« honorable » M. Amy a reçu un démenti scientifique qui le met dans la cruelle alternative d’avouer qu’il est un âne ou un faussaire.
Mettons l’un et l’autre et n’en parlons plus.
Quant à M. Bayle, il vient d’être convaincu d’avoir fait exécuter chez lui 300.000 francs d’embellissements que sa veuve refuse de payer. Voilà qui démontre le bien-fondé des témoignages qu’invoqua au procès le malheureux Philipponet.
[|― O ―|]
Il fut un âge béni que les historiens qualifient de moyen et pendant lequel la particule donnait droit à des fantaisies telles que d’occire marchands, paysans, juifs, et de saisir leurs biens.
Aujourd’hui, la reprise individuelle est sévèrement interdite par les commerçants, les bourgeois et les banquiers, qui, devenus les plus forts, prennent leur petite revanche et changent à leur profit la règle du jeu.
Mais l’hérédité s’impose, et si nos gentilshommes, dégénérés, ne trucident plus avec autant d’aisance, ils ont gardé superbement le mépris des lois. Ainsi, M. de la Rochefoucauld, peu soucieux des plus belles maximes, était naguère condamné, à la suite d’une histoire de cochons dite des « Porcheries Françaises ». M. le prince Murat sabrait d’un trait, comme son aïeul les ennemis de la France, des chèques qui, pour être barrés, étaient néanmoins sans provision. La comtesse Batthyani vient de faire appel de six mois de prison pour vol d’un million au préjudice de l’ex-impératrice Zita, voleuse elle-même des bijoux de la couronne d’Autriche. M. Enguerrand de Marigny, dont l’ancêtre éleva le fameux gibet de Montfaucon, à l’usage des vilains, vient d’être condamné à huit mois pour vol d’auto. Enfin, Monseigneur le prince de Faucigny-Lucinge n’échappe à la prison que grâce à l’honorable docteur Paul… L’honorable docteur Paul marche sur les traces de feu M. Bayle. Sans doute quelques embellissements à son appartement, lui aussi ?
J’ai certainement plus de sympathie pour ces seigneurs qui chiffonnent le contrat social que pour leurs pairs adaptés au point de se faire, tel le sire Becq de Foucquière, porte-coton d’un fonctionnaire de la République. Mais je ne me fais pas d’illusions sur l’idéal au nom duquel ils agissent.
Le sieur Benoit doit bénir le ciel des cataractes qui, en inondant le Midi, ont détourné l’attention de l’affaire Almazian ! Ainsi, nous n’entendons plus parler de la plainte en séquestration dont il était inculpé. Par contre, la police n’a pas hésité à faire arrêter quatre ouvriers qui avaient, quelques heures, mis la main sur deux « jaunes ». Quant aux atrocités, ne tournez plus vos regards vers la Tour Pointue, mais dans la direction de la Russie. Le Matin et la Liberté nous dévoilent les « effroyables supplices infligés aux prêtres en U.R.S.S. ». Oyez plutôt, bonnes gens : l’archevêque de Perm a été brûlé vif ; l’évêque du même endroit jeté vif dans la chaux également vive ; l’évêque de Yuriew a eu le nez et les oreilles coupées ; un autre a été pendu, cent ont été fusillés, un autre « gelé vif », et enfin d’autres ont été empalés. C’est à faire frémir Torquemada. le cardinal Ximénéz et M. Benoit ! Le patriarche de l’Église orthodoxe proteste en canonisant le lâche ivrogne Nicolas II, le pape catholique célèbre des messes expiatoires, les consistoires protestent et les grands rabbins gémissent en trépignant : l’union sacrée, quoi !
Et, de fait, ces affreux supplices, trop réels (puisque M. Camille Aymard s’en porte garant), soulèvent d’autant plus notre indignation que chaque jour les prêtres font preuve de tant de sentiments délicats !… Tel ce bon curé de la Seine-Inférieure, dont la presse nous révèle, ces jours, qu’il faisait mille chatteries aux fillettes du catéchisme, suivant le conseil de Jésus : « Nul de vous n’entrera dans le royaume des cieux s’il ne devient pareil à ces petits. »
On peut dire, néanmoins, que l’abbé (?) est un audacieux exégète.
La 12e Chambre fait défense d’appeler « un chat un chat et Benoit un mouchard ». Tant pis pour Boileau et la vérité ! Gardez-vous désormais de dire par exemple que M. Pachot est un poulet, ou M. Ballerat une bourrique, ou M. Amy un âne ; vous seriez inculpés de coups et blessures, tant il est vrai qu’il n’y a que la vérité qui blesse.
Pour ne pas finir avec le goût de vase que laissent à la bouche les ordures policières dont il fut parlé plus haut, je salue fraternellement le jeune héros que voici :
Albuquerque, 3 mars. — Un garçon de 16 ans, B. Torres, devait être interné dans une maison de correction. Se barricadant dans une baraque, Torres a tenu la police en échec pendant toute la journée. Il a blessé à coups de fusil trois agents de police, et on a dû faire sauter la baraque à la dynamite pour venir, à bout du forcené, qui a été tué.
Allons ! tout n’est pas que lâcheté ou résignation : des hommes encore savent être libres ou mourir !
[/Le Chien/]