Aujourd’hui, je parlerai seulement de quelques périodiques dont je n’ai pas eu, jusqu’à maintenant, l’occasion d’entretenir mes lecteurs.
Actuellement, on s’occupe beaucoup du Centenaire de l’Algérie. La « bonne presse » en profite pour vanter les bienfaits de la conquête de l’Algérie, en particulier, et de la colonisation, en général.
Bien que fort rares, il existe néanmoins quelques publications suffisamment indépendantes pour rappeler l’odieux de la campagne de 1830 et dévoiler le bluff des cérémonies actuelles — même illustrées par la remise d’un « canasson » (il ne s’agit en aucune façon du « Canasson » de l’En dehors) — ou commis voyageur du rire français. Ces publications ne disposent pas de moyens assez puissants, ne sont pas assez répandues pour espérer compenser la propagande adverse. Nous dirions : « Tant pis, après tout, pour les crétins qui s’y laissent prendre ! » si nous ne subissions pas, très souvent, les conséquences désastreuses de ce crétinisme. En attendant, nous devons solder la note des ripailles. C’est malgré tout un honneur et une consolation pour un Français qui aime sa patrie et ne peut s’offrir le luxe d’un voyage !
Notre collaborateur Élie Angonin a entrepris ici, au sujet du centenaire, une bonne étude [[Voir Revue Anarchiste depuis le no 4 inclus.]].
Je ne peux passer sous silence celle, bourrée de documents, faite par Robert Louzon dans la Révolution Prolétarienne. J’y renvoie les lecteurs de la R. A.
À propos du Centenaire, dans la Tribune indigène Algérienne, B. Mabed, sous le titre « Questions indigènes traitées par un Indigène », parle avec une modération excessive de questions où il n’est nullement besoin d’affirmer son amour pour la France et de rappeler « les bienfaits » reçus de la métropole pour se sentir le droit de réclamer. Mabed a beau être instituteur, il fait preuve, à mon avis, d’une timidité… déplacée !
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L’Idée Libre continue sa propagande spécialisée. Georges Mancel, dans le numéro du mois courant, fait une étude très documentée sur les origines et le rôle actuel d’une société secrète catholique : le Tiers-Ordre de Saint-François-d’Assise.
Nous recommandons cette lecture à tous ceux qui désirent augmenter leur bagage anticlérical.
Dans l’article de Jules Claraz sur Le prêtre peut-il être sincère ? on trouve d’intéressantes choses. Notamment celles concernant les croyants Pascal et Pasteur. Ce dernier déclarait :
Il y a en moi deux hommes ou mieux deux personnes distinctes : le savant et le croyant.
Quand j’entre dans mon laboratoire, je laisse à la porte le croyant.
Quand j’entre dans mon oratoire, je laisse à la porte le savant.
Signalons l’enquête sur l’évolution, parfois très intéressante, et, dans le numéro de janvier, Le Temps einsteinien, par Jean Malburet, et Gens d’Église, par E. Gegout. Enfin, dans le numéro de mars, notons la protestation de Jammy-Schmidt qui, sous le titre Une Mesure arbitraire, s’élève — soutenu en cela par tous les esprits indépendants — contre la saisie de l’ouvrage de Lorulot : Barbarie allemande et Barbarie universelle.
Sous le titre Vagabondages, Lorulot nous entretient de ses tournées de conférences. Il explique comment les catholiques organisent le sabotage des réunions :
Ainsi donc, deux méthodes :
1o La conspiration du silence : empêcher les gens, par tous les moyens, de venir à nos conférences ;
2o Si la première méthode n’arrive pas à faire le vide dans nos réunions, alors on mobilise les morveux des patronages, on prend nos salles d’assaut et l’on chahute, afin d’étouffer notre voix et d’empêcher la propagande qui déplaît si fort à messieurs les abrutisseurs.
Dans le numéro de février, il avait raconté comment, après de nombreux succès, il ne put développer complètement son sujet à … Douarnenez, où les Bretonnes et les gosses en question développèrent à outrance leur sectarisme :
Au bout de dix minutes, le chahut commence. On a distribué de gros sifflets à roulette à plusieurs centaines de jeunes gens… et de femmes.
Car les femmes de Douarnenez sont d’enragées bondieusardes. Ce sont elles qui gouvernent la Cité rouge !
Les maris tremblent littéralement devant ces intraitables Bretonnes, dont la foi robuste (et aveugle) est réfractaire à tout raisonnement.
Rien d’étonnant que les gosses de ces farouches révolutionnaires, de ces communistes bon teint, aillent tous au catéchisme ! Rien d’étonnant que le nombre des vrais laïques, des vrais affranchis, soit infime en cette prolétarienne citadelle !
Il a encore des illusions, Lorulot !
Un peu déçu ensuite, seul au milieu de la tempête, aux vers qui lui reviennent en mémoire :
Souffle, vent du Nord !
Tu n’es pas plus cruel
Que l’ingratitude des hommes !
Il ajoute une délicieuse et simple constatation :
« Et des femmes, donc ! »
D’accord
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Curieux, ce numéro des Humbles de février-mars ! Sous le titre « Monsieur Henri Barbusse écrivain communiste (?) », Parijanine tape sur le grand leader des masses. Puis, nous assistons à une querelle ardente, parfois teintée de férocité, entre Parijanine et Wullens qui attaquent et Barbusse qui se défend.
Je n’aime guère ces questions de personnes. mais, sans grands commentaires — les répliques se suffisant — je citerai certains passages susceptibles d’intéresser les lecteurs de la Revue Anarchiste, qui marqueront les points :
D’une réponse de Barbusse à Parijanine, extrayons ce qui suit :
Je ne me suis jamais illusionné sur vos facultés, mais je pense que vous êtes particulièrement bête lorsque vous essayez d’avoir de l’esprit, et votre laborieuse missive m’a fait penser à cette fable de La Fontaine où un âne fait le beau.
Il ne m’est, bien entendu, jamais venu à l’esprit, si accommodant que je puisse vous paraître, de demander l’adhésion au Comité pour la Défense de la Liberté de Pensée à certaines personnalités inintéressantes, dont vous êtes.
Je n’ai pas la prétention d’être un phénix et de ne jamais me tromper. J’ai seulement celle de n’avoir jamais été un ennemi du communisme — comme vous l’avez été, vous, avant qu’il ne vous nourrisse.
Pan ! pour Parijanine !
Il est vrai que ce dernier n’est pas en reste. Avec toute la rosserie d’une coquette, il réplique :
Jamais Romain Rolland ne s’est abaissé comme vous à jouer le rôle du tribun communiste et démocrate, républicain de 89, socialiste de 48, homme des salons de « gôche », orateur ultra dans les meetings libéraux ou révolutionnaires, indifféremment : vous êtes une véritable « foire sur la place ».
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Vous savez fort bien que quelques lignes de vous, si elles étaient signées par un simple ouvrier, membre d’une cellule du P.C., suffiraient à déterminer son exclusion.
… … … … … … … … …
Vous m’écrivez que vous n’avez pas songé à demander l’adhésion au Comité de « certaines personnalités inintéressantes », dont je suis.
Il se peut que je ne sois pas intéressant. Ce n’était pourtant pas votre avis lorsque vous m’avez demandé par deux fois de faire de la réclame à vos livres : Force et Jésus. Ce n’était pas votre avis, le 30 mai et le 11 juin de l’année dernière (1929), lorsque vous me demandiez de faire de la réclame pour votre livre : Voici ce qu’on a fait de la Géorgie, lorsque vous me demandiez mon avis (30 mai), lorsque vous « comptiez sur moi » pour « exposer notre point de vue ».
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Il ne vous appartient pas de me dire que le communisme m’a nourri. J’ai vécu de mon travail. Vous avez vécu largement, et, en partie, du travail que je faisais pour vous. En Russie, vous avez été entretenu en vedette, comme une danseuse.
Bing ! pour Barbusse.
Nous sommes tellement habitués, dans les « milieux », à des querelles de ce genre, que nous savons faire la part des choses. Pourtant, la lecture de ce cahier des Humbles laisse tout rêveur…
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À propos du Comité pour la Défense de la Liberté de Pensée que veut fonder Barbusse, A. Mathiez écrit à Wullens :
Ledit Comité n’est évidemment qu’une machine communiste. Les communistes suppriment, lorsqu’ils sont les maîtres, les libertés les plus élémentaires, arrêtent et emprisonnent, exilent quiconque leur porte ombrage, mais ils voudraient cependant que, là où ils sont en minorité, les esprits libres volent à leur secours. C’est l’éternelle tactique des jésuites : nous vous demandons la liberté au nom de vos principes et. nous vous la refusons au nom des nôtres ! C’est ce que j’ai dit à Barbusse.
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Guilbéaux, en faveur duquel Wullens ouvre une souscription, serait créancier de l’Humanité pour une somme assez importante. Pour nous, il est sympathique du seul fait qu’il est condamné à mort.
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Il est regrettable que Monde soit, paraît-il, interdit en Russie ; car il est toujours intéressant et bien fait. Il nous parle de Gandhi, de Maïakovsky, etc., et, dans son numéro du 10 mai, nous trouvons un reportage sur Solovky, de Maxime Gorky. Ce dernier a une impression plus que favorable sur cette île dont on a tant parlé. Cueillons au passage :
À l’exception de quelques communistes condamnés pour des crimes de droit commun, il n’y a pas dans l’île de personnes ayant appartenu à des partis politiques. On a transféré, je ne sais où, les socialistes révolutionnaires et les menchéviks. La grande majorité des insulaires sont « de droit commun », les « politiques » sont des contre-révolutionnaires du type impulsif, des « monarchistes », les « cents noirs » d’avant la révolution. Il y a parmi eux des terroristes, des « espions économiques », des « saboteurs » en général la mauvaise herbe que la juste main de l’histoire arrache du champ.
Je ne suis pas aussi enthousiaste que Gorki. Très curieux, toujours sceptique, je demande à voir et à toucher librement ! Et puis, je ne le cache pas, « la mauvaise herbe » m’est souvent sympathique !
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Pour terminer rapidement, je noterai seulement, dans le Semeur, un bel article de Georges Yvetot sur « Matha », la parution de quelques fascicules de l’Encyclopédie Anarchiste, dont il est impossible de parler en quatre lignes, et le supplément édité par l’En dehors, supplément très bien composé où E. Armand assomme ce pauvre Jean Grave à l’aide de « documents » et d’un article intitulé « Un cas de démence sénile : M. Jean Grave. » Savoir si c’est bien le moyen de le guérir !
[/Joseph