La Presse Anarchiste

Liberté, Liberté chérie!…

La « Décla­ra­tion des Droits de l’Homme et du Citoyen » pro­clame ceci :

Ça fait riche.

— Tous les hommes naissent libres et égaux en droits. Ça orne les tableaux muraux dans les écoles, ça décore, en civisme, les fron­tons muni­ci­paux ; ça fait bien sur les livres de loi et dans les dis­cours des maîtres.

Mais c’est une fameuse farce.

Les hommes sont peut-être égaux en nais­sant, mais, une heure après, ce n’est plus vrai.

Et ils ne sont jamais libres.

Du moins sur le plan social.

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Le fameux citoyen libre — libre en nais­sant — est tout de suite sou­mis aux bien­heu­reux règle­ments : fleurs sans par­fum de nos socié­tés fabri­quées. Il ne mange pas, ne tète pas quand il a faim, mais aux heures fixées par un congrès de méde­cins. Il ne dort pas quand il a som­meil, mais quand on a jugé, d’a­près un manuel hygié­nique, qu’il était l’heure de dor­mir. Il est astreint à des bains, à des savon­nages, à des moments où, peut-être, ça ne lui dit rien du tout.

Des bar­bares, mêmes, lui versent de l’eau (bénite, certes, mais ce n’est pas une excuse) sur le front.

Plai­san­te­rie de piqués !

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Trois ans…

Les plai­san­te­ries de piqués conti­nuent. Et plus que jamais la liber­té est fou­lée aux pieds.

L’en­fant parle. On lui dit :

— Dis bon­jour à la dame !

Quel­que­fois, l’en­fant, né libre (il a peut-être pris connais­sance de la « Décla­ra­tion des Droits de l’Homme et du Citoyen ») ne veut pas dire bon­jour à la dame, dont le phy­sique ne lui revient pas.

C’est la fessée.

L’en­fant, né libre, en face d’un bon vieillard qui est quel­que­fois son grand-père, reçoit deux consignes : embras­ser le bon vieillard et se tenir tran­quille. Géné­ra­le­ment, l’en­fant ne se tient pas tran­quille et il ne veut pas embras­ser le bon vieillard : il pré­fère lui tirer la langue et lui envoyer son cer­ceau dans les genoux.

C’est encore la fessée.

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Lois géné­rales :

Ici il y a un mur, là il y a une dame à qui il faut dire bon­jour, ailleurs un chien qu’il ne faut pas cares­ser, ou une pelouse inter­dite, ou de l’ex­cellent bois qu’il ne faut pas mâcher, ou un mon­sieur qui craint les cer­ceaux, ou de l’eau qu’il ne faut pas tou­cher, ou des confi­tures qui font, mal au ventre.

À part ça…

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Sept ans…

— L’en­fant est né libre, mais… À l’é­cole ou à l’é­glise (quel­que­fois à l’é­cole et à l’é­glise), on lui dresse une liste de puis­sances à qui l’en­fant libre doit obéir. Et il y en a ! Il y en a !… Quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Dieu, la famille, la patrie, la loi, les gen­darmes, les prêtres, les riches, celui-ci, celui-là, cet autre…

S’il écoute une belle leçon de civisme, il entend : 

— Il est inter­dit de…

S’il écoute une belle leçon de reli­gion, il y a de quoi trembler :

— Dieu défend !… Dieu punit !… Dieu vous regarde !…

S’il se pro­mène dans les champs, il voit tout à coup un mur, un mur qui parle, un mur qui hérisse ses tes­sons de bouteilles :

— Pro­prié­té pri­vée !… Pièges à loups !… Chien, méchant !…

(Pauvre chien ! quelle hypo­cri­sie !… Ce n’est pas lui qui est méchant, c’est son maître, le riche.)

Et si l’en­fant est un rai­son­neur, s’il demande après la liste de ses obli­ga­tions la liste de ses droits, on lui répond :

— Tu as le droit d’être obéissant.

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Du Dieu des pen­seurs qui n’est qu’en­com­brant, inutile et dérai­son­nable, les reli­gieux font un Dieu gro­tesque, har­gneux, quin­teux, sus­cep­tible en diable et plein de ran­cune. Il bran­dit des ton­nerres, dis­pense des plaies, se fâche, invente des microbes, donne le jour à de futurs géné­raux, pro­tège les assas­sins empa­na­chés et répand la terreur.

On pour­rait dire et s’en contenter :

— il y a la Vie.

On pré­fère, niai­se­ment, poser la ques­tion stupide :

— Qui a fait la Vie ?

Quant à la ques­tion : Qui a fait la Vie ? les malins ont répon­du : C’est Dieu ! ils n’ont pas avan­cé le pro­blème d’un cran, mais ils ont trou­vé un motif de plus à leur besoin de lâche­té : ils se prosternent.

Mal­heu­reu­se­ment, les imbé­ciles ont ceci de par­ti­cu­lier qu’ils ne se contentent pas de se pros­ter­ner tout seuls, ils veulent faire ça en compagnie.

Gare à qui reste debout !

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Gare à qui ne s’in­cline pas devant les idoles, gare à qui ne salue pas le dra­peau, gare à qui passe indif­fé­rent devant le cha­peau de Gess­ler, gare à qui refuse de dire bon­jour à la dame, gare à qui ne fait pas cou­rir son cer­ceau dans les voies étroites bor­dées de gendarmes !…

Et gare à qui n’a­boie pas lorsque la cara­vane passe !

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Les bons citoyens récitent des orai­sons, font la queue, bien en ordre, devant les per­cep­teurs. Ils font la queue, aus­si, devant les bureaux de vote où s’é­la­borent les majo­ri­tés futures. Les bons citoyens applau­dissent le ministre Machin lors­qu’il a ren­ver­sé le ministre Chose, puis applau­dissent le ministre Chose lors­qu’à son tour il a ren­ver­sé le ministre Machin. Il ne leur vient jamais à l’i­dée de se débar­ras­ser de Chose et de Machin.

Le bon citoyen vote, paie, applaudit.

Il fait comme les autres :

— Bée ! Bée ! Bée !…

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L’a­nar­chiste n’est pas un bon citoyen.

[/​Jules Rivet/​]

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