Je voulais parler aujourd’hui du paysan russe. Je voulais exposer ici, dans ses traits essentiels, la façon dont la Révolution — et ensuite les bolcheviks — abordèrent et résolurent le problème agraire. Je voulais peindre enfin, rapidement, la situation actuelle…
Un événement impressionnant, de haute importance, arrêta mon élan, changea mes dispositions.
Cet événement est la publication des trois volumes de Panaït Istrati : Vers l’autre Flamme.
J’ai le désir irrésistible de dire quelques mots à propos de ce livre. J’y cède.
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Sans nul doute, l’œuvre d’Istrati n’aura pas tout de suite la répercussion qu’elle aurait dû avoir. Pourquoi ? Parce qu’elle est vraiment et simplement sincère, sans fanfares ni sensation. Parce qu’elle va résolument à l’encontre du faux révolutionnisme à la mode : le bolchevisme. Parce qu’elle combat à fond tout ce qui s’y rattache : idées toutes faites, figées en dogmes « infaillibles » ; « vérités » prétendues telles, modelées au patron et implantées dans des milliers de cerveaux à coups de massue ; amour-propre des uns, intérêts personnels des autres, hypocrisie de toute espèce, politique de toute couleur, etc., etc. Parce que, aussi, elle ne parviendra pas à ceux qu’elle devrait toucher… Parce qu’enfin, et malgré tout, elle n’est qu’une œuvre littéraire…
Mais, sans pouvoir produire immédiatement son plein effet, cette œuvre aura, néanmoins, une très grande portée. Elle ira son chemin, et son influence se révélera un jour. Pourquoi ? Parce que, justement, elle est l’expression de la pure vérité. Parce qu’elle forme un chaînon de plus dans cette longue suite de faits et de révélations sincères qui, séparément, sont encore peu de choses, mais dont l’ensemble finira par exaspérer les masses laborieuses de tous les pays, par faire éclater la vérité entière et écraser l’infâme mensonge du bolchevisme.
D’ailleurs, la vérité est déjà en marche. Il faut, d’autant plus, des révélations semblables à celle d’Istrati, afin de faire accentuer cette marche.
Je me rappelle les difficultés qu’il fallait surmonter, il y a quelque cinq ou six ans, pour faire entendre à l’étranger les vérités sur le régime de l’U.R.S.S. À cette époque, il était presque impossible de se faire écouter dans des réunions publiques, si l’on se permettait la moindre critique de ce qui se passait au pays des Soviets.
Je me rappelle, par exemple, un meeting de protestation contre les persécutions politiques en U.R.S.S., meeting convoqué, par les anarchistes, et où ceux-ci n’arrivèrent pas à se faire entendre. Ce meeting se termina en véritable bataille. Et ce ne fut pas le seul qui subit le même sort.
Mais je me rappelle aussi avoir répondu, assez souvent, aux ouvriers communistes qui m’interrompaient furieusement au cours de mes exposés (cela se passait en Allemagne) : « Camarades, vous vous fâchez aujourd’hui, vous ne voulez pas me croire. C’est naturel, car vous ignorez les faits. Cela ne m’empêchera pas de continuer. Et, d’ailleurs, je suis tranquille. Écoutez-moi bien : un an passera encore, peut-être deux, ou trois, ou cinq, peu importe. Je sais avec une certitude absolue que des faits, des événements, des révélations se produiront qui, de plus en plus, vous ouvriront les yeux sur la vérité. Et d’ici quelque temps, toute la classe ouvrière à l’étranger finira par comprendre cette vérité, par voir clair. C’est alors que tout cet édifice trompeur s’effondrera avec fracas… Vous vous souviendrez alors de mes paroles d’aujourd’hui… »
Depuis, pas mal de ces faits, de ces événements, de ces révélations se sont déjà produits. Assez nombreux sont déjà, de nos jours, les travailleurs qui ont compris. La vérité est en marche. Elle s’avance lentement, mais irrésistiblement. Rien ne pourra l’arrêter. Les conflits éclatant au sein des P.C. Les révélations retentissantes de l’opposition communiste. Les informations de plus en plus amples et précises sur ce qui se passe en U.R.S.S. Les événements, au jour le jour, dans la vie quotidienne des ouvriers à l’étranger. Les scandales de toute sorte. L’épisode de Trotsky. L’épisode Bessédovsky. Le cas Lazarévitch. Le cas Ghezzi et autres. Les révélations de certains délégués… Tels sont les faits qui s’accumulent et dont l’éloquence devient, et deviendra toujours, de plus en plus édifiante. Le livre de Panaït Istrati est un fait du même genre. Il s’ajoute aux autres. Il continue la chaîne…
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Le point faible de cette œuvre est sa conclusion, sa « recette ». Istrati se penche vers l’opposition. Le salut lui semble venir de ce côté. C’est une profonde erreur. Que ce soit Staline ou Trotsky, que ce soit tel ou tel autre clan qui « mène » les masses et la révolution, le fond des choses n’en changera nullement. Tant que l’État, le gouvernement, l’autorité, la politique seront debout, l’œuvre positive de la révolution restera lettre morte, et alors les mêmes horreurs recommenceront. Cette autre moitié de la vérité sera plus difficile à faire comprendre que la faillite du parti au pouvoir. Œuvrons donc, nous autres, avec d’autant plus de zèle, à la faire éclater aussi un jour, C’est là notre suprême devoir.
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