La Presse Anarchiste

Une définition du Libre-penseur

En tant que ce terme est employé pour dési­gner une cer­taine manière de se com­por­ter à l’é­gard des reli­gions et des prêtres, nous croyons que, pour pré­tendre au fier titre de Libre Pen­seur, il ne suf­fit pas de mani­fes­ter. ses opi­nions après la mort — par le rite de l’en­ter­re­ment civil — mais qu’il convient, de son vivant, de réagir dans tous les domaines de l’ac­ti­vi­té sociale contre le panur­gisme des foules.

Donc, pour nous, le libre pen­seur n’est pas l’es­prit fort qui, du fond de son vil­lage, lance quelque grosse plai­san­te­rie contre son curé ou se fait, en période élec­to­rale, le cour­tier d’un quel­conque arri­viste anti­clé­ri­cal ; loin de là.

Il est celui qui s’af­firme, en fait, non seule­ment anti­clé­ri­cal, mais d’a­bord anti­re­li­gieux, et il y a là une grosse nuance, dont l’ex­po­sé débor­de­rait le cadre de ce court article ; bor­nons-nous à dire qu’il est celui qui, pour des rai­sons scien­ti­fiques qu’il expose et pro­page (astro­no­mie, géo­lo­gie, anthro­po­lo­gie, etc.), ne croit pas plus en l’exis­tence d’un Dieu, qu’il ne recon­naît l’au­to­ri­té d’au­cun maître (roi, patron, dépu­té, etc.) ; croyance et auto­ri­té qu’il sape, en toute occa­sion, des argu­ments pui­sés en Socrate, Dio­gène, Gali­lée, Des­cartes, Tol­stoï, Buch­ner, Bakou­nine, etc., ain­si qu’en son propre fond.

Il est l’an­ti­hy­po­crite qui ne com­bat pas la prê­traille catho­lique, pro­tes­tante ou juive, pour la rem­pla­cer par la racaille maçon­nique ou mar­xiste, mais qui aspire à mettre tous les dupeurs de la cré­du­li­té humaine : bleus, blancs ou rouges, dans le même sac à lan­cer à la mer… Il est celui qui consi­dère l’o­béis­sance comme acte avi­lis­sant et qui se dres­se­ra, tou­jours, contre le ban­dit cou­ron­né, galon­né, mitré ou for­tu­né, qui pré­ten­dra lui inti­mer un ordre, lui impo­ser une foi.

Il est celui qui passe tout au crible de la cri­tique et qui n’ac­cepte rien comme défi­ni­tif qui ne soit prou­vé par la sai­son ou l’ex­pé­rience. Il n’a rien de com­mun avec l’agent élec­to­ral du dépu­té radi­cal ou socia­liste qui (pour ne pas contra­rier sa femme) se marie à l’é­glise, (pour demeu­rer bien avec sa belle mère) fait bap­ti­ser et com­mu­nier ses reje­tons. Jésuites noirs ou rouges, pour lui, s’équivalent.

Il est celui qui affirme et sou­tient le droit du pauvre à reprendre au riche — de vive force, s’il le faut — ce que celui-ci a déro­bé, à lui ou à ses mal­heu­reux ancêtres, par vio­lence ou par ruse ; il est celui qui agit envers autrui comme il vou­drait que l’on agisse envers lui : avec fran­chise, jus­tice, loyauté.

Il est celui qui pro­clame, au grand soleil de la Liber­té, que la terre, la mer, le ciel, les moyens de pro­duc­tion et d’é­changes, sont à tous, et que nul n’a le droit de com­man­der à son sem­blable, ni de pré­le­ver une dîme sur son labeur. Il méprise autant l’a­ris­to­cra­tie nobi­liaire que l’o­li­gar­chie de l’argent bour­geois ou pay­san, dont il com­bat l’om­ni­po­tence, mal­gré que les geôles répu­bli­caines aient si avan­ta­geu­se­ment rem­pla­cé les Bas­tilles de l’an­cien régime.

Il est le sans foi ni loi, il est le por­teur du flam­beau qui illu­mine la pen­sée humaine de clair­voyance et de réflexion ; il est celui qui ridi­cu­lise et brise les icônes reli­gieuses, patrio­tiques, fami­liales, poli­tiques ; qui détruit les moules des socié­tés mil­lé­naires ; qui refoule l’es­prit de rési­gna­tion en les ténèbres de l’i­gno­rance ou de la lâcheté.

Il est l’Em­bra­sé du Saint-Esprit de Révolte qui, au tra­vers des âges, a fait s’é­crou­ler les trônes, cou­per la tête des rois, se libé­rer les peuples, et fera, en l’a­ve­nir, prendre conscience aux Hommes de leur Droit à la même part des joies de l’Exis­tence, quand ils par­ti­cipent au même effort du Travail.

Voi­là ce qu’est le Libre Pen­seur intégral !

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(avril 1930)/]

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