La Presse Anarchiste

Correspondance

[/​À Liénard/]

Que de mots ! Que de phrases ! Était-il bien néces­saire d’al­ler cher­cher la S. S. R. , les gens de la G. S., le groupe des T. N., etc.… autant de choses qui n’ont rien à voir avec le sujet qui nous intéresse ?

Tu t’a­vances beau­coup ensuite en pré­ten­dant que tout ce que j’ai écrit l’ait été pour jus­ti­fier l’at­ti­tude de « l’a­nar­chiste qui s’a­dapte ». Tu ne sais ni si je suis anar­chiste, ni si je suis en voie de m’adapter.

Il est vrai­ment regret­table que l’on ne puisse expri­mer une idée qui ne soit celle de tout le monde sans encou­rir des insi­nua­tions mal­veillantes ou d’a­cri­mo­nieuses iro­nies, faute d’arguments.

Je note après ces pré­am­bules inutiles à la dis­cus­sion, que tu four­nis un argu­ment en faveur de ma thèse. Ne dis-tu pas en effet que : si tu ne par­tages pas la souf­france d’au­trui, c’est tout sim­ple­ment parce que cela ne dimi­nue­rait en rien sa souf­france et que le résul­tat serait d’aug­men­ter la tienne ? Pour­quoi ne tiens-tu pas le même rai­son­ne­ment pour ce qui est de la souf­france morale d’au­trui ? Ce n’est pas l’ex­pli­ca­tion de ton indif­fé­rence devant la souf­france phy­sique que tu aurais dû me don­ner, mais au contraire celle de ta com­mu­nion à la souf­france morale.

J’ai expo­sé les rai­sons pour les­quelles il me semble que l’in­di­vi­du qui veut être heu­reux actuel­le­ment doit se cui­ras­ser contre la sensibilité.

Je n’ai en fai­sant cela que satis­fait mon désir : celui d’ex­po­ser mon idée. Ce qui ne prouve pas comme tu veux bien le croire, que je m’in­té­resse à la souf­france d’au­trui et la par­tage. Je ne son­ge­rai à sup­pri­mer du nombre de mes plai­sirs celui que j’é­prouve à dis­cu­ter ora­le­ment ou épis­to­lai­re­ment que lorsque ce plai­sir devien­dra pour moi une source de maux ou de peines plus grands.

Tu dis que nous ne devons pas nous débar­ras­ser de la conscience qui nous fait homme et nous dis­tingue de la bête, mais au contraire la déve­lop­per. Ceci est très bien. Je te ferai seule­ment remar­quer que je n’ai dit nulle part qu’il faille deman­der à l’homme de se débar­ras­ser de sa conscience. J’ai plus sim­ple­ment dit que s’il est des sen­ti­ments qui s’op­posent à son bon­heur, l’homme ne peut être heu­reux que s’il les sup­prime. Encore n’ai-je pas dit sen­ti­ment mais besoin de par­ta­ger la souf­france d’autrui. 

Il y a loin il me semble entre la conscience et un besoin dont tu ne m’as pas démon­tré futilité.

Mais tu ne t’embarrasses pas de si peu. Tu me parais aus­si m’a­voir lu bien vite et m’a­voir répon­du sous le coup de l’in­di­gna­tion, si j’en juge par le peu d’ar­gu­ments et la quan­ti­té d’af­fir­ma­tions mau­vaises que contient ta réponse.

Pour­quoi pré­tendre que je croyais ren­ver­ser l’au­to­ri­té par quelques années de pro­pa­gande. Qu’en sais-tu ?

Pour­quoi dire que mes illu­sions ont dis­pa­ru. Sais-tu seule­ment si j’en ai eu ?

Pour­quoi mêler à une dis­cus­sion d’i­dées de pareilles affir­ma­tions sur mon compte ? Tu ne me connais pas et ne peux pas savoir si je suis tel que tu me représentes.

Je ne doute pas que les anar­chistes en géné­ral et toi en par­ti­cu­lier soyez des êtres d’une essence supé­rieure, je doute seule­ment que vous puis­siez conqué­rir le bon­heur. Et c’est à cela, il me semble, que tu as oublié de répondre.

[/​Xavier/​]

[|* * * *|]

[/​À Zaïkowska/]

J’ai écrit ceci : Le besoin de par­ta­ger la souf­france d’au­trui est nui­sible et c’est un des pre­miers que l’in­di­vi­du devra faire dis­pa­raître, si lui-même veut être heureux.

Or, ce besoin est un besoin moral.

Donc, je n’ou­blie pas que l’homme a des besoins moraux.

Aucun argu­ment dans votre courte réplique. Vous me par­lez d’une quan­ti­té de Russes qui à ce qu’il parait sont plus heu­reux que des gens pru­dents. Et, pour­quoi sont-ils plus heu­reux. Parce qu’ils ont conscience de leur pro­pre­té morale ? Mais vous oubliez de nous démon­trer qu’ils sont réel­le­ment plus heu­reux et si réel­le­ment ils le sont, (j’en doute) qu’ils le doivent à la conscience de leur pro­pre­té morale ?

Je pour­rais à mon tour vous citer une quan­ti­té de sales Auver­gnats qui ne man­que­raient pas de s’af­fir­mer plus heu­reux que tous les révo­lu­tion­naires russes, et cela ne prou­ve­rait rien, pas plus que ce que vous dites.

Pour­quoi dites-vous que c’est le pré­ju­gé reli­gieux qui me rend aus­si dédai­gneux de la souf­france des ani­maux puisque mon dédain s’é­tend aus­si à la souf­france humaine. Je n’ai donc pas plus que vous, peut-être moins, le res­pect de l’i­mage, de Dieu.

« L’homme intel­li­gent aime la vie et évi­te­ra de semer la mort et la dou­leur ». Ceci est fort bien mais n’in­firme en rien ce que j’ai écrit tou­chant l’in­di­vi­du et le bonheur.

Je regrette que comme Lié­nard vous ayez cru devoir m’af­fu­bler de qua­li­tés dont je ne m’é­tais pas moi-même paré, ne me connais­sant pas vous igno­rez si elles me conviennent.

N’est-il donc pas pos­sible de s’in­té­res­ser au pro­blème du bon­heur sans être anarchiste-individualiste ?

[/​Xavier/​]

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