La Presse Anarchiste

Correspondance

[/​À É Durant/]

Il y a près d’un an que je ne t’ai vu — de plus je crois que notre entre­tien sur « Pour­quoi dan­sons-nous » remonte à plu­sieurs années. Si impré­gné de bonne foi soit-on, il est très facile de com­mettre de grosses erreurs, en rap­por­tant dans ces condi­tions les paroles d’un cama­rade. J’a­vais attri­bué si peu d’im­por­tance à ton article et le trou­vai si dépla­cé dans un jour­nal anar­chiste que je n’a­vais cure d’y répondre, quoi qu’il com­porte, le point tou­jours d’ac­tua­li­té, et si peu réso­lu : la com­pagne de l’a­nar­chiste, mais les réflexions d’Hen­riette Rous­se­let et de Zis­ly m’in­vitent à dire quelques mots. — Qu’y a‑t-il d’in­té­res­sant pour le lec­teur de savoir que je me déplume ?

Donc, j’al­lais au bal avant de m’oc­cu­per de ques­tions sociales et phi­lo­so­phiques, je conti­nuai d’y aller pen­dant que mon évo­lu­tion céré­brale s’ac­com­plis­sait, me fai­sant prendre net­te­ment conscience de la vie. Dan­ser étant pour moi un plai­sir, ni dégoû­tant ni atro­phiant, je sup­pose, je ne vois pas pour quel motif je m’en serais pri­vé. — Au fait après avoir enten­du des anar­chistes nier la beau­té, pour­quoi n’en ver­rait-on pas nier le plaisir ?

J’a­vais consta­té, tout jeune, qu’au bal la conver­sa­tion s’en­gage vite, et abs­trac­tion faite des bals de socié­té ou la plu­part des oies blanches viennent avec leurs mamans, pour trou­ver le bon mari, et les bals de la haute où je n’a­vais que faire, dans les bals publics au moins, pas besoin de faire du plat, comme tu dis, pen­dant des mois pour satis­faire son besoin sexuel et sans pas­ser par l’a­mour vénal. De là à me faire dire qu’il n’y a qu’au bal que je puisse trou­ver des femmes, tu exa­gères. Ques­tion hygiène locale : sois cer­tain que maintes réunions ou mee­tings n’ont rien à envier en tant que microbes et aéra­tion aux bas­tringues. L’un n’ex­cuse pas l’autre, c’est enten­du. Quant aux sou­liers ver­nis, habit et cha­peau claque, je me passe bien de ces affûtiaux.

Je rehausse la dis­cus­sion ou plu­tôt je l’a­mène aux points inté­res­sants, à mon sens : l’emprise du bal sur l’in­di­vi­du et la ques­tion féminine.

Sois per­sua­dé que jamais le bal ne m’a fait avoir de la sym­pa­thie pour le cipal de Bul­lier ou pour le flic des musettes.

Obser­vant, je me suis vive­ment aper­çu que les habi­tués des bals, n’é­taient ni plus ni moins inté­res­sants que les autres indi­vi­dus consti­tuants la masse, que maints patrons de bas­tringues étaient de la « tôle », que les dan­seuses ouvrières ou radeuses, se valaient, mais que là comme dans beau­coup d’en­droits, on peut trou­ver quelques indi­vi­dua­li­tés aptes à com­prendre et à évoluer.

Par­lant des femmes anar­chistes, je t’ai dit : en quoi la plu­part dif­fèrent-elles des autres ? Sauf quelques excep­tions, quelques oiseaux rares que les copains vei­nards feront bien de conser­ver, eh bien la dif­fé­rence est minime.

Te cite­rai-je comme H. Rous­se­let, les copines chan­teuses qui viennent dans nos fêtes, sur l’es­trade avec force bijoux et fan­fre­luches en toc, coif­fées avec les che­veux des autres, et celles qui crèvent d’en­vie d’en porter.

Celles qui sup­portent la mouise anar­chiste, mais ayant tous les goûts de la bour­geoise ou de la gon­zesse hup­pée. — Et celles qui font sem­blant d’être dans les idées, aux­quelles d’ailleurs elles ne com­prennent rien, et qui sup­portent celles de leurs copains pour gar­der ceux qui leur apportent la croûte, léga­le­ment ou illé­ga­le­ment — quelle dif­fé­rence avec les « hon­nêtes femmes mariées » ? Faut-il te par­ler aus­si de la « copine » qui don­ne­ra son copain l’illé­gal, le len­de­main qu’il lui aura fait un paillon, etc., etc.

Ta réponse, je la devine : ces femmes ne sont pas anar­chistes ! Je te le concède. Ce sont des femmes, voi­là tout.

Il y a des excep­tions, je le sais aus­si — entre autres la copine à qui, d’a­près les quo­ti­diens, dix mille francs ont été offerts pour don­ner son copain qui court encore (9 mai). J’ai su appré­cier quelques com­pagnes dans toute l’ac­cep­tion du mot, la tienne entre autres, moi je n’en ai jamais eu et je ne suis pas cer­tain de m’ac­cor­der huit jours avec l’une d’elles, que j’es­time pourtant.

Cela tient-il à mon tem­pé­ra­ment, à mon scep­ti­cisme, à mon into­lé­rance, peu importe. En tout cas, je ne cherche plus l’âme sœur. Grosse erreur encore la bou­tade des femmes « jeunes gardes ». Je ne suis pas insur­rec­tion­nel. et n’en­tre­rai pas dans un grou­pe­ment d’in­di­vi­dua­listes qui aurait une com­pagne pour chaque membre — Je ne veux pas res­treindre mes épan­che­ments amou­reux à une seule femme.

Pour répondre à H. Rous­se­let, je dois dire que l’a­nar­chiste illé­gal qui va en pri­son pour pou­voir offrir des choses luxueuses à sa com­pagne, ne me semble pas très inté­res­sant, c’est tout au plus l’es­clave d’un vagin.

Que les femmes fré­quen­tant les milieux anar­chistes, ne s’in­té­ressent pas à la ques­tion, sociale, et que la femme en géné­ral soit une entrave à l’é­vo­lu­tion — rien de plus exact à mon avis. Je ne suis pas plus anti­fé­mi­niste que je ne suis fémi­niste, mais je pense que la femme est un être spé­cial, dif­fi­cile à bien défi­nir, ayant de par sa consti­tu­tion un état men­tal rebelle aux idées logiques et ration­nelles — je ne lui en veux pas pour cela, mais je le regrette car j’en souffre.

Que les copains soient. trop faibles, ce n’est que trop vrai, mais je pense que si H. Rous­se­let a vrai­ment aimé un ou plu­sieurs hommes, elle dut aus­si avoir ses faiblesses.

Et avec Zis­ly je dis : où trou­ver des com­pagnes idéales ?

[/L./]

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