La prostitution est le louage, moyennant salaire, de son cerveau, de ses bras, de ses attraits, en un mot de sa personne tout entière à tout individu patron, rentier, fonctionnaire ou n’importe qui dont la position, le grade, la fortune ou la volonté brutale exige de ses employés, de ses sous-ordres ou de ses servantes, la soumission à ses caprices, ses fantaisies, ses plaisirs plus ou moins grossiers, immoraux, stupides et parfois scandaleux.
Qu’elle soit obligée ou volontaire, la prostitution revêt toujours un caractère d’esclavage, de corruption ou de bassesse subordonnée à un intérêt immédiat souvent méprisable. Elle est la source de bien des vices dont la société est chargée.
Ainsi — généralement parlant — l’écrivain et le journaliste prostituent leur plume au service de causes plus ou moins inavouables, de combinaisons louches et malpropres, au service des ministères et de la préfecture de police dont ils se font les plats valets et les indicateurs. L’homme de science prostitue son intelligence, son savoir, en publiant des récits mensongers, des théories erronées, suivant tel programme officiel qu’on lui a prescrit d’enseigner, élevant ainsi à la hauteur du vrai, du beau, du sublime des actes antisociaux, antinaturels, antihumanitaires.
Le travailleur — lui qui ne devrait œuvrer que pour sa santé, son bien-être — prostitue ses bras en participant aux travaux inutiles, nuisibles, contraires au développement moral et à la liberté de tous, tels que constructions de casernes, d’églises, de prisons, de taudis, d’armes et engins de guerre ; en consentant à être soldat, policier, électeur ou garde-chiourme, et à se faire le défenseur des lois dont tôt ou tard il subira plus que tout autre, les terribles et funestes conséquences.
La femme de ménage, la fille de magasin, la jeune couturière, la jeune modiste, la nourrice ou la bonne d’enfants se prostitue en livrant ses formes, son bas-ventre à la lubricité d’hommes qu’elle ne connaît pas — vieux rococo en décrépitude —, n’aime pas — jeunes désœuvrés ou pères de famille en brouille avec leur moitié — et dont elle ignore les défauts et les tares physiologiques. Elle ne sait avoir pour eux que des manières et des gestes de circonstance et d’habitude évalués selon le degré de provocation au plaisir des sens.
Alors que la femme et l’homme qui s’aiment vraiment s’associent, se donnent en toute liberté et partagent les risques et périls comme les jouissances et les satisfactions, — les prostituées ne sauraient aimer, le genre de vie qu’elles mènent ne leur permettant pas de savoir ce qu’est l’amour : elles ne prennent point la peine de l’étudier encore moins de le comprendre. L’instruction et l’éducation sont exclues de leur domaine et leur langage est empreint seulement d’une politesse de parade, d’une douceur factice et trompeuse, et aussi quelquefois ordurier, Beaucoup sont illettrées, préfèrent l’alcool et le tabac et courir le risque des inconvénients de toutes sortes et des maladies professionnelles dont les suites se font quelquefois sentir dans les familles où les hommes et les jeunes gens en ont porté les germes.
Si tout plaisir en soi est plus ou moins agréable, le rapprochement sexuel consenti moyennant salaire ne l’est pas, car celui que l’homme et la femme peuvent éprouver dans le coït ainsi consenti n’a que la durée qu’il comporte ; après, il ne reste plus que le regret — pour l’homme, de la pièce d’argent ou d’or qu’il a donnée — alors que, plus raisonnable et mieux inspiré, il aurait pu la faire servir pour une cause plus juste, plus utile : celle de secourir les siens, un ami besogneux, un camarade malheureux, ou d’accomplir tout autre acte de solidarité.
Il est donc nécessaire que l’individu ait le caractère assez fort pour pouvoir se passer de certains plaisirs passagers, y compris celui du coït, quand les circonstances l’exigent ou que ce plaisir risquerait fort de devenir un sujet de douleur.
Le meilleur est de s’adjoindre une compagne dont les sentiments correspondent aux vôtres : la vie à deux est si agréable quand, sans faire abnégation de sa propre liberté, on se fait mutuellement des concessions ! Et de cet accord naissent les bonnes intentions et s’accomplissent les actes bien compris.
[/Fernand-Paul/]