Ce mot a fait couler des flots d’encre. Les uns en sont partisans, d’autres point. En tant qu’ex-artiste, je vais essayer à mon tour de traiter cette question et dire pourquoi je ne peins plus.
La passion du dessin est apparue chez moi vers l’âge de douze ans. Depuis j’ai continué à la suivre presque sans interruption, avec ardeur, jusqu’au jour ou l’artiste chez moi céda une petite place, qui grandit peu à peu, à l’observateur.
Examinant un jour mes œuvres, que vis-je, dans cet amas de teintes formant des arbres, des hommes etc. ? la mort ! Dans ces mélanges de couleurs, je ne retrouvais plus les charmants et gais paysages observés ; où sont donc sur ma toile ces arbres tantôt, mus par le vent, tantôt immobiles ? Mais quoi, je n’entends plus le bruit de leur feuillage agité, ni le chant des oiseaux, se reposant sur leurs branches …
Et ce ruisseau ? mais c’est une mare : il ne coule pas ; je ne perçois point le murmure s’élevant de ses eaux limpides ! Je suis peut-être devenu sourd et presque aveugle ?
Dans un coin, un laboureur ; c’est bizarre, l’attelage n’avance pas, le cheval semble tirer pourtant ; il est peut-être arrêté par un roc ou une force quelconque.
Pendant que je méditais ces questions, des gens sont venus me faire une visite. C’est bien nature ce tableau, me dirent-ils en apercevant la toile que j’avais sous les yeux. Imbéciles ! leur répliquai-je, avec humeur, peu content d’être dérangé dans un tel moment, entendez-vous chanter la cigale et les oiseaux, percevez-vous mille bruits confus s’élevant de ce coin champêtre, voyez-vous le cheval, le laboureur, les arbres s’agiter, non, n’est-ce pas ? Eh bien, cet amas de couleurs ne peut imiter la nature, par conséquent la vie, puisqu’il lui manque tout cela et que tout cela, pour moi, en fait partie. Ce que j’aime dans le paysage, c’est le mouvement, c’est le changeable et non la mort.
Devant ce flot d’objections, ils ne répondirent point et s’entre-regardaient consternés. Puis, ils filèrent au plus vite pensant probablement que j’étais devenu fou.
Après leur départ, je continuai l’examen de mes tableaux. L’un d’eux représentait une marine. J’y vois toujours les mêmes vagues immobiles .… je n’entends point le bruit captivant qu’elles causent en se perdant sur la plage. Et ce goéland, il y a bien longtemps qu’il plane, guettant sans doute une proie. Je crois en voyant ce paysage, qu’un génie puissant a arrêté la vie sur ce coin du monde, et cette comparaison me produit une mauvaise impression.
Voulant reproduire la nature, je suis arrivé à la déformer, à la rendre inchangeable, monotone, morte. Depuis ce jour j’ai remisé dans un coin, pinceaux, palette et tous mes ustensiles d’artiste pour ne plus y toucher.
C’est l’œuvre d’un homme dégénéré que de juger un paysage d’après un tableau. Il n’y voit que l’ombre et non la réalité.
Ce que j’ai dit pour la peinture, s’applique de même à la sculpture.
Ceci ne concerne pas tous les arts, mais je ne veux pas abuser des colonnes du journal. J’y reviendrai dans quelque temps.
[/Armand