La Presse Anarchiste

Les loups

Dans les jar­dins zoo­lo­giques comme dans les ména­ge­ries, on peut voir des loups en cage ; mal­gré leur cap­ti­vi­té for­cée aucun domp­teur n’a eu le fluide magné­tique assez puis­sant pour domp­ter ces ani­maux. Tout petits, éle­vés en cages, leur ins­tinct vaga­bond s’im­plan­ta sous leur crâne. Ni caresses ni coups n’ont pu faire d’eux des ani­maux dres­sés ; de toute la faune, je crois qu’ils sont les seuls.

Les anar­chistes sont des loups, ils ne veulent qu’au­cune influence exté­rieure s’en­ra­cine en eux. Mal­gré tous les grands mots sor­tis de la gueule de tous les char­la­tans, à quelque nuance qu’ils appar­tiennent, ils ne coupent pas dans le panneau.

Orga­ni­sa­tion, huma­ni­té, socié­té future, ces mots ne sau­raient les émou­voir. Ils n’aiment pas les caresses de chats qui rentrent les ongles pour mieux les sor­tir à la pro­chaine occa­sion. Ils veulent être libres d’a­gir pour eux et par eux. La vie vaga­bonde leur est favo­rite et ils cherchent de-ci, de-là, leur pâtée. Ils n’aiment pas l’a­voir toute prête, ils pré­fèrent la recherche avec des risques, cela leur est un sti­mu­lant. Orga­ni­sa­tion, huma­ni­té pour eux est une ber­ge­rie où il y a beau­coup de mou­tons, de chiens et de ber­gers. Quel­que­fois, par un effet du hasard, ils y entrent un ins­tant et choi­sissent dans le tas les plus beaux spé­ci­mens pour, dans leurs chairs pal­pi­tantes y faire péné­trer les dents et tâchent qu’ils deviennent, enra­gés pour qu’ils mordent le trou­peau à leur tour et lui ino­culent le virus de la rage. Jamais un trou­peau ne se laisse mordre, il se sauve et se met sous la sau­ve­garde des chiens et des ber­gers qui ont inté­rêt à les pré­ser­ver de cette mor­sure dan­ge­reuse. Les chiens ayant une peur atroce de cette rage, trem­ble­ront pour eux ; aus­si les loups choi­si­ront le bon moment pour sau­ter des­sus et les étran­gler, ain­si que les mou­tons qui auront vou­lu s’é­chap­per, pas de quar­tier, il faut, que tous y passent. Quand tous les chiens ain­si que tous les mou­tons qui res­taient sous leur pro­tec­tion seront bien étran­glés, il ne res­te­ra plus que les ber­gers (gou­ver­ne­ments, par­le­ments, magis­tra­ture, armée, reli­gion toute cette engeance néfaste) qui n’a­vaient force de pou­voir que par la féro­ci­té de leurs chiens et la doci­li­té de leurs mou­tons. Les chiens n’exis­tant plus, le pou­voir des ber­gers est bien minime. Ils lâche­ront vite leur hou­lette pour se sau­ver plus vite, mais il sera trop tard, les loups sau­ront se sou­ve­nir des chasses menées par ceux-ci et leurs chiens, ce qui décu­ple­ra leur éner­gie, les ber­gers auront beau cou­rir, ils n’i­ront jamais assez vite pour ne pas être atteints. Chiens, ber­gers et mou­tons ayant dis­pa­ru, seuls les loups orga­ni­se­ront leur vie indi­vi­duelle et vivront heu­reux dans les bois et les plaines.

[/​F. Nei­rol/​]

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