Effort et valeur individuel
L’effort est un déploiement de force physique, intellectuelle ou morale. L’effort individuel suppose en premier lieu la puissance ou faculté d’agir, ensuite la réflexion et l’attention, et enfin l’exercice de la volonté.
Dans le langage de la science éducative, on entend plutôt par effort individuel, la puissance et la volonté d’agir, l’habitude même prise par les jeunes individus de travailler par eux-mêmes. C’est cette volonté, cette habitude qu’il faut développer chez nos enfants et chez tous ceux que notre attention attire.
L’éducation, doit, en effet, préparer l’homme dans l’enfant. Or, l’homme n’est véritablement homme — dans toute l’acception du mot — que s’il sait se déterminer par lui-même, s’il sait vouloir fortement et agir avec esprit de suite, jusqu’à ce qu’il atteigne son but. Le but de l’individu bien éduqué doit être son affranchissement ; par conséquent libéré de tous les préjugés et de toutes les contraintes.
Mais si les parents et autres éducateurs chargés d’élever les enfants les ont élevés en se substituant continuellement à eux, en pensant et en voulant pour eux, s’ils ont pris à tâche de leur épargner toute peine et tout effort, ces enfants seront incapables de penser, de vouloir et d’agir dès qu’ils seront abandonnés à eux-mêmes. Non seulement il ne faudra attendre d’eux aucune initiative, mais les premières difficultés les arrêteront. Nous devons donc les mettre en garde en face des difficultés de la vie et leur apprendre que souvent ils trouveront sur leur route des obstacles qu’ils devront franchir ou briser s’ils sont décidés à faire de l’avant.
Quand ils quittent l’école et ensuite la maison paternelle, leur éducation est loin d’être achevée. Leur instruction même n’est qu’ébauchée. Ils doivent donc continuer de s’instruire ; ils doivent donc sans cesse travailler à leur perfectionnement moral. Mais pour s’instruire, il faut vouloir ; il faut avoir été habitué et exercé à étudier par soi-même. Et pour travailler efficacement à leur perfectionnement moral, il faut n’avoir pas eu la faiblesse de céder aux suggestions étrangères. Les esprits faibles sont prêts à subir toutes les influences bonnes ou mauvaises : à être des suiveurs, des moutons dociles conduits par des bergers qui ont tout à gagner de cet état d’inertie et de dépendance.
Nous devons persister à faire l’éducation de ces esprits faibles, en nous donnant à eux comme modèles. Car ce n’est pas avec des éclats de voix, de grands gestes et des gratifications d’épithètes peu flatteuses, malsonnantes, que nous pouvons les rendre plus habiles, plus diligents, plus dégrossis et meilleurs ; c’est plutôt le contraire qui arriverait, de telles qualifications pouvant avoir pour résultat d’amener en eux, à la longue, une sorte d’abrutissement. Et quelle impression ce langage grossier pourrait-il produire en notre endroit, sur leur imagination ? Il est au moins certain qu’ils n’y puiseraient pas une irrésistible admiration pour l’empire dont nous ferions preuve, à de tels moments, sur nous-mêmes.
Comment, en effet, pourrions-nous efficacement leur indiquer de quelle façon ils devraient s’y prendre pour savoir se dominer, si nous leur montrions que nous ne savons pas nous dominer nous-mêmes ?
Il est une chose qui ne doit pas être dite, qui doit être même insoupçonnée : c’est que nous revendiquons le droit d’injurier ceux que nous voulons éduquer. Quand on est un tant soit peu instruit et raisonnable, on doit avoir des conceptions plus hautes et on peut disposer d’un vocabulaire assez riche pour exprimer sa pensée sans tomber dans la grossièreté et l’insulte.
Nous devons leur dire aussi que le résultat de l’effort personnel est la valeur individuelle. Un individu a d’autant plus de valeur qu’il est plus instruit, plus éduqué et par cela même qu’il a une grande force de caractère lui donnant une sûreté de résistance contre lest éléments mauvais de la société déchaînés contre lui.
On devrait avoir horreur de cette maxime que peu d’individus osent professer explicitement, mais que beaucoup, malheureusement, adoptent en pratique : « Il faut faire comme tout le monde, il ne faut pas faire plus que les autres. » Au contraire, chacun doit chercher à mieux faire que les autres, car chacun est une individualité dont l’effort doit consister à vivre en liberté et à se développer tout entier.
L’indifférence de la foule paresseuse, indolente, vient de ce que peu d’hommes ont le courage de s’interroger pour savoir ce qu’ils sont capables de devenir, et de se décider à accomplir des actes susceptibles d’orienter leur vie vers un mieux-être. La plupart trouvent plus expéditif et plus commode de regarder ce que font médiocrement les autres, et — moutons de Panurge — ils se laissent aller à vivre comme eux : somnolents, monotones, conduits.
Fut-on seul au monde à poursuivre son idéal, on doit marcher vers lui résolument sans écouter les conseils des uns, et se moquer de la risée des autres. On sera le seul qui empêchera la masse de se gâter et de danser en rond, on sera l’homme de progrès social et de valeur individuelle dont l’attitude fera sûrement réfléchir ceux qui ont un tant soit peu de bon sens et aussi un peu de jugement.
[/Fernand-Paul/]