La Presse Anarchiste

Sur l’illégalisme

En octo­bre 1911 j’écriv­is un arti­cle inti­t­ulé « Sur l’il­lé­gal­isme » et comme je col­lab­o­rais occa­sion­nelle­ment à « l’a­n­ar­chie », j’en demandais l’in­ser­tion. Par l’in­ter­mé­di­aire du cama­rade Le Rétif, je reçus avis que les cama­rades me refu­saient l’in­ser­tion, mais que lui-même était par­ti­san de l’insertion.

Vers cette époque, quelques cama­rades se trou­vaient réu­nis à Bas­con et comme nous dis­cu­tions sur l’il­lé­gal­isme, je demandai aux cama­rades présents, Philippe, Richard, Quim­porte, Hen­ri­ette Rous­se­let, Zophia Zaïkows­ka, Lié­nard la per­mis­sion de les ras­er par la lec­ture du brouil­lon de mon arti­cle. Ils furent tous d’avis que ce serait intéres­sant d’ou­vrir, par la pub­li­ca­tion de l’ar­ti­cle, une dis­cus­sion dans la Vie Anar­chiste sur l’illégalisme.

Ain­si fut fait. J’ai attaqué le sys­tème de l’il­lé­gal­isme qui à cette époque avait déjà con­duit tant de cama­rades en prison et qui déci­mait les plus impa­tients et sou­vent les plus énergiques des nôtres. Je ne l’ai fait qu’en con­nais­sance de cause et beau­coup trop tard, mais ce n’est que dans un jour­nal indi­vid­u­al­iste que je pou­vais appel­er l’at­ten­tion sur les dan­gers de l’il­lé­gal­isme. Ailleurs, j’au­rais eu l’air de m’élever con­tre l’in­di­vid­u­al­isme — c’est-à-dire con­tre la base même de l’a­n­ar­chisme, qui est le développe­ment inces­sant, con­stant de l’in­di­vidu dans le sens anar­chiste. « L’a­n­ar­chie » m’a refusé l’in­ser­tion — le groupe qui la dirigeait alors — et s’il en avait été autrement, les cama­rades qui sont tombés vic­times de leur con­cep­tion sur l’il­lé­gal­isme auraient peut-être, quelques-uns du moins, je pense, été arrêtés sur la pente fatale qui les menait à la mort rapi­de, à l’emprisonnement ou à la fuite.

La cause essen­tielle de leur erreur est donc en ce qu’ils n’ont pu être suff­isam­ment éclairée par les cama­rades qui pen­saient comme moi. Si nous ne pou­vons réalis­er l’a­n­ar­chie dans sa pra­tique économique, nous pour­rions tout au moins la réalis­er dans sa pra­tique intel­lectuelle. Eh bien, nous n’avons pas même été capa­bles de cela : les jour­naux anar­chistes ont été jusqu’alors la pro­priété, le fief d’un cama­rade ou d’une coterie. L’or­gan­i­sa­tion, l’ad­min­is­tra­tion d’un jour­nal anar­chiste ne dif­fère en rien d’un jour­nal social­iste ou bour­geois. Cha­cun a son cadre, son genre, son ton, sa note, etc., etc. Il faut marcher avec les uns ou avec les autres, il faut être du clan, il faut être ortho­doxe, etc., aus­si les jour­naux anar­chistes ne le sont que de nom. On a sa coterie, l’on n’est pas ceci, cela, mais l’on est con­tre ceci, con­tre cela, on est de par­ti-pris. Le tra­vail d’én­ergie qu’au­raient d’abord dû faire les cama­rades aurait été de créer un organe véri­ta­ble­ment libre, où les opin­ions opposées auraient pu s’ex­primer, où l’ar­gu­men­ta­tion n’au­rait pas été uni­latérale, où tous les auteurs auraient été tenus sur le pied d’é­gal­ité, d’établir enfin un organe où toute lumière fut répan­due à foi­son, où cha­cun put trou­ver une ligne de con­duite indi­vidu­elle, d’au­tant plus sûre qu’elle aurait été élaborée par des cama­rades aux vues les plus divers­es, qu’elle aurait été le résul­tat des con­tro­ver­s­es les plus libres.

Mal­heureuse­ment les cama­rades ont peur de la lumière trop vive, ils craig­nent que cer­taines dis­cus­sions ne causent du tort à la pro­pa­gande et cepen­dant l’on aboutit mal­gré ce sys­tème à voir les jour­naux anar­chistes se pom­mad­er avec les jour­naux autori­taires, aider à leur dif­fu­sion, faciliter leur créa­tion, à voir les sig­na­tures de pré­ten­dus anar­chistes dans des heb­do­madaires autori­taires et racol­er par tous les moyens la clien­tèle lib­er­taire, sinon anar­chiste. Et l’on aboutit aus­si à voir dis­cuter si l’on doit être maque­reau, mouchard, estam­peur, sans qu’à côté de ces sales besognes, sans que dans le même canard on puisse apporter l’an­ti­dote, qui fera voir l’er­reur de la théorie et démas­quera le bon­homme qui vit ou veut vivre de la pro­pa­gande, ou de la femme ou de l’estampage.

[/G. Butaud/]

(à suiv­re)


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