Il existe chez beaucoup d’individus, chez les anarchistes en particulier, une contradiction flagrante entre la théorie et la pratique, entre les idées qu’ils propagent et leur façon de se comporter dans les actes de la vie.
Untel, partisan de l’amour libre, fait à sa compagne de terribles scènes de jalousie ; tel autre, anti-autoritaire par définition, veut imposer sa volonté à ses camarades ; tel autre, négateur de la propriété individuelle, entassera chez lui mille et une choses dont il n’a nul besoin, mais qu’il défendra néanmoins contre ceux qui en auraient besoin et veulent les lui ravir ; tel autre, intransigeant et sectaire, parle de concessions, etc., etc.
Il y a là, je crois, quelque chose de mauvais en nous, chose dont il importe de se débarrasser.
1° Au point de vue des satisfactions personnelles.
2° Au point de vue de la propagande.
Certes, je ne veux point me poser en surhomme et me proposer comme modèle ; j’ai mes défauts que je me révèle ou qu’on me révèle tous les jours ; cependant, lorsque retiré loin du bruit et de l’agitation fiévreuse de la rue, j’examine les théories que je prêche et que je les mets en face de leur pratique, lorsque j’y vois une complète similitude, quelle douce joie, quel contentement intérieur !
J’éprouve, en effet, un grand contentement de me sentir meilleur que la veille et cela m’encourage à persévérer pour lutter avec plus d’énergie encore le lendemain contre mes vices ou mes passions.
Mais lorsque, au contraire, j’y vois une dissemblance, je retombe de bien haut et je me sermonne mentalement : « Voyons, mon vieux, que dis-tu aux autres, corrige-toi d’abord » ; je continue sur ce thème pendant un certain temps et ce petit soliloque me peine beaucoup et c’est pourquoi je me suis résolu à me l’éviter en mettant d’accord ces deux sœurs que doivent être : Pratique et Théorie.
Au point de vue de la propagande, cela a une importance bien plus grande encore. Un ivrogne est bien mal placé pour faire de la propagande anti-alcoolique ; un fumeur qui conseille de ne plus fumer est pris pour… un fumiste. L’individu qui prône la supériorité de l’union libre, en légalisant ses amours, établit le contraire pour le public, ou plutôt pour les individus que nous cherchons à amener à nous : cela a un effet déplorable.
Les néophytes, en effet, regardent beaucoup la vie de leurs éducateurs. De là la nécessité de la morale par l’exemple. La théorie selon moi, doit suivre et découler de la pratique, au lieu de la précéder : n’émettons donc jamais une idée sans l’avoir au préalable mûrement réfléchie et expérimentée sur soi-même. Disons ce que nous pensons, mais faisons toujours ce que nous pensons, car :
C’est à l’œuvre que l’on voit l’artisan.
Alors, mais alors seulement, nous pourrons faire une propagande réelle parce qu’efficace et nous serons plus heureux parce que meilleurs, réfléchissons donc à cette vieille maxime latine : res non verba — des choses, non des mots.
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