La Presse Anarchiste

La Vie théâtrale

Nous avons dit ici quels furent les efforts de la Com­mis­sion admin­is­tra­tive pro­vi­soire de la C.G.T.U. et de la Fédéra­tion uni­taire du Spec­ta­cle pour la créa­tion d’un Théâtre Con­fédéral. L’expérience avait été faite fort heureuse­ment et la salle de la rue Grange-aux-Belles garde encore les échos du suc­cès des belles représen­ta­tions. Il ne restait plus qu’à faire approu­ver par le Con­grès con­sti­tu­tif de la C.G.T.U. l’entreprise hardi­ment ten­tée et qu’à lui don­ner l’appui total de tous les syn­di­cats révolutionnaires.

Ceux qui doutent encore qu’il y ait quelque dif­férence entre la vieille C.G.T. et la C.G.T.U., ceux qui nous reprochent d’avoir changé le cheval borgne pour le cheval aveu­gle, ceux qui se fig­urent que l’esprit de la nou­velle organ­i­sa­tion con­fédérale est tout entier dans le vote sur l’orientation, ceux qui dés­espèrent après l’échec appar­ent de notre fédéral­isme, auraient dû assis­ter à cette séance du Con­grès au cours de laque­lle nous fîmes appel à des délégués pour for­mer une com­mis­sion du Théâtre Con­fédéral. Ce fut un ent­hou­si­asme déli­rant. Tout le monde voulait en être. Ah ! Monat­te avait pu fielleuse­ment nous reprocher cette ini­tia­tive comme un des nom­breux actes de « dic­tature » de la C.A. pro­vi­soire… Les délégués sans dis­tinc­tion de ten­dances, com­mu­nistes, lib­er­taires et syn­di­cal­istes, nous prou­vaient, par leur élan, qu’ils applaud­is­saient à l’œuvre ébauchée et qu’ils venaient à nous pour nous per­me­t­tre de l’achever. Mon­mousseau pou­vait dédaigneuse­ment refuser de faire par­tie de la Com­mis­sion : de toutes les régions du pays syn­di­cal­iste les con­cours s’offraient. Durant les séances de la com­mis­sion, nos cama­rades comé­di­ens Car­pen­tier et Mlle Dan­court furent émer­veil­lés de trou­ver chez nos cama­rades manuels une telle com­préhen­sion du rôle révo­lu­tion­naire de l’Art dra­ma­tique. Ce n’était plus la banale et piètre con­cep­tion d’un théâtre de par­ti, d’une scène de pro­pa­gande, de la con­férence ou du meet­ing dia­logués : c’était l’amour de l’Art, le désir d’harmonie, la volon­té de Beauté, le besoin de Lumière qui ani­maient ces tra­vailleurs. C’était aus­si la saine joie de met­tre sur pied tous ensem­ble une œuvre sor­tie tout entière de nos mains et de nos cerveaux de pro­duc­teurs exploités. Pour la pre­mière fois dans le monde du Tra­vail, la force, la tech­nic­ité et la pen­sée allaient s’unir pour con­stru­ire. La fon­da­tion du Théâtre Con­fédéral : c’est un sym­bole de l’avenir de notre syndicalisme.

Frossard pou­vait tourn­er en déri­sion notre con­cept d’une organ­i­sa­tion du tra­vail suff­isant à toute l’activité sociale. Il pou­vait s’amuser en nous deman­dant si notre syn­di­cal­i­sa­tion inté­grale nous ferait accepter dans la C.G.T.U. M. Bar­rés et M. Painlevé. Le Théâtre Con­fédéral lui mon­tra quels sont les intel­lectuels et les artistes qui peu­vent venir avec les tra­vailleurs ; ce sont ceux qui en acceptent toute la sol­i­dar­ité de peines et d’espoirs ; ce sont ceux qui n’acceptent pas d’être les com­plices de l’exploitation cap­i­tal­iste ou de la dom­i­na­tion gou­verne­men­tale ; ce sont les penseurs, les artistes et les tech­ni­ciens qui sont en fait des pro­lé­taires parce qu’ils ne se sont pas mis au ser­vice du Pou­voir d’Argent. Au Théâtre Con­fédéral des artistes syn­diqués à la C.G.T.U. joueront des auteurs syn­diqués à la C.G.T.U. Et par­mi ceux-là il ne peut y avoir ni M. Raimu ni M. de Fiers.

Mon­mousseau pou­vait cri­ti­quer l’admirable plan du région­al­isme dressé par les soins intel­li­gents de Tot­ti. Il pou­vait le dire irréal­is­able, chimérique. Le comé­di­en Car­pen­tier, qui n’est cepen­dant pas un anar­chiste, (il vota même con­tre nous à Saint-Éti­enne) fit accepter de tous la seule réal­i­sa­tion pos­si­ble du Théâtre Con­fédéral par la mise en pra­tique de la décen­tral­i­sa­tion, par la créa­tion de foy­ers régionaux d’activités artis­tiques aux­quels la Fédéra­tion du spec­ta­cle ne fera que fournir les moyens tech­niques d’industrie.

Chaque région, (pro­vi­soire­ment chaque union départe­men­tale) se charg­era d’assurer des locaux, d’aménager des salles, d’administrer son théâtre ou ses théâtres. La Fédéra­tion du Spec­ta­cle avec la C.G.T.U. leur apporteront pièces et interprètes.

Mais, pour tout cela, il fau­dra l’effort de chaque syn­diqué. La C.A. et la C.G.T.U. d’abord, devra se hâter d’exécuter les divi­sions du Con­grès, d’éditer des tim­bres de coopéra­tion au Théâtre Con­fédéral. Et les syn­di­cats devront faire le max­i­mum d’efforts pour que l’œuvre s’édifie puis­sante et féconde.

Nous sommes cer­tains que tous, sans dis­tinc­tions de ten­dances, apporteront leur con­cours au Théâtre Con­fédéral. L’accueil que reçut le pro­jet à Saint-Éti­enne nous est garant du suc­cès de la réal­i­sa­tion. En tous cas, les anar­chistes ne seront pas les derniers à soutenir cette œuvre d’émancipation intel­lectuelle et d’autocréation prolétarienne.


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