La Presse Anarchiste

Le bon grain et l’ivraie

Le renie­ment n’est que l’une des formes du men­songe ; la plus basse peut-être. Marianne cas­quée a des goûts cra­pu­leux et recrute volon­tiers par­mi les rené­gats. La poli­tique est une car­rière qui exige le men­songe. On fait son droit ou sa méde­cine, en se sou­ciant aus­si peu de la veuve et de l’orphelin que de la dou­leur humaine, puis on pro­met le para­dis aux foules… sans y croire natu­rel­le­ment. On prêche la Révo­lu­tion, puis un beau jour on s’adapte. Le plus fort est alors fait. Voyez Mil­le­rand, voyez Briand… ou Vivia­ni ; le pro­cé­dé est le même, les car­rières iden­tiques : elles reposent sur le men­songe, que dis-je, elles sont elles-mêmes un long mensonge !

Je ne sais si René Vivia­ni, enfant de l’Oranie enso­leillée, fut véri­dique en sa jeu­nesse. Ce qui est cer­tain c’est que le soleil d’Afrique lui pro­di­gua, dès l’âge le plus tendre, un goût immo­dé­ré pour la sagesse des sau­riens, et lui per­mit ain­si d’être, dans le monde poli­tique « celui qui est plus pares­seux que Briand » ce qui n’est pas un mince éloge…

Né à Sidi-bel-Abbès, en 1863, d’une famille d’origine ita­lienne, doué fort jeune d’une apti­tude à bour­rer le crâne de ses contem­po­rains qui n’avait d’égale que sa « cosse » insur­pas­sable et son désir d’arriver, René Vivia­ni cher­cha une car­rière conforme à son génie et ne tar­da pas à la décou­vrir : il vint à Paris faire son droit.

Ayant appris à men­tir selon Dalioz, et fait connais­sance avec le quar­tier Latin, le jeune avo­cat s’en fut se faire ins­crire au bar­reau d’Alger, qui en a vu bien d’autres. Mais les hori­zons colo­niaux ne retinrent pas long­temps son atten­tion. En 1893, Vivia­ni est can­di­dat dans le 5e arron­dis­se­ment, can­di­dat « Socia­liste », s’il vous plaît, et il clame ses convic­tions révo­lu­tion­naires (sic) en de nom­breuses réunions publiques. Les leçons de l’École de Droit avaient por­té : Vivia­ni-le-Men­teur entrait dans la car­rière. Il avait trente ans.

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Ce que fut cette car­rière, tout le monde le sait. Sa pre­mière inter­ven­tion à la Chambre fut en faveur des femmes. Vivia­ni obtint que le beau sexe puisse s’enlaidir de la robe des gens de jus­tice. On ne sait trop si ce fut là un pro­grès, mais ce qui est cer­tain, c’est qu’ainsi le jeune par­le­men­taire s’assura les suf­frages fémi­nins qui, bien que dépour­vus d’officialité, ne sont point à dédaigner.

On a beau­coup par­lé de l’éloquence de Vivia­ni. L’ayant enten­du à dif­fé­rentes époques, puis ayant pas­sé ses dis­cours au crible ter­rible de la lec­ture, je puis affir­mer cette élo­quence aus­si creuse que sur­faite. Le pro­cé­dé est simple, il tient le milieu entre le men­songe gran­di­lo­quent des réunions publiques, et le men­songe étu­dié, châ­tié de la comé­die judi­ciaire. Avo­cat et rhé­teur, chi­ca­nons et gueu­lard de car­re­four, il faut être l’un et l’autre pour réus­sir en poli­tique, dans ce pays où des mil­lions d’imbéciles s’hypnotisent volon­tiers sur un quel­conque char­la­tan ver­beux. René Vivia­ni étant l’un et l’autre devait illus­trer la Répu­blique troi­sième, fille du ver­ba­lisme « révolutionnaire ».

En 1894, il défen­dait le jour­na­liste J.-L. Bre­ton, cou­pable d’avoir vou­lu sau­ver la tête de Vaillant (pas le vieux caï­man social-patriote, non, relui qui jeta sa chi­mie ven­ge­resse à la tête des onagres du Palais-Bour­bon) et notre homme fit à ce sujet une plai­doi­rie qui enver­rait son auteur à la San­té, Vivia­ni regnante.

Bre­ton avait écrit : « Si Car­not se pro­nonce pour la mort (de Vaillant) il n’y aura plus en France un seul homme pour le plaindre s’il lui arrive un jour le petit désa­gré­ment de voir sa car­casse de bois dis­lo­quée par une bombe ».

Vivia­ni dit aux jurés :

« Qu’a fait l’écrivain ? Sous une forme vio­lente il a expri­mé une opi­nion à laquelle je m’associe… » Et il ajou­tait en invo­quant la véri­table jus­tice contre : « ces finan­ciers véreux qui par­courent le monde et qui ont volé l’argent du pauvre et drai­né l’épargne du pays ».

Mal­gré ces intem­pé­rances de lan­gage le beau René fut bat­tu aux élec­tions, en 1902, par le « répu­gnant jésuite Auf­fray ». Il se fit alors jour­na­liste et col­la­bo­ra à la Lan­terne avec Briand et, en 1901, il entra à l’Humanité et pré­pa­ra sa revanche. Au Congrès de Rouen, en 1905, on le remar­qua et, en 1906 il fut réélu.

Réin­té­gré au Palais-Bour­bon, Vivia­ni s’empressa de se ména­ger des amis puis­sants. Sans hési­ter il désa­voua les révo­lu­tion­naires du Par­ti socia­liste et der­rière les Mil­le­rand, les Gué­rault-Richard. les Four­nière, il fut l’un des fon­da­teurs du social-patrio­tisme qu’illustrèrent plus tard les Renau­del, les Tho­mas et Cie.

Enfin, digne cou­ron­ne­ment d’une série « de pro­fi­tables men­songes, en 1906 Cle­men­ceau, tou­jours iro­nique, appe­la Vivia­ni-le-Men­teur au minis­tère du Travail.

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Après avoir vu Vivia­ni-la-cou­leuvre ministre du Tra­vail on pou­vait se deman­der quel cata­pul­tueux men­songe pou­vait dépas­ser celui-ci, quelle injure l’homme de Sidi-bel-Abbès pou­vait jeter à la face de la véri­té. La guerre allait per­mettre au défen­seur fal­la­cieux de J.-L. Bre­ton de se dépas­ser lui-même.

Pour inau­gu­rer son entrée dans la troupe des fan­toches misé­rables qui condui­sirent le peuple fran­çais à la guerre, Vivia­ni-le-Men­teur com­men­ça par lan­cer à la Chambre sa fameuse phrase ;

« Nous avons éteint dans le ciel des lumières que l’on ne ral­lu­me­ra pas ».

Mais Vivia­ni, tout comme la bour­geoi­sie qu’il repré­sente, ayant éteint les lumi­gnons du pas­sé, se refuse à poser l’électricité et la nuit, la sombre nuit froide et déses­pé­rée des­cend sur la masse des pauvres. Déjà Jau­rès avait dit : « Vous avez inter­rom­pu la vieille chan­son qui ber­çait la dou­leur humaine… et qu’avez-vous mis à la place ? »

Il y a quelques jours, Vivia­ni, se fai­sait le Terre-Neuve de Poin­ca­ré et jetait au Par­le­ment-Crou­pion du Bloc-Natio­nal ses phrases fal­la­cieuses. À tra­vers le voile de ces men­songes on dis­cerne la réponse à Jau­rès : « Ce que nous avons mis à la place de Dieu ? mais la Patrie ; à la place du Saint-Sacre­ment ? mais le dra­peau ! Et ces idoles en valent bien d’autres, ne serait-ce que par le nombre des vic­times qu’elles ont faites depuis leur entrée dans le monde. Voi­ci à peine un siècle qu’elles sont nées, sor­ties du cer­veau fumeux et ver­beux de quelques ora­teurs de clubs et déjà des mil­lions de cadavres, attestent la gran­deur et la force des nou­veaux dieux. Les anciennes étoiles sont bien mortes, et leur pauvre petite clar­té dis­pa­raît à la lueur ter­rible de l’incendie… »

N’ouvrez pas l’Offi­ciel pour y cher­cher cette réponse ou quelque chose d’approchant. Vous y trou­ve­riez, exac­te­ment le contraire ou à peu près ; mais n’oubliez pas que Vivia­ni ment comme il res­pire, avec une exces­sive facilité.

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Tous les poli­ti­ciens qui se suc­cèdent au pou­voir depuis 1891 sont res­pon­sables de la guerre, à com­men­cer par Ribot, cette « grande canaille mécon­nue », père de l’Alliance Russe, jusqu’à Vivia­ni-le-Men­teur, Terre-Neuve de Poin­ca­ré. Reje­ter sur celui-ci ou sur celui-là la res­pon­sa­bi­li­té de la catas­trophe est pué­ril, c’est toute une poli­tique qu’il faut mettre en cause et ceux qui la repré­sentent et l’exécutent.

Vivia­ni nous a par­lé de sa volon­té de paix. Il a men­ti. Avant la démarche de l’ambassadeur alle­mand, il connais­sait la mobi­li­sa­tion russe, il ne pou­vait pas l’ignorer, pour­quoi n’a t‑il pas deman­dé d’explications à Saint-Péters­bourg ?… Ceci se pas­sait le 31 juillet à 7 heures du soir. D’heure en heure, la situa­tion deve­nait plus tra­gique ; on cher­chait Vivia­ni par­tout, on ne le trou­va point. Dans le cou­rant de la nuit, un secré­taire plus avi­sé eut l’idée de le déni­cher chez une de ces dames du lupa­nar National !

— On ne peut donc plus bai­ser tran­quille ! Ain­si s’exprima l’homme de Bel-Abbès qui, comme on le voit, connaît le lan­gage des cours… Mais passons.

Répon­dant à Vaillant-Cou­tu­rier et à Cachin, Vivia­ni fit donc un brillant dis­cours dont l’affichage fut voté, mais qui, ain­si que l’a consta­té Gout­te­noire-de-Tou­ry, dans le Jour­nal du Peuple, contient force mensonges.

Que les dépu­tés, et après eux les élec­teurs, dont ils sont la fidèle repré­sen­ta­tion, soient assez stu­pides pour prendre au sérieux les phrases creuses et men­teuses d’un Vivia­ni, cela peut attris­ter un hon­nête homme, mais ne sau­rait éton­ner un phi­lo­sophe connais­sant par expé­rience que la bêtise humaine offre des res­sources infi­nies aux canailles de gouvernement.

Vivia­ni a pré­ten­du avoir « ser­vi la France » en évi­tant d’appliquer le Car­net B. Men­songe ! Toute la réac­tion ameu­tée a repro­ché à Mal­vy cette mesure de clé­mence, d’ailleurs inté­res­sée. Après avoir lâché Mal­vy lors de sa chute, Vivia­ni se déclare aujourd’hui soli­daire, que dis-je, il se glo­ri­fie de sa poli­tique. Quelle tartufferie ! 

Puis c’est le fameux recul des troupes à 10 kilo­mètres en arrière de la fron­tière que Vivia­ni dénomme « res­pon­sa­bi­li­té la plus tra­fique de l’histoire de livrer 10 kilo­mètres du pays… » (Jour­nal offi­ciel, 5 juillet). Or, en un dis­cours fameux qui, lui aus­si, fut affi­ché sur les murs de France, Vivia­ni a fait, en 1914, la double et contra­dic­toire décla­ra­tion suivante :

D’une part, il dit :

« Si nous avions cru com­prendre le salut du pays, inutile de dire que nous n’aurions pas pris cette mesure… »

Et, d’autre part :

« En recu­lant ses troupes de 10 kilo­mètres la France a fait le plus magni­fique sacri­fice à la paix qu’aucune nation ait jamais consenti… »

À quel moment doit-on croire Viviani-le-Menteur. ?

D’ailleurs, un ordre du jour de Joffre a pré­ci­sé la valeur de la rhé­to­rique vivia­nesque. Dans cet ordre du jour, il est dit que : « Pour des rai­sons diplo­ma­tiques » les troupes recu­le­ront de 10 kilo­mètres. Et Mes­si­my confirme cette opi­nion en affir­mant que ce recul fut fait dans le but « d’assurer le concours de nos voi­sins anglais ».

On cher­che­rait en vain dans tout cela le fameux « Sacri­fice à la paix » ; on y trouve sim­ple­ment les men­songes contra­dic­toires d’un rhé­teur pares­seux et inca­pable, igno­rant plus que mon concierge des pro­blèmes de poli­tique exté­rieure qui abou­tirent à cette guerre qu’il ne vou­lait sans doute pas, mais qu’il ne sut pas évi­ter alors que cela était fort pos­sible, et ce, sans sor­tir du cadre poli­tique bourgeois.

Quant aux argu­ties de Vivia­ni sur la volon­té paci­fique de la France, cela fait rire quand on connaît la réponse du gou­ver­ne­ment à Isvols­ky, lorsque le diplo­mate du tzar vint, le 1er août 1914, deman­der ce que ferait la France. Voi­ci cette réponse citée par Poin­ca­ré lui-même, dans un article inti­tu­lé : Ori­gines de la guerre (Revue de la Semaine, 18 mars 1821, page 278) :

« Je ne doute pas qu’il (le gou­ver­ne­ment) ne soit prêt à deman­der aux chambres de rem­plir les obli­ga­tions que l’Alliance nous impose. Mais n’insistez pas pour que le Par­le­ment fran­çais déclare la guerre tout de suite à l’Allemagne. D’une part, nous avons inté­rêt à ce que notre mobi­li­sa­tion soit pous­sée aus­si loin que pos­sible avant le com­men­ce­ment désor­mais fatal des hos­ti­li­tés ; d’autre part, mieux vau­drait que nous n’eussions pas à exé­cu­ter l’alliance et à décla­rer la guerre. Si l’Allemagne nous la déclare elle-même, le peuple fran­çais se lève­ra avec plus d’ardeur pour défendre son sol et sa liberté. »

D’ailleurs, le dis­cours de Vivia­ni, actuel­le­ment affi­ché sur tous les murs de France, est plein d’enseignements. Il y est dit, entre autres choses, que lorsque la mobi­li­sa­tion russe fut connue en Alle­magne on se réso­lut à la guerre et que Beth­mann-Holl­weg déclara :

« Le par­ti est pris. Nous lais­se­rons ses colo­nies à la France. Nous res­ti­tue­rons l’intégrité de la Bel­gique après qu’elle nous aura livré passage. »

Ayant lu cela à l’Offi­ciel, une réflexion s’impose : Pour­quoi n’en a‑t-on pas usé de même avec l’Allemagne ? Et sur­tout pour­quoi la guerre a‑t-elle duré cinq ans ?

Et la réponse se fait d’elle-même : Parce que l’Angleterre, arbitre des des­ti­nées du monde, l’exigea ain­si, afin que fût rui­né défi­ni­ti­ve­ment le concur­rent ger­ma­nique que l’on avait mis vingt ans à encercler.

Chaque jour nous apporte une pierre de plus en faveur de cette thèse, mal­gré les beaux dis­cours de Viviani.

Dans la Revue Mon­diale du 15 juin der­nier, M. Ran­ko­vitch, par­lant de la nou­velle « grande Ser­bie », écrit au sujet des vic­toires de 1914 :

« Cette vic­toire arrê­ta net la marche des Alle­mands vers l’Orient. Elle consti­tua l’un des évé­ne­ments les plus impor­tants pour l’issue finale de la guerre. En juillet 1914 les Serbes ont sau­vé la liber­té de la route des Indes et conser­vé pour ain­si dire l’Égypte aux Anglais. »

Voi­là une véri­té pro­fonde de poli­tique exté­rieure qui a tou­jours échap­pé aux Vivia­ni… ou alors, s’ils en ont conscience, ils sont les com­plices de la guerre et les meilleurs sol­dats de l’Empire bri­tan­nique. Toute leur phra­séo­lo­gie ne sau­rait pré­va­loir contre cette véri­té élémentaire.

Le mal­heur est que dans ce pays d’ignorants et d’avachis, les Vivia­ni ont conser­vé le pou­voir. Demain, le Men­teur sera peut-être le rem­pla­çant de Poin­ca­ré-le-Croque-Mort, et il se trou­ve­ra des niais par­mi les « avan­cés » pour van­ter son « répu­bli­ca­nisme », son « laï­cisme » et autres sor­nettes… tant il est vrai que, comme l’a dit Ana­tole France, les peuples ont le gou­ver­ne­ment qu’ils méritent.

Mais les gens clair­voyants, anar­chistes ou non, n’auront aucune illu­sion sur la valeur intel­lec­tuelle et morale du cancre algé­rien Vivia­ni-le-Men­teur, para­site pares­seux et cynique de la Répu­blique bour­geoise, enfi­leur de creuses périodes bonnes tout au plus à émou­voir les tripes patrio­tiques des quelques Homais de sous-pré­fec­ture (qui com­posent ce que les imbé­ciles appellent « l’élite poli­tique du pays ».

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