[|QUESTIONNAIRE|]
Nous supposons balayée la pourriture capitaliste
- Êtes-vous en faveur du Travail volontaire ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
- Êtes-vous partisan du Travail imposé ?
- Pour quelles raisons ?
- Comment en concevez-vous l’organisation ?
[|Le travail volontaire ou imposé|]
Cette étude développée à fond sortirait du cadre de cette revue. Aussi je serai bref.
Pour les anarchistes, la question ne se pose pas : « Ni Dieu ni maître », donc ils repoussent le travail imposé parce qu’antinaturel, et qu’il exige une autorité, une dictature de quelques uns sur le plus grand nombre, dictature entraînant des sanctions… et tout ce qui s’ensuit. (Voyez société actuelle).
Au lendemain du grand nettoyage, le travail volontaire, c’est-à-dire libre, sera à l’ordre du jour, parce que c’est le travail vrai, logique, naturel. Celui qui fera que tout le monde mettra la main à la pâte. Celui qui fera que chacun se mettra à sa place suivant ses goûts et ses aptitudes, mettant ainsi en pratique l’utilisation des compétences. Celui qui développera les initiatives, qui favorisera les inventions nouvelles utiles, perfectionnant les méthodes de travail, d’où disparition de la main‑d’œuvre humaine pour les travaux insalubres, dangereux et mortels. Celui qui supprimera Les métiers inutiles, reportant les forces mal employées sur les travaux indispensables, soulageant aussi ceux qui les exécutaient seuls jusque là. Celui qui ne sera plus regardé comme dégradant, niais au contraire comme un facteur puissant de développement physique, intellectuel et moral. Celui qui ne fera pas du producteur une simple machine, mais un être humain conscient et libre. Celui enfin qui aurait dû toujours exister sur terre.
Quant à l’organisation du travail libre, elle sera simple, logique, naturelle. Je ne puis être plus bref ni plus concis qu’en donnant comme exemple la façon d’opérer d’une équipe de producteurs exécutant un travail à forfait. Je n’ai pas à m’étendre sur cette sorte de travail, tous le connaissent pour l’avoir pratiqué plus ou moins. Cependant je crois pouvoir dire que, si le travail à forfait n’est pas le travail volontaire, c’est un pas vers lui, car il en donne une idée assez nette.
Pour terminer, je dirai que les enquêtes ouvertes par la R.A. sont utiles, voire même ; indispensables. Car la R.A. n’est pas lue que par des libertaires d’abord ; ensuite les camarades puiseront, dans les réponses publiées, des renseignements précieux pour leur argumentation.
[/14 juillet 1922.
Max
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Du travail volontaire et du travail imposé, le premier est le seul qui puisse donner un soupçon d’égalité. J’ai l’air de faire un non sens, car en fait, il fonde deux classes : celle des travailleurs et celle des oisifs ; mais il permet à chacun de satisfaire ses tendances d’esprit sans que le rapport de celles-ci avec l’utilité, modifie la part de provisions nécessaires à la vie ; car j’entends que la production soit répartie suivant les besoins et non suivant le travail de chacun. Le second fonde, comme le premier, deux classes ; celle des disciplinaires et celle des gardes-chiourmes, c’est une erreur de croire, qu’avec la surveillance de tous sur chacun, on arrive à autre chose qu’au triomphe de la crainte, du chantage et de la corruption ; avec cette surveillance, la rigidité des principes disparaît ainsi que le système lui-même. L’obligation du travail, la répartition de la production, d’après lui, sont des bases qui sont appelées à transformer une société en bagne.
Le gros inconvénient du travail volontaire, c’est d’encourager la paresse, même chez le tempérament travailleur ; mais celui-ci prendra à cœur, je pense, de continuer l’œuvre commencée et de la mener à bien ; de plus sur le chemin glissant qui mène au néant et vers lequel nous pousse l’oisiveté, nous trouvons une barrière qui se charge de nous faire faire marche en arrière : c’est la répartition du nécessaire qui, pour être en proportion avec les besoins de chacun, n’en est pas moins en proportion avec la production totale. Dès qu’il y aura restrictions, elles seront communes, il serait bien étonnant qu’il n’y eût pas réaction, redoublement d’action devant cet aiguillon : nécessité.
Le travail imposé ne connaît pas l’oisiveté, parce qu’il a recours aux sanctions ; ce qui entraine des abus, non seulement parce qu’il est des personnes habiles à les interpréteur en leur faveur, mais aussi parce qu’une loi, une sanction est toujours rigide.
Cette rigidité est source d’erreurs, car elle se heurte à une incapacité qu’elle ne sait reconnaître et qu’elle punit ou bien à un « tire au flanc » savant dont elle est dupe et qu’elle encourage, et ainsi on revient au régime du crime, du vol, des victimes, des prisons. Le travail volontaire laisse en paix bons et méchants. Le travail imposé tyrannise les deux : il fait triompher et l’injustice et les mauvais instincts.
Pour ma part, j’adopte donc le travail volontaire, parce qu’il est le seul qui puisse convenir à des hommes ayant souffert de la tyrannie et de l’autorité, et aussi parce qu’il peut seul, sans danger, succéder à une période de trouble comme l’est une révolution, période durant laquelle les beaux élans du cœur ont été développés en même temps que les plus mauvais instincts ; si à une telle période on fait succéder l’autorité, il faudra s’attendre à une dictature, la lutte sera à recommencer.
Reste à savoir comment nous devons organiser le travail volontaire. Je ne renonce pas aux deux classes de travailleurs, à savoir : les manuels et les intellectuels, mais je réclame, pour les deux, un enseignement général assez long, pendant lequel il y aura communion de pensées et travail commun ; où celui qui sera un intellectuel apprendra un travail manuel et vice-versa, afin que l’un ne soit pas une théorie et l’autre une machine.
Mais c’est dans l’enseignement que, je crois, se pose la grande question du respect du travail volontaire. On peut, peut-être, la simplifier en envoyant régulièrement les enfants en classe, en supprimant les punitions, en leur faisant éprouver la nécessité morale d’effectuer le travail proposé ; la tâche n’est pas minime…
Les travailleurs sont tenus d’assumer une charge et en sont responsables, on peut par l’émulation, l’amour-propre, etc., susciter chez tous un état salutaire, mais il est plus délicat de mettre en valeur l’amour du prochain, afin de stimuler la production et d’augmenter le bien-être général. Je suis persuadée que les travailleurs, se sentant directement intéressés, se sentant libres dans la manière d’orienter leur travail, leurs forces physiques et intellectuelles s’attacheront à leur besogne, l’acquitteront avec plus de goût.
[/Marcelle./]
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Le travail volontaire crée, disent ses ennemis, deux classes dans la société : celle des oisifs et celle des travailleurs. En obligeant ces derniers à produire, non seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui se refusent au travail, il engendre une inégalité flagrante. Nous ne pouvons le nier, ce raisonnement est logique mais voyons ce qui nous est présenté comme régime égalitaire.
Il sera rédigé, toujours d’après les partisans du travail imposé, une codification spéciale du travail proportionnant théoriquement le droit à la vie au travail fourni, codification qui, établie définitivement, pour un long et pénible travail, devra être mise en pratique. — Qui se chargera de cette application ? Qui contrôlera le travail fourni par chaque être humain et en déduira pour celui-ci, la part qui lui revient de ce qui est nécessaire à la vie ? Qui, enfin, si les oisifs commettent des crimes, se chargera de les juger et de faire respecter les verdicts prononcés ? — Je crois que cette deuxième solution du problème du travail, à l’égal de la première, engendre deux classes dans la société et l’une d’elles, la parasite, vit aux dépens de l’autre, la productrice. Il reste à savoir quelle est celle de ces deux solutions qui donnera naissance au plus petit nombre de parasites.
Pour qu’il soit possible d’instaurer un régime social libertaire au lendemain de la Révolution il faudra que la majorité des esprits ait été gagnée aux idées libertaires. Si ces idées ont été assez fortes chez les révolutionnaires pour leur faire accomplir une transformation totale de la société, il est évident que ces révolutionnaires seront débordants d’enthousiasme et décidés à obtenir un résultat positif. Ils seront allés jusqu’au sacrifice de leur vie dans la mêlée, ils n’hésiteront certainement pas à donner leur effort quotidien pour la production de ce qui est nécessaire à la vie de tous.
Leur hésitation sera d’autant plus restreinte que, même au lendemain de la Révolution, le travail sera et moins long et moins pénible que maintenant, tout ce qui est inutile étant supprime.
Il ne s’agit pas là, d’une affirmation « a priori » mais bien d’un fait d’observation historique. De tout temps ce que le peuple a accompli de sa propre initiative, fut grand et généreux. Toutefois, ses forces sont épuisables et, lorsque après une lutte prolongée, il n’obtient aucune amélioration, il se laisse aller à l’avachissement, voire même à la débauche. Le fait se produisit en France, après la Grande Révolution, permit à Bonaparte de devenir un tyran et se reproduit, de nos jours, en Russie. Or, la société future, étant libertaire, laissera le fruit des efforts communs à tous, d’où résultat tangible pour ceux qui peinent. De plus, le travailleur ayant le temps d’étudier, comprendra ce qu’il fait et aimera ce qui sera son œuvre. Puis l’homme a besoin d’employer ses forces et pourquoi se refuserait-il systématiquement à se rendre utile ?
Dans ces conditions, j’ose croire que le nombre des parasites serait assez restreint et certainement inférieur à celui que nécessiterait l’organisation du travail imposé. Ce dernier, d’ailleurs, parce que l’homme est hostile à toute contrainte, ferait haïr le travail. Ces différentes raisons me font opter en faveur du travail volontaire.
Je crois qu’il est d’abord indispensable, pour permettre une bonne organisation du travail, de supprimer la division des travailleurs en travailleurs manuels et en travailleurs intellectuels, division qui engendre une certaine centralisation à l’intérieur des corps productifs et donne naissance à la centralisation totale par le pouvoir que veulent exercer les derniers sur les premiers. Il est évident que nous ne pouvons nous contenter des joies de l’esprit et que celles-ci ne sont vraiment ressenties que si le corps est en parfait état de santé. Il faut donc produire ce qui est nécessaire à notre corps et, par suite, travailler manuellement. Quand il aura donné ce qu’il considère comme sa part de travail manuel, l’homme (j’entends par ce mot, l’être humain en général) pourra se donner au travail intellectuel. Il trouvera d’ailleurs, toutes les facilités pour le faire dans la société reconstituée. Il sera ainsi, à la fois, intellectuel et manuel et en ressentira davantage le plaisir de vivre, parce que jouissant d’un plus grand nombre de ses facultés.
Ce point étant acquis, l’organisation fédéraliste est, à mon avis, celle qui répond le mieux aux besoins du travail volontaire. La production sera réglée par les nécessités de la vie ou, en d’autres termes, chaque centre de production, après avoir pris connaissance de ce qu’il doit fournir, s’entendra avec les autres centres de production pour obtenir, soit les matières premières, soit les outils qui lui sont utiles.
Il existera ainsi, entre ces différents centres de production, un lien solide, parce qu’il sera basé sur des nécessités et non pas décrété par une autorité quelconque, un lien naturel, car toutes les rivalités qui entravent la production dans la société présente, seront supprimées. Par suite de ce mode de production, la répartition sera aisée : chacun trouvera ce qui lui est utile dans les magasins généraux et, ainsi, la formule anarchiste :
De chacun selon ses forces
À chacun selon ses besoins
sera appliquée intégralement.
[/Laurence./]
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Le travail contrôlé, le travail obligatoire ne peut gêner qu’une sorte de personnes :
Celles qui ont l’intention de rester oisives.
En quoi cela peut-il gêner les autres ? Évidemment j’entends par travail contrôlé, non pas le garde-chiourme guettant la moindre faute du mécanicien, alors que lui-même ne connaît rien à son labeur, non pas le chef de bureau, cherchant une virgule oubliée pour témoigner son zèle. Non ; il faut qu’il existe dans le travail un contrôle exercé par la masse des travailleurs (ces travailleurs peuvent être aisément représentés par quelques-uns des leurs, pour les sanctions à prendre).
Il faut qu’on empêche de voler la part de nourriture non rendue par le travail, quel qu’il soit. Ne reculez pas devant l’application de la maxime citée :
« Celui qui ne travaille pas n’a pas le droit à la vie. » Cela ne tuera que ceux qui l’auront voulu et je suis tranquille, peu le voudront.
Nous devons respecter le travail fourni par chacun ; donner le fruit de ce travail à tous, indistinctement, serait une erreur qui créerait deux classes dans la société :
L’une, esclave du devoir, exécuterait volontairement et sûrement sa besogne ;
L’autre, à conscience élastique, ne ferait rien ou presque et jouirait des bienfaits amassés par le travail des autres.
Pourquoi tuer l’injustice si vous la refaites ?
La première serait horriblement volée, car elle serait obligée de travailler, et pour elle et pour les autres.
Je vois d’ici, les partisans du travail volontaire, s’écrier que tous voudront travailler. Non pas ! sur cent personnes, combien sont dignes du mot humain, chef‑d’œuvre de la création, combien sont justes ? combien non égoïstes ?
Alors ?…
[/Suzanne./]
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Pour un libertaire, aucune hésitation possible, lui réponse : Travail volontaire.
Comme vous l’avez merveilleusement expliqué dans « Mon Communisme », ce travail imposé nous ramènerait fatalement à remettre sur pied toute l’organisation autoritaire de contrôle dont nous souffrons tant et qui est un des plus grands obstacles à notre émancipation. Dans une société idéale, il faut que le travail soit devenu un plaisir, une récréation ; or pour moi, et je pense qu’il en est ainsi pour tous, tout ce qui m’est imposé me devient intolérable. Le jour où l’on imposera à l’humanité l’obligation d’aller six fois par semaine au théâtre, ces distractions cesseront d’en être et prendront le caractère d’un véritable travail. J’ai vu quelquefois de ces snobs faire avec plaisir un véritable travail et je le comprends pour deux raisons : ils n’en avaient pas l’habitude et ils le faisaient librement, volontairement.
Actuellement, le travail est ennuyeux. Généralement, il ne cadre pas avec nos goûts, nous l’accomplissons dans des conditions déplorables, et enfin, il nous est imposé. Je m’en échappe le plus possible. En atelier, au bureau, j’ai la réputation d’être un « cossard », un « tireur au flanc » et pourtant chez moi où je travaille librement, je veille souvent très tard, je ne perds pas une minute de mon temps, j’ai un emploi méthodique et serré de mes soirées et de mes jours de « repos ». En résumé, la somme d’efforts produite quand je travaille librement est bien triple de celle du travail imposé.
Maintenant, si pour sortir les « paresseux » de leur « inactivité » il faut contraindre les êtres de bonne volonté à subir les entraves et les froissements des nouveaux « règlements du travail », le remède sera peut-être pire que le mal.
Mais y a‑t-il des paresseux ? Quelques-uns, peu nombreux, des malades sans doute, mais au total leur nombre n’est pas très élevé. Ce que nous appelons des paresseux ne le sont pas au sens propre du mot, ce sont des déclassés qui fournissent bien souvent une somme de travail plus forte que celle que leur demandera plus tard une société libertaire.
Pour moi, ce n’est pas la question des paresseux qui doit nous préoccuper : mais bien la question des déclassés, de tous ces hors la loi, de toute cette variété de « combinards », de bricoleurs sans profession bien avouée ni bien définie, que notre pourriture sociale engendre. Leur nombre est plus grand qu’on ne le pense et ce n’est pas à force de sanctions que ces êtres se transformeront. À bien regarder, ce sont des révoltés à leur manière et il est probable que lorsqu’ils trouveront autour d’eux des conditions de travail acceptables, l’ambiance aidant, tous ces cerveaux se réveilleront et sauront reprendre conscience d’eux-mêmes.
[/Roger./]