Pour le vote obligatoire
E. Buré consacra dans l’Éclair un long article sur cette question :
« Le nombre des abstentionnistes a tellement augmenté que les députés ont fini par s’en émouvoir et qu’on parle maintenant d’instituer en France le vote obligatoire. Diverses propositions de loi ont été déposées à cet effet et M. Joseph Barthélémy vient d’être chargé, par la commission du suffrage universel, de les rapporter devant le Parlement.
Les anarchistes, autrefois, prêchaient « la grève des électeurs ». Ils répandaient un véhément pamphlet d’Octave Mirbeau qui donnait au citoyen français le conseil amical de fuir les urnes, boîtes de Pandore truquées de nos démocrates, au fond desquelles on ne trouve même plus l’espérance. »
Après avoir cité la brochure de Malatesta : « En Période Électorale », l’affiche du Père Peinard, l’âne de Zo d’Axa, Buré continue :
« Les anarchistes ont eu leur âge héroïque. Ils sont plus pratiques, maintenant. Ayant compris qu’on pouvait, en votant, aider à l’œuvre de destruction qu’ils ont entreprise, il n’en est guère, parmi eux, qui se refusent à répondre à l’appel de la dernière heure du candidat communiste, socialiste, voire radical du « Bloc de gauche » : « Tous aux urnes et pas d’abstention ! » En poussant au pouvoir des Kerenskys, ils affaiblissent l’État et, par là, leur besogne révolutionnaire se trouvera singulièrement facilitée quand sonnera l’heure de la « lutte finale ».
Ayant ainsi prouvé une ignorance absolue de l’anarchie et des anarchistes, notre journaleux conclut :
« Le régime s’effondrerait, et la France avec lui, si l’électeur persistait dans l’indifférence et dans la résignation qui, lors des élections cantonales dernières, l’ont éloigné des urnes. C’est à lui qu’il appartient de nous sauver de l’anarchie et de l’invasion. »
Voilà qui ne peut que nous engager à continuer et à intensifier notre propagande antiparlementaire contre tous les charlatans de la politique.
Les sanctions
À titre documentaire, voici, d’après le Petit Parisien, les sanctions prévues contre les abstentionnistes.
« Voici les sanctions instituées par la commission contre les abstentionnistes : pour la première abstention, affichage à la porte des mairies des nom, profession et domicile de l’électeur s’étant abstenu ; cet affichage durera trois mois. Pendant le même délai, un procès-verbal de constatation dressé dans les mairies sera à la disposition de tous les requérants désirant le consulter.
La deuxième abstention aura pour sanction le même affichage et en plus une amende de 5 francs. La troisième abstention sera sanctionnée, en outre de l’affichage et de l’amende de 5 francs, par une contribution supplémentaire de 5% du montant de la taxe de l’impôt sur le revenu pour les assujettis à cet impôt. Enfin, la quatrième abstention sera sanctionnée par une radiation pendant cinq années de la liste électorale. Au bout de ce délai, l’électeur radié pour abstention persistante devra demander sa réintégration sur la liste électorale. »
Ce qu’il va en falloir de nouveaux fonctionnaires, pour cette distribution de punition !…
Sur l’autorité
L’Idée Libre a adressé à plusieurs citoyens notoires ce questionnaire :
Peut-on vivre sans autorité ?
Si oui, comment ?
Si non, pourquoi ?
J’extrais ces passages de la réponse de Han Ryner :
« Qu’on ne me parle pas des désordres que l’autorité empêche ; je répondrais par ceux qu’elle cause. Qu’on ne me parle pas des maux contre quoi elle nous protège ; je répondrais par ceux qu’elle nous inflige.
[|………………………………………………………………………………|]
On affirme : L’homme n’est pas capable de se conduire lui-même. Alors, comment le croit-on capable de conduire les autres ? Vigny, Tolstoï, tous les sages savent que les gouvernants sont nécessairement inférieurs à la moyenne des gouvernés. Ils parlent de conscience, non d’intelligence. Car pour être plus bête que les grenouilles qui réclament un roi, la grue n’y parvient point, ni peut-être le soliveau.
Cette autorité qui seule rend possibles les guerres ; qui en temps de paix, nous maintient immobiles sous nos gros et nos petits mangeurs, si on la déclare nécessaire, je réponds, étant pressé, par le mot de Lamartine : « Ce qui est atroce n’est jamais nécessaire. »
Voilà qui ne fera pas plaisir aux surhommes de la sur-élite prolétarienne.
Spectacle pour « civilisés »
Pour le plus grand divertissement de la pègre de basse et de haute lignée (on s’est battu aux portes pour avoir le droit de payer une place jusqu’à 300 francs) deux hommes se portent consciencieusement des coups formidables. Un public d’hystériques trépigne à la vue des yeux tuméfiés, du sang qui coule des lèvres fendues.
Je prends dans la Liberté ces détails sur le match de boxe Criqui-Wyns.
« J’ai peine à croire qu’un homme encore à terre et accroché d’une main aux cordes soit encore plein de force… Si j’ai eu une stupéfaction c’est quand je me suis retourné, en entendant les hurlements de la foule.
À la vérité, Wyns éait knock-out debout déjà près de trois secondes avant de s’écrouler sur le sol ; mais le règlement ne permet pas à l’arbitre de commencer à compter avant l’écroulement. Le knock-out debout se produit sur des coups sourds, procédant par inhibition des centres nerveux, et l’homme a les yeux chavirés, puis vacille avant de tomber comme une masse. »
N’est-ce pas que c’est magnifique !…
Chez les fous
Les agités du Palais-Bourbon nous ont offert, avant les vacances, qu’ils auront bien gagnées, un spectacle de choix : Les principaux « artistes » depuis les premiers rôles jusqu’aux simples utilités — inutilités plutôt — ont eu à cœur de se faire remarquer en faisant beaucoup de bruit, laissant ainsi supposer à leurs poireaux d’électeurs qu’ils faisaient beaucoup de besogne.
« Il est apparu, à la séance d’hier, écrit Cachin dans l’Humanité, que l’exaspération de Poincaré était arrivée à son comble. Répondant à une attaque directe de Vaillant-Couturier, il a perdu toute mesure et s’est laissé aller aux pires injures, puis il a demandé qu’on bousculât l’ordre du jour réglé par la Chambre et que, toutes affaires cessantes, on discutât immédiatement sur les origines de la guerre. Satisfaction va lui être accordée.
Et il semble en effet que Poincaré a eu satisfaction. Car de l’avis des connaisseurs, le jeune député communiste pris au dépourvu n’a pas été à la hauteur. Cachin et Blum, vieux routiers, ont été un peu plus sûrs d’eux-mêmes, mais le passé qu’ils traînent ne leur permet guère que d’anodins éclats de voix.
Toute cette comédie s’est terminée par une manifestation de confiance de toutes les forces bourgeoises — avancées — en faveur de Poincaré-la-Guerre.
À propos de Maxime Gorki
Manuel Devaldés dans le Réveil de l’Esclave écrit à propos de Gorki
« Ces terribles bolcheviks qui, nous assurent le Matin et le Libertaire, ne respectent aucunement la liberté de pensée de leurs adversaires, ont pu être attaqués et critiqués par Gorki durant des mois et des mois, sans qu’il advint à celui-ci aucun mal. Et ce sont eux qui ont eu le dernier mot, librement, puisque en somme, il est venu à eux, en collaborateur. »
Je laisserai de côté ce rapprochement : Le Matin et le Libertaire, ce n’est qu’une petite saloperie sans importance : Je citerai seulement le début de l’appel que Gorki vient d’adresser à A. France, la protestation qu’il a envoyées à Rykoff, commissaire dit du peuple :
Vénéré citoyen France,
« Le procès contre les socialistes révolutionnaires a pris le caractère d’une préparation publique du meurtre des hommes qui, sincèrement, avaient servi la cause de la libération du peuple russe.
Alexis Ywanowitch !
Si le procès des socialistes révolutionnaires se termine par un meurtre, ce serait un meurtre prémédité, un infâme meurtre.
Je vous prie de faire connaître mon opinion à Trotsky et aux autres. J’espère qu’elle ne provoquera chez vous aucune surprise, car vous savez que, pendant toute la révolution, ce fut des milliers de fois que j’indiquai au gouvernement soviétique à quel point il était insensé et criminel de faire exterminer des forces intellectuelles dans notre pays analphabète et privé de culture.
Ces protestations de l’auteur de « La Mère » ne sont pas du goût de l’Humanité, journal officiel en France du gouvernement russe et qui écrit :
« Malgré que Gorki soit un grand écrivain, et peut-être même est-ce là un des éléments de son génie, il est à la merci de sa sensibilité et des influences extérieures. Absent de Russie depuis plusieurs mois, n’ayant jamais eu une ligne politique assurée, le voici revenu au temps où, en 1917, il insultait le bolcheviks. Il peut changer encore. »
Espérons-le pour l’Humanité et pour Devaldès et admirons comme il convient ceux qui sont tellement dépourvus de sensibilité qu’ils ne crient à l’injustice, à l’arbitraire que lorsqu’ils sont personnellement frappés.
Vers la débâcle
Sir Robert Horne a poussé un cri d’alarme à la Chambre des Communes sur la situation financière du monde :
« La situation financière du monde est fort grave. C’est-là un fait sur lequel personne ne saurait fermer les yeux. L’état de l’Autriche ne cesse d’empirer. Les changements considérables qui se sont opérés en Allemagne nous causent également de grandes inquiétudes. Ce sont-là des difficultés sur lesquelles il nous faut délibérer avec nos alliés, dans le plus bref délai. »
Délibérez, discourez, faites conférences sur conférences, la faillite est inévitable, vous ne l’empêcherez pas.
Fêtes nationales
« À onze heures, l’armée rouge prêtera le serment de fidélité… Je descends. Il y a des soldats partout, et des marins… que n’assistiez-vous à ce spectacle ! La voie Ouritsky est vite couverte de troupes… Combien de soldats — Quarante mille, me répond Zinoviev… Les soldats se mettent au port d’arme pour entendre le chant révolutionnaire… À cet instant, tonne, en l’honneur de la fête du prolétariat, le canon de la forteresse Petropaulovsk… C’est une immense forêt de troupes rouges… Le tableau est inoubliable… L’armée rouge défile… Pendant des heures ils passent, les soldats rouges, les équipages de la flotte, les hussards, les mitrailleurs… Voici les élèves des écoles d’aviation, du génie, l’artillerie… »
C’est Souvarine qui dans l’Humanité nous brosse ce « tableau inoubliable ». Mais en voici un autre :
« Minuscules sur la pelouse immense, les unités, garde républicaine en tête, défilèrent, de 8h.45 à 10h.15. Tour à tour, les Écoles, les pompiers, les fusiliers-marins, la coloniale, les chasseurs, l’infanterie, marchant vers le moulin, furent salués de vivats, ainsi que le lâcher de pigeons des pigeonniers militaires. Le dirigeable côtier et quatre escadrilles d’avions accompagnaient, dans l’air, leur passage. Les troupes noires, les tirailleurs annamites, puis l’Artillerie de campagne, défilant au galop de charge, furent parmi les plus applaudis.
Enfin, quand les camions automobiles, le matériel aérostatique, les autos-canons et les chars d’assaut eurent dépassé le camp des sapeurs, établi contre la route de la Cascade la dislocation s’opéra. »
Ceci, c’est le rédacteur de l’Œuvre qui rend compte de la revue du 14 juillet à Longchamp, en France où la Révolution n’est pas faite. L’autre se passe en Russie où, si nous en crayons Louis Sellier, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
Après la Revue…
Tout s’était passé ma foi le mieux du monde ; les autorités et les troupes s’en retournaient sous les regards admiratifs des badauds, quand tout a coup, au passage de la voiture du nouveau chef de la Tchéka bourgeoise partent deux coups de revolver. C’est le camarade Juvénis qui a voulu, paraîtrait-il, manifester ainsi sa colère et sa révolte. Mal lui en prit, car un brave citoyen nommé Cottereau se trouvait justement derrière lui ; mais écoutez plutôt ce qu’il a raconté au rédacteur du Petit Parisien :
« Tout à coup, je le vis tirer un revolver de sa poche. Avant qu’il eût pu faire feu, je lui tirai le coude et fis ricocher la balle sur la chaussée. Puis je le « ceinturai » de mes deux bras, à la hauteur de la poitrine. C’est à ce moment que, quoique à demi paralysé, mon captif put tirer le second coup de revolver qui effleura le bras d’une dame. Tandis que des agents cyclistes accouraient en hâte, nous avions roulé à terre, mon adversaire et moi. Son revolver lui ayant échappé, je m’en saisis et le tendis à l’un des nouveaux arrivants. »
Naturellement, toute la presse s’est emparé de cette affaire et se livre aux commentaires les plus inattendus.
L’Humanité, elle, juge bon de féliciter ironiquement le nouveau préfet de police d’avoir su se procurer un attentat le deuxième jour de son entrée en fonctions et elle conclut :
« Et cela va permettre à la police de monter de toutes pièces un complot anarchiste et de faire un procès de tendances à quelques philosophes honnêtes et inoffensifs. »
Parlant de Juvénis, le Journal du Peuple écrit :
« Est-il communiste, anarchiste, ou plus simplement mécontent ? En tout cas, il fait évidemment partie du grand troupeau des bonnes gens qui trouvent que nos gouvernants actuels ne sont pas les plus parfaits du monde et que le Bloc national est un bloc haïssable.
Il n’a aucunement voulu tuer, affirme-t-il, mais manifester son mécontentement. Simples petits coups de feu… d’artifice. C’est la morale du pseudo-attentat. »
« Il apparut tout de suite que Bouvet, grand diable au masque illuminé, ne jouissait pas de la plénitude de ses facultés mentales. »
C’est un fou, dit l’Éclair :
Mais on a trouvé, paraît-il, dans la chambre de Juvénis, une collection du journal 1’« Action Française » et l’Œuvre en conclut que c’est la lecture de ce journal qui a déterminé le geste :
« — Mais comment la lecture de l’A.F. a‑t-elle pu mettre au cœur de Bouvet une haine si féroce contre le président du Conseil ?
— Je ne vois qu’une explication : cet homme haïssait la guerre, M. Daudet l’aime (enfin… entendons-nous !) ; il prépare la prochaine et il laisse entendre chaque jour à tout un chacun que cette politique belliqueuse, qui est la sienne, est également celle de M. Poincaré. Bien à tort, sans doute, le malheureux l’a cru…
— Entendez-vous l’excuser de la sorte ?
— Ah ! non. Car je comprends mal, vraiment, les pacifistes qui ne trouvent d’autre moyen, pour empêcher que la poudre explose, que de commencer par la faire parler. »
Avec l’Action Française, c’est un autre son de cloche. Après avoir signalé que Bouvet est « un garçon efflanqué, d’expression douce, qui semble miné par la tuberculose et qui n’a pas du tout « l’air d’un assassin, l’A. F. ajoute :
« Bouvet est bouclé. Mais ses inspirateurs ? ses maîtres ? Un Vaillant-Couturier, un Cachin, un Frossard continueront demain, tranquillement, leur excitation quotidienne à l’assassinat. »
L’Action Française. J. Denais, dans la Libre Parole, également :
« Nous ne ferons à aucun parti, à aucun homme politique, l’injure de le tenir pour complice volontaire et conscient de cette tentative d’assassinat.
Mais comment ne pas établir un rapport de causalité morale entre les excitations quotidiennement renouvelées des orateurs et des écrivains communistes ou anarchistes et les gestes criminels qui en sont, dans le domaine des réalités, la traduction brutale ? »
Il n’y a qu’un seul remède, pauvre niais, c’est de guillotiner tous les mécontents, mais quelle besogne !…
Je terminerai avec Arthur Meyer, qui écrit dans le Gaulois :
« Quand je flétris la Commune de 1871, dont je suis un des rares témoins survivants, je me sens impitoyable pour les chefs, mais plein de pitié pour leurs soldats. De même, aujourd’hui, je n’ai point de haine contre cet énergumène qui, ayant manqué son coup, n’hésite pas à déclarer qu’il voulait tirer en l’air, pour faire une manifestation. Mensonge évident. Ce fou voulait frapper le Président de la République ou le président du Conseil. Félicitons-nous, félicitons-les de sa maladresse. »
C’est cela, félicitons-nous, et restons pour aujourd’hui, sur cette bonne impression.
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