La Presse Anarchiste

Revue des Revues

J’avais annon­cé l’autre jour en mémen­to deux revues : Le Monde Nou­veau et Choses de Théâtre, en pro­met­tant d’y reve­nir plus lon­gue­ment. Le Monde Nou­veau n’a pas conti­nué ses envois : j’en par­le­rai quand je le rece­vrai régulièrement.

Pas contre, je viens de rece­voir le numé­ro de juillet des Choses de Théâtre (104, fau­bourg Saint-Hono­ré, Paris) qui ter­mine la pre­mière année de cette fort inté­res­sante revue. Cahiers men­suels de notes, d’études et de recherches théâ­trales, dit le sous-titre. Il faut avouer que cette publi­ca­tion, conçue d’une manière ori­gi­nale, res­semble peu aux autres pério­diques théâ­traux. Et la lec­ture en est inté­res­sante, même pour les pro­fanes que nous sommes. Il y règne en outre une cer­taine indé­pen­dance qui n’est pas pour nous déplaire, même quand elle n’est pas aus­si com­plète et bru­tale que nous la vou­drions parfois.

Dans ce cahier, Jacques Reboul dit quelques véri­tés utiles au sujet du jour­na­lisme : « Le jour­nal qui aurait pu être un puis­sant ins­tru­ment de civi­li­sa­tion est mort déjà de cette acces­sion des étran­gers dans le Temple. Par étran­gers, il faut entendre ceux qui n’ont pas droit : les hommes d’argent, les nigauds qui recherchent le pres­tige encore vivant du l’esprit… La chose écrite, la « véri­té » du lec­teur et des mora­listes, s’est muée pour les maîtres du jour­nal actuel en objet de négoce. La pen­sée suit ses nou­veaux tarifs. Cette mons­trueuse men­ta­li­té de proxé­nètes de l’esprit nous est deve­nue si fami­lière qu’il est, à pré­sent, par­fai­te­ment ridi­cule de vou­loir la com­battre ou même en par­ler. Mais le bas niveau où est tom­bé le jour­nal dans le cré­dit publie, sur­tout dans l’opinion des humbles, pay­sans et petits tra­vailleurs, suf­fit à juger l’erreur de ceux qui l’y ont conduit. »

Il y a aus­si un très curieux article de Pierre Seize sur Le Ciné­ma consi­dé­ré comme un âge de l’humanité. J’en extrais ces quelques pas­sages : « … En moins de vingt ans, voi­ci que de pro­fondes modi­fi­ca­tions inter­viennent dans le domaine de la Connais­sance. La mer révé­lée jusqu’en ses pro­fon­deurs ; le ciel racon­té ; les séden­taires bour­geois de Caen ou de Brioude admis aux fastes exo­tiques du Japon et du Haut Liban, l’âme des peuples fusion­nant dans les salles obs­cures, les réflexes d’un employé de Chi­ca­go deve­nus fami­liers à un ouvrier de Gre­nelle, et la psy­cho­lo­gie d’un pay­san niver­nais péné­trée et com­prise par un pétris­seur de manioc guya­nais,… mille autres miracles encore…

Dès lors, tu vou­dras bien m’excuser si je ris au nez des pro­phètes, qui viennent me pré­sen­ter le ciné­ma comme un art. Si grand qu’il soit, l’art n’est que le moyen de don­ner une forme à son émo­tion. Or, le domaine de l’émotion est immense mais bor­né. Le domaine de la connais­sance est indé­fi­nie. Depuis qu’elle existe, l’humanité a sacri­fié le meilleur d’elle même à ces jeux de man­da­rins Mais jamais autre chose que l’élite n’en fut tou­chée. Cette fois la masse fré­mit, atteinte par un mer­veilleux aver­tis­se­ment. Quelque chose d’analogue à la fré­né­sie qui enflam­ma l’Europe aux pre­miers temps chré­tiens s’est empa­ré du monde. Un immense espoir… Une grande soif…

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Les Vaga­bonds indi­vi­dua­listes-liber­taires repa­raissent (61, rue Che­vreul, Iyon). Ils seront une espèce de réper­toire de la Vie des idées com­mu­nistes et indi­vi­dua­listes liber­taires, en France et à l’étranger. Ten­ta­tive inté­res­sante : nous sommes réel­le­ment peu docu­men­tés sur ce qui se fait en dehors des fron­tières où le hasard nous parqua.

Dans ce pre­mier cahier, Ber­ge­ron cite une curieuse lettre de Jean Grave, où celui-ci — s’avère cyni­que­ment l’un des cham­pions non repen­tis de la guerre du Droit. Il dit notam­ment : « Non seule­ment, je n’ai aucune, abso­lu­ment aucune inten­tion de faire quelque mea culpa que ce soit, mais je me retrou­ve­rais dans des cir­cons­tances pareilles à celles où j’écrivis la Décla­ra­tion, je recom­men­ce­rais sans aucun remords. Je ne recon­nais à per­sonne le droit de me don­ner l’investiture anar­chiste. Je suis anar­chiste et ma convic­tion me suf­fit. Je me moque de l’opinion des imbé­ciles… et autres. »

Fai­sons comme lui et pas­sons outre, sans nous occu­per davan­tage de cet imbé­cile, dou­blé d’un lâche, qui sacri­fia sans mar­chan­der… la peau des autres.

Concluons sim­ple­ment avec Ber­ge­ron : « J. Grave se dit tou­jours anar­chiste et nous assure être prêt à signer de nou­veaux articles en faveur de la pro­chaine der­nière Guerre. C’était bon à savoir et cela nous suffit. »

À nous aussi.

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Nous avons vu ci-des­sus com­ment Pierre Seize parle lyri­que­ment, et avec foi, du Ciné­ma. Voi­ci que dans le Néo-Natu­rien (Châ­tillon-sur-Thouet, Deux-Sèvres) Hen­ry Le Fèvre déclare caté­go­ri­que­ment : « Le Ciné­ma, œuvre non-natu­relle, non-artis­tique, voire anti-natu­relle et anti-artis­tique, devra dis­pa­raître tota­le­ment de la cir­cu­la­tion ». Diable, voi­là qui est grave. Qu’en pen­sez-vous, M. Pierre Seize ?

Dans le même cahier, G. de Lacaze-Duthiers constate fort jus­te­ment : « Les socia­listes et les com­mu­nistes, qui disent aux bour­geois leurs véri­tés, sans aucune indul­gence, n’admettent pas qu’on leur dise éga­le­ment leurs véri­tés, car, pré­tendent-ils, c’est faire le jeu de l’adversaire. Si nous leur deman­dons de mettre leurs actes en har­mo­nie avec leurs théo­ries, ils nous regardent d’un mau­vais œil. »

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La Revue de l’Époque (13 rue Bona­parte, Paris‑6e) publie dans son numé­ro de juin des bois gra­vés ori­gi­naux d’Albert Saint-Paul. Mar­cel­lo-Fabri y publie un curieux Bilan poé­tique, qui témoigne d’une rare connais­sance de la poé­sie contem­po­raine. Extra­yons-en ces quelques lignes suggestives :

« La poé­sie ne se meurt pas. Elle est bien vivante et n’est pas près d’agoniser. Seule­ment, depuis quelques, années, elle semble en train d’extérioriser son double : à la poé­sie-de-concep­tion s’ajoute la poé­sie-de-trou­vaille — et il faut bien croire que la nou­velle venue signi­fie quelque chose, puisque des esprits culti­vés et des artistes y trouvent des satisfactions.

C’est là une des consé­quences iné­luc­tables de l’évolution pro­duite par les œuvres de deux grands poètes inéga­le­ment géniaux : Rim­baud et Mal­lar­mé. Les illu­mi­na­tions men­tales de l’un et la sup­pres­sion du terme de com­pa­rai­son qu’inaugura l’autre, après avoir sem­blé ouvrir un champ qua­si infi­ni, condui­sirent gra­duel­le­ment la poé­sie dans une sorte d’impasse… qui se ter­mine actuel­le­ment en seringue de Pravaz.

… Oui, à mesure que tombent sous la cognée des ans ou sous la car­touche des dyna­mi­teurs les arbres à poèmes dont le bruis­se­ment nous ber­ça jadis tan­dis que s’y dis­si­mu­laient les nids des rêves — voi­ci qu’à chaque fois une végé­ta­tion de fou­gères, curieuses mais désor­don­nées, s’empresse de mul­ti­plier, sans lais­ser dans la nou­velle clai­rière la moindre place au déve­lop­pe­ment d’un nou­vel arbre.

D. — Qui peut se dire poète en 1922 ?
DI.
R. — Tout jeune homme ayant, ou n’ayant pas de lettres : Il n’est plus néces­saire au poète-de-trou­vaille de connaître sa langue. L’exemple des étran­gers qui sans pos­sé­der le fran­çais (leur conver­sa­tion le prouve) réus­sissent dans ce genre aus­si bien que qui­conque, prend, quant à notre affir­ma­tion, la valeur d’une démons­tra­tion. — La syn­taxe a dis­pa­ru. — La crainte du ridi­cule est un épou­van­tait au pied de l’arbre. — Enfin, la culture géné­rale n’est aucu­ne­ment néces­saire et gêne­rait le plus grand nombre des néophytes.

D. — Qui s’intéresse aux poètes en 1922 ?
DI.
R. — Les poètes eux-mêmes, par petits clans. Les biblio­philes qui ne lisent jamais, et les snobs qui feuillettent encore. Enfin, la jeune lit­té­ra­ture de l’étranger, qui fait preuve d’un engoue­ment tou­jours renais­sant et qui méri­te­rait par sa constance de n’être pas tou­jours déçue.

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Le Verbe (2, rue Angot, Bourg-la-Reine) paraît irré­gu­liè­re­ment. Dans le n°26 qui nous est par­ve­nu ces temps-ci, M. André Romane, son direc­teur, nous conte une visite qu’il fit jadis à Hen­ry Bataille. Écou­tez ça, c’est savou­reux et com­bien natu­rel dans les milieux littéraires :

Je me lais­sais aller ce soir-là à lui men­tir, avec quel effort et quelle peine, pour dimi­nuer dans la faible mesure de mes forces, sa dou­lou­reuse amertume.

— Qu’importent les vieillards, maître, disais-je d’une voix mal assu­rée, qu’importent les vieillards, si les jeunes sont avec vous !

Et s’il avait pu lire en moi, il aurait vu toute l’étendue de mon hypo­cri­sie pitoyable, car je sou­hai­tais qu’au contraire les jeunes hommes de ma géné­ra­tion, se détour­nant de ce qu’avait d’artificiel et d’impur l’art pour­tant magis­tral de Bataille, fussent en marche vers un idéal lit­té­raire, simple, probe, humain et sur­tout, ô sur­tout ! viril ! »

N’est-ce pas que c’est gen­til ? Et qu’après cela vous pou­vez avoir toute confiance en les com­pli­ments que font les chers confrères.

Où ça devient amu­sant, c’est quand M. André Romane cite comme exemple de lit­té­ra­ture virile les œuvres d’Isabelle San­dy. Diable, voi­là une viri­li­té qui nous paraît bien… fémi­nine ! On demande à voir, M. Romane !

Dans le même numé­ro, M. Hen­ri Dutheil qui a fini d’évoquer le géné­ral Man­gin — son pré­fé­ré ! — s’essaie à démo­lir Alain Char­tier, l’auteur des Pro­pos d’Alain. Nous ne sommes pas des amis de celui-ci : nous pou­vons d’autant mieux consta­ter que l’éreintement est fait sans aucune grâce.

Et puis il y a des vers, des vers. Et pour finir une larme sur Georges Casel­la, direc­teur de Comœ­dia qui vient de rendre son âme à Dieu, ou plu­tôt au Grand-Père de la fli­caille. « Quel authen­tique poète, quel par­fait écri­vain, quel actif jour­na­liste, etc., etc. » Nous ajou­te­rons : Quel sale mou­chard, non moins authen­tique, actif et parfait !

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Le cahier de juin des Pri­maires (Saint-Priest-Ligoure, Haute-Vienne) contient notam­ment un beau conte de Mar­cel Millet : L’Argent, où il déve­loppe le thème de la vieille fable : Le save­tier et le finan­cier. Il y a aus­si des vers de G. Le Révé­rend : Châ­teaux en Espagne, dont je retien­drai ce début :

« Quel que soit notre sort, tous, nous rêvons d’un autre
Non pas que nous pèse le nôtre,
Mais nous aimons déraisonner
Et que l’eau nous vienne à la bouche.
Mépri­sant ce que lu main touche
Notre meilleur plai­sir est fait d’imaginer. »

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Fer­nand Leprette et Mau­rice Rocher font paraître à Alexan­drie (rue de Tunis, Camp de César) Les cahiers de l’oasis. Les cahiers 3, 4 et 5 viennent de paraître, réunis en un seul fascicule.

Fer­nand Leprette y étu­die trois volumes de Rabin­dra­nath Tagore, non encore tra­duits en fran­çais. Il essaie, à cette occa­sion, de nous faire mieux connaître le grand poète hindou

« Nous répé­tons, dit-il : l’Asie ber­ceau des civi­li­sa­tions. Ceci dit, nous demeu­rons per­sua­dés que l’Europe est l’ombilic du monde et que notre intel­li­gence, notre force, notre gran­deur nous donnent le droit de gou­ver­ner partout.

L’homme se lève et nous juge avec fer­me­té avec sévé­ri­té, C’est un frère du pay­san du Danube, ce vieux civi­li­sé des bords du Gange. Au vrai, il est faible et nu. Il n’existe pas en face de l’Occidental bar­dé de fer, flan­qué de ses machines. Du haut de notre puis­sance, nous pour­rions sou­rire. Mais il ne s’en laisse pas impo­ser. Sans craindre les raille­ries, il ose se faire l’interprète de mil­lions d’hommes et le cham­pion d’une civi­li­sa­tion qu’il affirme être tou­jours vivante, tou­jours digne de sus­ci­ter un idéal non de puis­sance mais d’humanité. Il nous attaque — et il n’est plus le seul, nous le savons, l’Asie se réveille (Mahat­ma Gand­hi) — il nous attaque dans ce qui fait notre fier­té, dans notre civilisation. »

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Une idée inté­res­sante : la librai­rie Rie­der et Cie (7, place Saint-Sul­pice, Paris‑6e) fait paraître une revue l’Archer, qu’elle adres­se­ra gra­tui­te­ment à tout lec­teur de la Revue Anar­chiste qui en fera la demande. Cette mai­son a déjà édi­té de fort beaux livres : elle fait en ce moment un réel effort, ori­gi­nal et digne d’être soutenu.

[/​Maurice Wul­lens./​]

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