Peu à peu la saison recommence. On voit déjà que les théâtres se préparent à rouvrir leurs portes et bien des auteurs s’impatientent pour des premières qui auront lieu d’ici peu.
Georges Kaiser nous a donné une nouvelle pièce « Noli me tangere », drame d’un train fou et d’une conception hardie que les théâtres de Berlin n’ont pas encore osé jouer. Ce drame sera joué à Leipzig, vieille ville, sacrée par Schiller.
Ernst Ludwig, l’auteur d’un drame fort intéressant : Die Entlassung (Le renvoi), où il montre la manière, bien guillaumesque du reste, avec laquelle Guillaume II mit Bismark à la porte, quand il commençait de craindre « le Vieux », a eu un procès devant le tribunal de Berlin, car Guillaume II avait porté plainte contre lui. Ludwig a perdu le procès, c’est-à-dire, que le livre ne doit pas paraître en Allemagne, ce qui ne l’empêchera point de paraître autre part. Le livre sera édité à Vienne (Autriche) et le drame sera joué dans les pays étrangers. Un jour où l’autre, Ludwig aura certainement raison de ses juges, car sa pièce est vraiment bien et ne ménage guère les personnages de l’ancien régime.
Le gouvernement bavarois ne peut pas se décider à mettre le pauvre poète Ernst Toller, auteur de « Wandlung », « Masse Mensch » et « Maschinenstürmer » en liberté. Ce dernier drame « Les donneurs de l’assaut aux machines » traitant une histoire anglaise du temps des Ludittes, obtenait un assez grand succès au « Grand Théâtre » de Berlin, succès qui est dû en partie aux amitiés politiques de Toller, qui est en prison pour avoir pris part active au mouvement qui voulait instaurer le régime des soviets en Bavière. Surtout la mise en scène était digne du drame, qui nous a encore une fois révélé les grandes qualités humaines du jeune poète.
En ce moment, l’Allemagne entière fête un de ses plus grands auteurs dramatiques, Gerhard Hauptmann, qui vient d’avoir 60 ans. Comme il est Silésien, on donne des représentations de gala de toutes ses pièces dans les théâtres de Breslau, où se rend en foule presque toute l’Allemagne littéraire, et même officielle, pour fêter le poète. Le gouvernement allemand entier, avec le Président de la République en tête, est allé à Breslau pour rendre hommage à Gerhard Hauptmann.
C’est un fait inouï dans l’histoire de l’Allemagne, car jamais un poète n’y fut fêté de la sorte. Il est incontestable que Hauptmann a de très grands mérites pour le drame allemand, surtout dans ses premières œuvres. À présent son essor semble être brisé. Ses dernières publications n’étaient plus rien en comparaison de ses œuvres précédentes.
Cette année-ci est l’année des sexagénaires en littérature.
Ludwig Fulda, poète estimé, le traducteur de Rostand, Johannes Schlaf, poète assez important, et surtout Arno Holz, le grand, lyrique, le célèbre dramaturge, l’auteur de « Ignorabimus » et de « Phantasus », un candidat au prix Nobel, sont ceux qui fêtent, comme Hauptmann, leur soixantième anniversaire.
Parmi les jeunes et les très jeunes, les batailles littéraires se succèdent. L’expressionisme est toujours à la tête des mouvements. L’école de Kaiser semble solidement fondée… Tous travaillent avec un sérieux imposant. Un des plus doués est certainement Ivan Goll, dont « Methusalem », une comédie d’une supériorité d’esprit extraordinaire, traitant le sujet du bourgeois éternel, obtiendra sans doute un très grand succès.
Herbert Eulenberg, un auteur dramatique de l’époque passée, commence à se rajeunir. Il a publié un drame : « Plus fort que la mort », qui est certainement influencé par l’expressionisme quant au dialogue et au développement des scènes. La question principale de la pièce est : Doit-on soutenir une vie qui n’est plus viable ? Ce drame est d’une humanité émouvante et pleine de sagesse poétique.
Parmi les livres, il faut citer l’édition complète de Verlaine, en deux volumes, qui vient de paraître sous la direction de Stefan Zweig, à 1’Insel-Ve. Zweig a écrit une introduction : La vie de Paul Verlaine, qui est d’une maîtrise achevée. Zweig est sans doute le meilleur essayiste allemand. Les traductions des poèmes de Verlaine sont, somme toute, bien réussies, et presque toute la génération des lyriques allemands s’est mise à la besogne.
Signalons encore un beau livre, beau comme volume et beau comme talent, de Georg Britting, le vaillant directeur de la « Sichel », revue expressionniste à Munich. Ce livre s’appelle « Le Hiob rié ». Il n’y a que sept petits contes, mais d’une telle intensité, humaine et si bien exprimes, dans une langue comprimée, que voilà sans contredit une synthèse qui fait plaisir au critique.
Un autre prosateur d’un talent extraordinaire est Ernst Weiss, un jeune Tchécoslovaque, écrivant en langue allemande. Ses deux volumes : « Tiere in Ketten » (Des animaux enchaînés) et « Nahar », sont d’une beauté de langue et d’une majesté d’invention poétique vraiment très rares. Dans « Nahar », l’auteur vous découvre l’âme d’une tigresse qui a perdu son petit, avec une telle intensité artistique, qu’il faut remonter aux meilleures œuvres de Kipling, pour trouver l’équivalent. Ecce poeta !
Le Schweizerhaus-Verlag, vient de publier un petit volume de Sven Larsen « Kiskanmak », où l’auteur révèle beaucoup de talent par la vitalité de ses personnages et la peinture magistrale de leur milieu.
Il y aurait encore bien des choses à citer. Walter Klette publie maintenant l’œuvre d’Alfred Machard, ces ravissantes histoires d’enfants faubouriens, dont « Titine », vient de paraître. Moi-même j’ai traduit dernièrement « Jésus-la-Caille », de Francis Carco, qui est en train de paraître chez Gustave Kiepenheuer, l’éditeur le plus moderne de l’Allemagne.
Dans ma prochaine lettre, je vous parlerai de Michael Charol, un jeune auteur russe, écrivant en allemand, qui réunit la mélancolie de sa race et la lucidité de sa mère germanique.
[/Fred-Antoine