« Ce qui rend les femmes, dit Schopenhauer, particulièrement aptes à soigner, à élever notre première enfance, c’est qu’elles demeurent toute leur vie de grands enfants, une sorte d’intermédiaire entre l’enfant et l’homme. » Et bien entendu, pour cet ennemi des femmes, c’est là un état d’infériorité. Un autre philosophe, cependant, aime en elles cette fraîcheur d’âme, qui demeure même lorsque le visage se flétrit : qualité rare, que bien peu d’hommes possèdent, et que tout être humain devrait s’efforcer de conserver toujours.
À ce point de vue, la femme présente, avec l’enfant, des affinités précieuses et qui lui permettent de le comprendre. Toutes les femmes, à de très rares exceptions près, s’intéressent aux enfants et elles aiment à s’occuper d’eux. Qui de nous n’a pas observé, dans un métro ou un tramway, le sourire de bienveillance avec lequel les femmes accueillent un petit enfant porté dans les bras de sa mère ? Elles le regardent, s’informent de son âge, de ses progrès, de ses actions : il est le lien qui les réunit toutes, vieilles femmes ou jeunes filles, riches ou pauvres.
La femme éprouve fortement le besoin de protéger un être plus faible : petite fille, elle se penche sur sa poupée ; plus tard, sa tendresse maternelle s’étend au mari, puis à l’enfant. Ce désir de refermer ses bras sur quelqu’un s’unit chez elle au besoin de se répandre, de propager ce qu’elle apprend. On a souvent raillé le bavardage et la futilité de la femme : mais on n’a point observé que ce babillage est nécessaire à l’éducation enfantine. « La fonction qui fait de l’homme un homme, est l’œuvre particulière de la femme : un enfant élevé par une femme très femme et très bavarde est plus tôt formé à la parole et par conséquent à la conscience psychologique ; aux soins d’un homme taciturne, le même enfant se développerait très lentement et si lentement peut-être qu’il n’atteindrait jamais la limite de son intelligence pratique » (H. de Gourmont). Voilà une opinion qui réhabilite tout à fait le bavardage féminin. Et cet amour des petits détails, cette soi-disant myopie intellectuelle, devient, elle aussi, précieuse infiniment, lorsqu’on songe que l’éducation est non seulement, selon le vers du poète, une œuvre qui veut beaucoup d’amour, mais qu’elle réclame avant tout de la patience, une observation constante, et de la minutie.
Sensibilité aiguisée, affinités nombreuses, patience et application minutieuses, besoin de répandre son savoir et ses idées, tout contribue à faire de la femme l’éducatrice naturelle de l’enfant. Mais souvent ces qualités sont mal employées, mises au service d’une éducation dogmatique et autoritaire, qui impose des idées toutes faites, dont la libre discussion est interdite et jugée immorale. Trop de mères désirent des enfants semblables à elles-mêmes, nourris des mêmes opinions et des mêmes préjugés. Il leur semble pouvoir revivre leur propre jeunesse dans celle de leurs fils ou de leurs filles : et elles sont douloureusement surprises de trouver ceux-ci indifférents, parfois opposés à ce qu’elles ont été. Leurs souvenirs personnels, la poésie un peu romantique du passé, vers lequel elles tournent très volontiers leurs regards, les inclinent, si elles n’y prennent garde, à vouloir ressusciter leur propre vie dans celles de leurs enfants. L’éducation ne doit, à aucun prix, faire des enfants la reproduction plus ou moins exacte des parents et des maîtres, pas plus qu’elle ne devrait produire des exemplaires d’un type social donné, comme le bon citoyen ou le bon soldat.
Une femme, une éducatrice de génie, a apporté au cours des dernières années, des suggestions fort intéressantes sur l’éducation, dont devraient s’inspirer toutes les mères. Je veux parler de Mme Montessori, la doctoresse italienne bien connue, qui a essayé, auprès des petits enfants, une méthode rationnelle basée entièrement sur la liberté enfantine et la curiosité intellectuelle. Ce qui anime cette femme, et ce qui nous manque bien souvent, à tous et à toutes, c’est la foi dans l’enfant. Les mères parlent toujours avec enthousiasme de leurs enfants, qui leur semblent évidemment, très supérieurs aux autres. Pourtant, elles n’ont pas foi en eux. Il leur paraît impossible qu’ils fassent un pas, un geste, sans leur intervention. Laisser l’enfant libre, diraient-elles, mais il ne peut faire que des sottises ! C’est là un des préjugés essentiels sur lesquels s’appuie l’éducation autoritaire. Peut-être même n’est-il si enraciné que parce qu’il flatte la vanité féminine et son instinct de protection. Reconnaître qu’à l’école montessorienne, le petit enfant, libre de ses actions sous une surveillance très légère, reste néanmoins raisonnable et actif, c’est blesser la vanité des mères, qui se sentent alors moins nécessaires à leurs petits. Ne plus choisir à la place de l’enfant, mais le laisser choisir lui-même, en accord avec ses instincts et ses aptitudes propres, le travail qui lui convient, telle doit être la règle première de toute éducation. « Fais ce que veux », la vieille maxime, malgré les siècles, reste encore la meilleure, celle qui forme les esprits libres et les cours généreux.
À cette libre recherche individuelle, la méthode montessorienne se garde de mettre une entrave en opposant la personnalité de l’éducatrice à celle de l’enfant. La maîtresse, loin d’être autoritaire, se borne à observer, à comprendre surtout, à diriger l’effort enfantin avec tact, à intervenir discrètement pour corriger les erreurs ou les étourderies. « C’est à l’école de l’enfant que nous apprendrons à devenir vraiment ses maîtres. » Enfin, l’éducatrice sait avant tout, éveiller, entretenir et augmenter chez l’enfant cette qualité intellectuelle propre à l’enfant, la curiosité. Il y a, dans l’œuvre de Mercereau, une belle page sur la curiosité chez l’enfant. « Observe l’enfant. Tout juste sa bouche vient-elle d’apprendre les premières syllabes et déjà il veut savoir les « pourquoi ». Hélas ! les « comment » seuls, — et non pas tous — lui seront répondus. Rien ne le laisse indifférent. Tout l’intrigue, tout le requiert ardemment. Il questionne, et voilà qu’on s’aperçoit soudain que si, jadis, à son âge, peut-être, on fut capable de poser la même question, on l’a bien oubliée depuis, et qu’il fallut atteindre le quatrième décennat de son existence pour s’inquiéter à nouveau de la solution… Et l’enfant croît et devient homme, et voilà qu’il ne pense plus qu’il fut angoissé jadis, et que le sphinx ne lui a jamais rien révélé.
« Il était petit, il voulait résoudre, il avait la curiosité créatrice des dieux. Il est grand, il n’a rien résolu, mais il ne veut plus connaître la solution, il a l’indifférence mentale des bêtes. Il passe, et il ne lui semble pas qu’il y ait à cela quelque mystère. Celui qui ne veut pas savoir, celui qui n’interroge pas ne vit pas et végète. »
Libre recherche et expérience individuelle, tels sont les principes dont la femme doit s’inspirer, puisqu’elle est l’éducatrice première de son enfant. Ainsi, elle prend dans le monde la place qui lui est due. Tout de noblesse et grandeur, son rôle l’élève, si elle sait le remplir, au-dessus même des artistes. Plus difficile encore mais plus noble que celui du sculpteur, du peintre ou du poète, son œuvre est la plus belle de toutes, parce qu’elle modèle l’âme humaine et qu’elle façonne l’avenir.
[/Une révoltée./]