La classe capitaliste italienne, après environ deux années d’égarement et d’hésitation — dont le prolétariat ne sut pas profiter — a commencé vers la fin de 1920 son mouvement de défense et de contre-offensive qui prit immédiatement son caractère spécifique, sans plus s’embarrasser des vieilles fictions libérales, démocratiques, patriotiques et légalitaires.
La guerre de 1915 – 1918 avait eu pour conséquence directe de réaliser une plus grande unanimité prolétarienne contre la classe dirigeante, et cela a approfondi d’une façon extraordinaire le fossé entre les classes : l’une voit dans l’autre un ennemi déclaré ; et spécialement la classe qui est au pouvoir, voyant ce pouvoir menacé, perd la lumière de la raison.
Parallèlement au phénomène de l’unanimité prolétarienne s’est produit l’autre opposé de la fusion ou bloc de toute la classe dirigeante qui a trouvé une espèce de milice et un centre de ralliement dans le Fascisme. Dans la classe dirigeante sont comprises, et en forment les catégories les plus rétrogrades, toutes les castes qui vivent en parasites autour de l’arbre de l’État ou qui en forment les ramifications : les fournisseurs du gouvernement et les industries protégées, la police devenue énorme de nos jours, la haute bureaucratie et la magistrature, toutes plus ou moins tendancieusement fascistes. S’y ajoute la bourgeoisie terrienne, rétrograde par nature et par tradition, mise l’épaule au mur par les prétentions croissantes des paysans auxquels à la longue elle ne pourrait répondre qu’en renonçant à tout profit, c’est-à-dire au privilège même de la propriété. Vient ensuite la petite bourgeoisie, beaucoup d’employés et de professeurs, certaines catégories de gens de professions. Pour grossir ces rangs il y a enfin tous les chômeurs de la politique et les marchands du journalisme rendus inoccupés par la disparition des partis moyens de la Démocratie, du radicalisme, etc… en colère contre la classe ouvrière qui ne veut plus rien savoir d’eux.
Rien que la réaction profite surtout aux vieux partis conservateurs cependant le fascisme, ce benjamin, est le porte-drapeau de toutes les différentes classes et sous-classes bourgeoises, bien accueilli et courtisé partout : à la sacristie et dans la maçonnerie, à la caserne et à l’Université, à la questure et au tribunal, dans les bureaux de la grande industrie et dans les banques agraires. Il ne lui manque même pas les hommages plus ou moins cauteleux et dissimulés des pontifes de quelques partis qui, cependant, en principe, lui sont opposés comme le parti républicain et le parti populaire — en contraste évident avec les délibérations de leurs congrès, les opinions de la majorité de leurs camarades et le langage de leurs journaux.
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J’ai parlé du fascisme. Eh bien ! qu’est-ce que le fascisme ? C’est simplement l’organisation et la mise en actes de la défense armée et violente de la classe dirigeante, capitaliste et étatique, contre le prolétariat devenu pour elle trop compact, exigeant et envahissant.
Comme le compagnon Luigi Fabbri a essayé de le démontrer en un travail de récente publication [[ La Contre-Révolution préventive, de Luigi Fbbri. Édit. L. Capelli, Bologne.]], en réalité le fascisme est le prolongement de la guerre, en cela que celle-ci fut la tentative du capitalisme international d’en finir avec l’internationalisme prolétarien. En fait, la guerre était nécessaire au régime capitaliste pour arrêter les progrès que le prolétariat faisait à son détriment.
La guerre a fait ce qu’elle a pu ; et ses résultats sont indéniables ; la réaction triomphe partout, et le prolétariat a été brisé en France comme en Allemagne, en Angleterre comme en Amérique : chez les vaincus, chez les vainqueurs et chez les neutres. Le fascisme en complète l’œuvre dans les pays, comme l’Italie, où pour des raisons spéciales et contingentes le prolétariat était resté fort et la situation demeurée révolutionnaire.
Le fascisme, poursuivant la guerre civile avec les méthodes de la guerre proprement dite, a rompu tous les ponts de la légalité, du respect des libertés civiques, du droit de tous à penser, s’organiser et vivre à sa manière. Organisé militairement, fourni d’argent, d’armes, de matières incendiaires et de moyens de transport, il supplée au défaut du nombre, qui le rendrait dans chaque localité une minorité insuffisante, par la concentration rapide de plusieurs endroits en un seul, pour y accomplir son œuvre de destruction. C’est cela qui dans le langage actuel s’appelle une « expédition punitive » avec des mots empruntés au jargon du militarisme allemand.
Méthodiquement, partout où cela lui est possible, le fascisme prend pour cibles les Bourses du Travail, les Coopératives et les Administrations des communes socialistes. Les organisations de classe sont assaillies quelle qu’en soit la tendance : socialiste ou catholique, anarchiste ou républicaine, communiste ou syndicaliste. Des centaines de bourses du travail et de coopératives ont été incendiées par les fascistes, causant des dégâts pour plusieurs millions en bâtisses, meubles, machines, instruments de travail et marchandises. À coups de bâtons et de revolvers et par d’autres moyens d’intimidations, dans certains pays, on contraint les municipalités socialistes à donner leur démission.
Les organisations ouvrières, spécialement à la campagne ou dans les petits centres sont dissoutes par la force. Les ouvriers qui osent résister sont roués de coups. Les milieux prolétariens sont envahis et détruits, les éléments les plus intelligents sont contraints de fuir le pays. Plusieurs d’entre eux ont vu leur domicile privé violé et incendié, nombre d’entre eux furent tués.
Dans certains endroits, on ne peut sortir le soir après une certaine heure. Les fascistes le défendent. Il n’est pas rare de voir détruits les établissements publics, cafés ou hôtels, que fréquentent les ouvriers ou les subversifs.
Les journaux et les bulletins fascistes se vantent ouvertement de leurs actes et quelquefois les annoncent ou en font d’abord la menace. Souvent sont publiés de véritables arrêtés d’ostracisme et d’exil.
« Un tel doit dans les n… jours, donner sa démission de maire du pays ou bien « il doit cesser toute activité politique ou syndicale », ou bien « il doit abandonner la cité », ou bien « il lui est défendu de retourner au pays » — et ainsi de suite.
L’organe fasciste quotidien de Milan se vante comme d’une victoire de ce que, durant le Congrès fasciste de Rome, en novembre 1921, et à l’occasion des tumultes qui suivirent, le nombre des prolétaires morts était supérieur au nombre des morts fascistes.
La « cure du bâton », du « Santo Manganello », comme l’appellent avec complaisance les journalistes réactionnaires est appliquée par les fascistes sur une vaste échelle, partout ou cela est possible contre les ouvriers et les subversifs. Quelquefois on cherche spécialement certaines personnes pour les bastonner, quelquefois on frappe le premier ouvrier ou subversif qui se trouve sur le chemin. Les bastonnades sont données presque toujours par des bandes de fascistes à des individus isolés. Il est arrivé plus d’une fois aux bastonneurs de laisser sur le terrain un cadavre au crâne littéralement fracassé.
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Le fascisme, né de l’exploitation de la peur bourgeoise du spectre bolcheviste a, en réalité, pour point de mire le prolétariat en bloc, dans son ensemble, et il l’atteint par les faits les plus impressionnants de destruction et de violence, justement dans ce qui peut permettre à la classe ouvrière d’attaquer les profits capitalistes, de léser les intérêts des boutiquiers, ou dans ce qui représente une éruption ou une invasion du droit prolétarien.
Ceci est si vrai, que lorsque le fascisme commença son offensive, en automne 1920, les premières institutions attaquées avec rage ne furent pas les cercles socialistes, ni les sections du parti socialiste, mais les bourses du travail et les coopératives, qui ont en général un but socialiste mais appartiennent aussi à des ouvriers de divers partis et à des indifférents. Ce qui fut assailli dès les premiers instants, ce ne fut pas le bolchevisme mais la classe ouvrière tout entière en toutes ses institutions même les plus neutres, politiques ou modérées.
Partout dans les villes et dans les campagnes, le fascisme a toujours visé, dès le début, les partis et les institutions qui, suivant les différentes localités, recueillaient la majorité des sympathies ou des adhésions ouvrières. Dans les régions de Reggio et de Modène les organisations réformistes furent assaillies ; dans les régions de Bologne et de Ferrare ce furent les organisations maximalistes ou unitaires ; dans les régions de Carrare et dans le Val d’Arno, les organisations de tendance anarchistes ; à Plaisance, à Parme et en Ligurie, les organisations syndicalistes ; à Trévise et dans la Toscane, les organisations républicaines ; à Bergame et dans les autres parties de la Venetie, les organisations catholiques. Quelquefois on s’en prend, pour les détruire, à de simples sociétés de secours mutuels ou de coopératives administrées par des hommes aux idées les plus orthodoxes.
Ces destructions prennent un caractère spécial quand elles sont dirigées contre les instruments de diffusion des idées, de la propagande de la pensée : imprimeries privées ou coopératives, bibliothèques, librairies, kiosques, rédactions et imprimeries de journaux. Il y a des villes et des provinces où la vente de certains journaux est interdite, parce que ces publications sont adversaires du fascisme et l’interdiction y est inexorablement appliquée.
Tout ceci naturellement donne lieu à des conflits sanglants qui recommencent presque chaque jour. Les morts que l’on compte jusqu’à ce jour y sont innombrables et sous la terre nue le linceul funèbre enveloppe des ouvriers de tous les partis et de toutes les fois : catholiques et anarchistes, républicains et socialistes, communistes, réformistes et indifférents. La seule qualité qui les ait désignés au revolver homicide est celle d’ouvrier, de travailleur… La preuve la plus évidente n’est-elle pas en ce que la guérilla fasciste n’est pas dirigée contre tel ou tel parti déterminé mais contre la classe ouvrière en tant que classe ? On veut démanteler à tout prix là citadelle, le centre de résistance du prolétariat contre le capitalisme, on veut abattre partout ceux qui défendent avec le plus de succès les ouvriers et qui en reçoivent la confiance, quelque soit le parti dans lequel ils militent.
Les fascistes et ceux qui se font leurs défenseurs soutiennent que la violence fasciste est une riposte à la violence ouvrière ou subversive, une sorte de rétorsion, une conséquence. Cela n’est pas vrai. Comment s’expliquerait alors l’extraordinaire violence des fascistes sur certains plages d’Italie, qui ont toujours été tranquilles, dans, lesquelles les luttes politiques et sociales se sont toujours menées très pacifiquement ou sans violence appréciables ? Il suffit de citer pour exemple les provinces de Reggio-Emilio, de l’Ombrie, du Cùrentino, etc.
Le contraire est la vérité, c’est-à-dire que certaines violences prolétariennes dont antérieurement on n’avait pas eu d’exemple, eurent leur origine dans la lutte avec le fascisme.
En fait il advient aujourd’hui (et cela était inévitable), par esprit de défense, par la peur même de l’offensive, par représailles, après des provocations répétées ou par soif de vengeance qu’attaqués et atteints, des ouvriers essaient, à leur façon, d’imiter les fascistes et de leur rendre œil pour œil, dent pour dent. Cela se fait encore avec des moyens inadéquats, toujours au grave risque des protagonistes, placés entre les coups de revolver des fascistes, ceux des carabiniers et l’assurance de devoir affronter des condamnations à des années de prison ; mais cela a tout de même pour résultat que souvent des fascistes tombent frappés, victimes de la mêlée qu’ils ont voulue eux-mêmes.
Que le nombre des fascistes tombés, quoique beaucoup inférieur à celui des victimes prolétariennes, aille en augmentant c’est facilement compréhensible, étant donné lu haine que les fascistes ne cessent de semer par leurs quotidiennes bastonnades, par les destructions des sièges d’organisations, par leurs incendies, par les dévastations des coopératives, par la violation de toute les libertés de réunions, de paroles et de presse, par leurs façons de rendre impossible clans certaines zones l’évolution de la vie de parti ou d’association, d’interdire aux ouvriers toute distraction en les, empêchant, dans la soirée, de se réunir dans les cafés et dans les auberges, de violer jusqu’aux domiciles privés… Cette haine, qui augmente chaque jour, ne trouve pas les moyens de s’épancher ouvertement, à la lumière du soleil. Certaines formes de représailles sont interdites aux ouvriers, parce qu’ils ne peuvent espérer cette relative impunité, cette liberté de mouvement, de défensive et d’offensive qui est garantie aux fascistes par la complicité ou par la tolérance de la force publique et de la magistrature.
Cette complicité des organismes de l’État, s’ajoutant à celle du capitalisme, avec le fascisme dans ce qu’il accomplit de plus illégal, mériterait tout un développement spécial. Je me contenterai de la signaler au passage.
On sait, du reste, que le fascisme surgit ou tout au moins acquit sa première force, quand Bonomi, en 1919, était ministre de la guerre dans le ministère Giolitti. Il y a des circulaires ministérielles de l’époque qui montrent comment le gouvernement favorisa la formation et aida l’armement d’une milice civile et politique contre les partis prolétariens. Au cours des violences fascistes anti-ouvrières cette complicité de la police et de l’armée s’est révélée toujours plus évidente. Plusieurs fois les fascistes ont été fournis par les questures et par les casernes de camions et d’armes pour les « expéditions punitives » ; et à ces expéditions plusieurs fois ont participé des officiers en service actif, des commissaires de police, des carabiniers et des gardes. Il est notoire qu’il y a des commissaires, des carabiniers et des gardes inscrits aux « fasci », et que la force publique a souvent accepté l’aide des fascistes pour des opérations de police.
La connivence de la magistrature est autrement évidente. Tandis qu’il n’y a pas de fait de violence, vrai ou faux, grave ou léger, imputé aux socialistes ou aux subversifs en général, pour lesquels il n’y ait eu de nombreuses arrestations et dont les accusés sont encore en prison, qu’ils soient coupables ou innocents ; pour les fascistes c’est l’éternelle comédie : les arrêtés sont toujours absous à l’instruction, spécialement pour les faits les plus graves incendies ou homicides. Dans ces dentiers temps les fascistes furent arrêtés plus souvent ; mais pour eux l’instruction est partout prompte et bienveillante, sauf quelques très rares exceptions, pour les délits fascistes impliquant de graves responsabilités pénales on, ne trouve jamais le coupable ; les arrestations et les procès ne sont faits que pour les accusations sans gravité. Et quand, par hasard, quelque condamnation est prononcée contre quelque fasciste, aussi légère soit-elle, c’est toute une affaire d’État : la presse bourgeoise, avec unanimité, proteste et les condamnés passent dans l’histoire… journalistique pour des héros et des martyrs. Pendant ce temps, s’abattent sur les subversifs, pour Je plus petit accroc à la loi, les condamnations les plus sévères.
Dans ces derniers temps la connivence de la police et de la force publique avec le fascisme, au moins dans les grandes villes, n’est plus aussi effrontée que dans les premiers temps ; parfois certaines violences fascistes trouvent même de la part des gardes et des carabiniers une certaine résistance qui donne lieu ça et là à quelques conflits sporadiques. Mais, quant à la magistrature, elle apparaît toujours comme la plus fidèle alliée du fascisme.
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Au Congrès fasciste de Rome de novembre 1921 le fascisme s’est constitué en Parti National et s’est donné à lui-même un programme.
Lisons-le et nous y trouverons, sans ambages, dans sa franche brutalité, tout un programme de réaction sur le terrain politique, économique, spirituel et cultural qui est en substance le programme du capitalisme et de l’État dans l’actuel moment politique, programme mis en avant par l’intermédiaire du fascisme irresponsable, mais qui répond en réalité à la plus intime et la plus forte aspiration de la classe dominante, de tous les privilégiés du pouvoir et de la richesse.
Le programme fasciste est le programme d’un parti né pour défendre par tous les moyens, sans en exclure la violence, et par-dessus toute considération morale, les deux institutions fondamentales de la société bourgeoise, les deux plus grandes sources de privilège et d’injustice : l’État et la Propriété. Son but est de s’opposer avec toutes les forces disponibles au progrès et à la réalisation des deux idées qui, depuis plus d’un siècle, sont l’aspiration la plus ardente des peuples civils : la liberté et l’égalité.
Depuis la Révolution française toutes les luttes qui ont été menées par les peuples, nationalement et internationalement ont eu pour ressort cette aspiration qui, démontrée d’une réalisation impossible en régime bourgeois et étatique, pourra seulement se résoudre dans le socialisme. Même les luttes nationales de la première moitié du
Une grande partie de la littérature révolutionnaire nationale jusqu’aux environs de 1860 était, en Italie et ailleurs, de tendance socialiste. Il suffit de rappeler Garibaldi, qui mit son épée au service de la liberté partout où se trouvaient des opprimés en révolte contre les oppresseurs, sans distinction de nationalité et qui appela « l’Internationale, le soleil de l’avenir ». Mazzini, lui-même, dont les écrits de la période 1848 sont fortement imprégnés de socialisme, déclarait que les premiers devoirs de l’homme sont envers l’Humanité, tandis que pour la patrie il supposait qu’un jour elle serait destinée à disparaître, « quand chaque homme reflétera dans sa propre conscience la loi morale humaine. »
Qu’est-ce que le fascisme, qui pourtant se dit patriote, a donc à faire avec tout cela ? Les fascistes à la seule vue de ces « drapeaux de l’avenir » dont parlait Carducci, perdent tout calme et toute faculté de raisonnement, et un peu de rouge les met en furie comme des taureaux. Le parti fasciste se met délibérément contre les plus éclatantes traditions de liberté et de justice qui constituent le meilleur de l’histoire du pays italien, qui s’appellent selon les temps Mazzini, Garibaldi et Pisacane, — Alfieri, Parini et Foscolo, — Beccaria, Pagano et Romagnosi, et qui rappellent l’Italie de Giordano Bruno et d’Arnaud de Brescia, l’Italie de la Renaissance et des libres Communes.
Contre cette Italie de lumière et de pensée, le fascisme ressuscite la louche tradition de la Rome des Césars, pourrie de boue et de sang à l’intérieur et menaçante à l’extérieur ; de la Rome des Papes voués à l’intrigue, à la vénalité et au népotisme ; de l’Italie machiavélique d’Ezzelino et de César Borgia ; de l’Italie de la sixième journée, impérialiste et mégalomane, de Crispi et d’Humbert Ier. De l’antique Rome ce n’est pas la libre république que l’on ressuscite mais le despotique et sanguinaire Bas-Empire ; de l’Italie du « Risorgimento », le fascisme ne rappelle pas les révolutions glorieuses de Milan, de Venise et de Rome en 1848, mais la Sainte-Alliance contre les peuples de Metternich et de Guillaume de Prusse.
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Le programme fasciste n’a même pas le complet mérite de la franchise. Il a besoin de sous-entendus, pour cacher ses fins de conservation et d’arrivisme, pour ouvrir la voie à tous les arbitraires et à toutes les tyrannies du pouvoir d’État.
Le fascisme prétend vouloir restaurer le prestige de l’État souverain auquel doit être subordonnée toute liberté des individus et il s’élève en paladin de la tradition, du sentiment et de la volonté nationale : mais à la condition, bien entendu, que cette tradition, ce sentiment et cette volonté soient conformes au modèle fasciste. Mais si par hasard les 40 millions d’italiens vivants ne voulaient rien savoir du fascisme et avaient l’audace d’exprimer une autre volonté, alors le programme fasciste en appelle aux morts et déclare :
« La nation n’est pas la simple somme des individus vivants mais un organisme comprenant la série infinie des générations, dont les particuliers sont des éléments transitoires ; elle est la synthèse suprême de toutes les valeurs matérielles et immatérielles de la race. »
Des mots, comme l’on voit, sonores mais sans aucun contenu concret et qui font seulement comprendre que si la volonté nationale, celle de la nation réelle, vivante et vraie, n’est pas d’accord avec lui le fascisme en violentera sans scrupule la liberté, au nom de la « synthèse suprême » et de toutes les générations passées, depuis Romulus et Rémus…
Sans aucune modestie, le fascisme déclare dans son programme qu’il « aspire à l’honneur suprême de gouverner le pays » et avec cela il enterre définitivement toute tendance républicaine. Son adhésion à la monarchie est implicite. Il laisse seulement persister une vague menace, une espèce de tentative de chantage, quand il dit que « les institutions politiques ne sont des formes efficaces qu’en tant que des valeurs nationales (c’est-à-dire le fascisme) y trouvent leur expression et leur tutelle ». Avec cela le capitalisme le plus rétrograde et le plus conservateur vient dire à la monarchie : « Si tu fais mon jeu, si tu me laisses le maitre de la richesse et du gouvernement, si tu défends mon portefeuille, si tu ne me casses pas les œufs dans le panier, très bien et « vive le Roi ». Mais si, par hasard, tu veux branler dans le manche, croyant te sauver de la bourrasque à mes dépens, si tu as des fantaisies de libéralisme ou de réformisme, si tu flirtes avec mes rivaux du socialisme coopératif et démocratique, alors non ! Alors, nous verrons si, t’envoyant au diable, il ne nous convient pas mieux d’instaurer une régence surveillée par les moines ou une république de requins ou une dictature militaire. » Mais le caractère essentiellement conservateur et antiprolétarien du fascisme se manifeste spécialement dans la partie du programme qui concerne la politique sociale et économique.
Il ne faut pas, bien entendu, se laisser dérouter par le langage démagogique, singeant la phraséologie du social-démocratisme, avec lequel certaines choses sont dites. Ce que le programme fasciste propose sur les corporations ouvrières, sur les compétences techniques, sur la reconnaissance des organisations, sur la législation sociale, sur les services publics, etc… tout ce dont déjà parlait dès 1917 – 18 le nationaliste Corradini dans ses conférences et dans ses articles de l’Idée Nationale — est en réalité une façon de mieux ajuster le bât et le frein sur le dos du prolétariat, un moyen d’asservir ce minimum d’organisation ouvrière qu’il serait prudent de ne pas détruire, dans l’intérêt même des fins économiques et politiques du Capitalisme et de l’État. Les soi-disant « Groupes de compétence » désirés par le fascisme, composés d’ouvriers fascistes, affiliés aux « Fasci » de gré ou de force et groupés par métier, ne seraient en réalité que des noyaux d’ouvriers kroumirs dressés pour la défense des patrons contre les ouvriers « rouges » : des « briseurs de grèves », comme on dit en France.
Le but conservateur, capitaliste du Fascisme sur le terrain économique est clairement exprimé dans le passage où il affirme : « la fonction sociale de la propriété privée est en même temps un droit et un devoir ; elle est la forme d’administration que la société a historiquement délégué aux individus pour l’accroissement de son patrimoine. »
Pour la Propriété, comme pour l’État, faute de raisons positives, on justifie le privilège par une affirmation dans les nuages, abstraite, métaphysique. Pour l’État-gendarme on invoque la « synthèse suprême des valeurs nationales » ; pour la Propriété-monopole on invente sans se gêner une espèce de « mandat de confiance » délivré aux riches par une hypothétique société. Il nous viendrait presque l’envie de demander dans quelles archives se trouve l’acte notarié de cette délégation.
Ah ! ils peuvent parler de délégation ! ou de « mandat » administratif ! L’histoire narre aux prix de quelles larmes ruisselantes et de quel sang s’est formée la propriété privée dans tous les pays, l’Italie non exceptée. Elle est neuf fois sur dix le fruit du vol, du brigandage ; le fruit des usurpations illégales et arbitrairement légalisées, du vol aux dépens du domaine et des communes, de prévarications, etc., etc. Et l’on garde en Italie, la mémoire du pays de Cocagne qu’elle fut pour les « patriotes » brouillons de 1860 à 1875. Combien de fortunes privées se sont formées à travers tous les scandales du capitalisme, qui ont « honoré » l’Italie, de l’époque de la « Regia », à celle de la « Banque Romaine » jusqu’aux jours présents de l’« Ilva », de l’« Ansaldo » et de la « Banca di Sconto ».
Qu’on songe aux richesses formées par les moyens des jeux de banque et de bourse, vols de grand style, au détriment de la production et du travail ; qu’on pense aux nouveaux riches de la guerre, dépouillant leur propre pays pour se vêtir eux-mêmes et qui ont envoyé à l’étranger leurs propres capitaux. Tout cela, c’est la « propriété privée ».
Et c’est justement à ces voleurs sans scrupules et sans confiance que, selon le programme fasciste, l’Histoire et la Société auraient confié l’administration du patrimoine de tous ?
S’il ne s’agissait pas de simples figures de rhétorique, nous dirions justement que l’Histoire et la Société ne pouvaient tomber en pires mains, et avec la plus grande certitude de finir dans un hospice de mendicité.
On a dit que le parti fasciste avait copié son programme sur celui du nationalisme. Cela est presque vrai. Tous savent du reste qu’au Parlement, les députés fascistes, nationalistes et agraires forment presque un seul groupe ; et dans le pays, les équipes nationalistes coopèrent dans les expéditions répressives antiprolétariennes de plein accord avec les équipes fascistes.
La partie du programme qui parle d’« une unité nationale non encore atteinte, du développement de l’armée et de la marine en concurrence avec celles des autres nations », n’est-elle pas nationaliste et impérialiste ?
D’accord avec les nationalistes, le fascisme répudie la démocratie, non pour la surpasser vers plus de liberté, mais pour retourner vers les régimes absolutistes et militaristes.
Ainsi le fascisme, implicitement, abandonne les classes moyennes qui eurent cependant, et ont encore la bêtise de voir en lui une aide pour elles-mêmes. Ainsi la politique centraliste, étatiste, militariste et antidémocratique se range aux côtés de la grande propriété industrielle terrienne et banquière, qui constitue la vraie propriété privée : la propriété qui dévore et absorbe les propriétés des petits, justement à la faveur des crises comme celles d’aujourd’hui ou lentement ou au moyen de désastres éclatants, au cours desquels les petits poissons sont mangés par les gros. Bien qu’il y ait dans le programme fasciste, comme en tant d’autres programmes, un vernis qui veut dorer la pilule, tremper « de suave liqueur les bords du vase », ceci ne peut illusionner ni tromper personne.
Le fascisme se donne bien l’air de défendre la liberté individuelle, mais seulement contre la discipline des organisations ouvrières. Il se déclare platoniquement favorable à la journée de huit heures. Mais avec les dérogations pour les nécessités agricoles ou industrielles. Il défend la législation sociale, pourvu qu’elle n’entrave pas l’industrie, c’est-à-dire ne cause aucun tort aux seigneurs industriels. Il fait espérer aux capitalistes une protection de l’industrie italienne contre la concurrence étrangère (au complet détriment, bien entendu, des consommateurs), mais ne veut aucune protection ou condition de faveur pour les coopératives ouvrières. Il réclame, d’accord avec les prêtres, la liberté d’enseignement pour les écoles et les institutions supérieures, c’est-à-dire pour les écoles des riches, mais il veut imposer une sorte de discipline militaire à l’école élémentaire qui est l’école de la majorité des pauvres. Il en arrive même à la « nation armée », non pas dans le sens libre, comme la voulait Pisacane, mais dans celui qui veut que tout le pays soit en quelque sorte militarisé. Comme on le voit, les concessions, les dérogations aux principes ne sont que pour le bénéfice des privilégiés de la fortune. Dès qu’entre en jeu l’intérêt des déshérités le programme fasciste redevient rigide, rébarbatif, étroit.
Le fascisme n’a même pas un programme moderne en ce qui regarde le droit pénal et la criminalité. Il indique bien une amélioration hygiénique des prisons et leur perfectionnement, mais comme le ferait une vieille perruque desséchée entre codes et pandectes.
Après plus d’un siècle d’études sur la criminalité, après tant de « sciences positives », le fascisme croit encore à « la fonction intimidatrice » de la peine !
Mais ceci, à vrai dire, ne peut paraître étrange dans la patrie de Césare Beccaria et venant d’un parti qui a rétabli pour son compte, la peine de mort après jugement sommaire, ou sans jugement aucun ; venant d’un parti qui, avec la matraque et le revolver s’érige en paladin de cette propriété privée, qu’il y a plus d’un siècle et demi, Beccaria lui-même appelait « le droit terrible et peut-être inutile ». Il existe un rapport étroit entre cette chose et l’autre, puisque le système pénal « l’organisation de la vengeance appelée justice » — comme disait Kropotkine — n’a jamais été autre chose, ne peut-être autre chose qu’une organisation de défense du privilège d’État et de classe.
Ne nous arrêtons donc pas à discuter de la fonction des « équipes de combat »» si tristement fameuses auxquelles le programme fasciste assigne « le seul but d’endiguer les violences des adversaires et d’être en état d’accourir à la défense des intérêts suprêmes de la nation. » Il semble ici, qu’on veuille se moquer du monde ! Les fascistes qui veulent « endiguer la violence de l’adversaire » c’est la répétition littérale de la parole biblique de celui qui avait une poutre dans l’œil et qui voulait enlever une paille de l’œil de son voisin !
Rien qu’en identifiant les intérêts de la nation avec ceux des vautours de la Bourse et de la banque et avec les intérêts des requins de l’industrie et de la propriété agraire, peut-on dire que le fascisme par les « expéditions punitives » de ses équipes défende les « suprêmes intérêts » du pays ! Mais les prolétaires, quand ils voient arriver dans les quartiers populaires, dans les faubourgs et dans les villages, ces équipes de la violence et de la destruction précédées du drapeau tricolore, savent bien ce qu’ils doivent en penser.
Car ils savent que le programme fasciste, dépouille de tous ses oripeaux et de toutes ses franges, est un programme de lutte sans merci contre eux tous : non seulement lutte contre le bolchevisme ou la révolution, ou le socialisme comme parti, mais lutte contre le prolétariat en masse qui, par n’importe quelle route, légale ou illégale peu importe, se montre impatient du joug, et tend à l’égalité et à la liberté, à la libération de l’esclavage du salariat, à la fin de l’exploitation de son travail.
Les tendances fascistes, disais-je, sont en substance les tendances de tous les privilégiés sur le terrain économique et politique. C’est la classe au pouvoir qui croit mieux se défendre en faisant, à toute vapeur, faire machine en arrière au char du progrès social, dont elle se trouve être l’arbitre.
De l’automne de 1920 à aujourd’hui, le recul s’est accentué chaque jour de plus en plus ; il a commencé précisément au moment culminant de l’ascension prolétarienne, quand la classe ouvrière laissa passer, sans le retenir, l’instant fugitif durant lequel elle aurait pu avec une relative économie de sacrifices couronner les succès qu’elle avait connus jusqu’alors par une victoire définitive.
Mais on ne sut pas, on ne voulut pas aller plus avant et il était fatal — en un moment aussi décisif, où le repos était inconcevable — que de l’arrêt de l’avancée prolétarienne le capitalisme tirât parti pour attaquer à son tour. Devant l’histoire du prolétariat et du progrès civil, grave est la responsabilité de ceux qui avaient en cet instant l’honneur et la charge d’être à la direction des plus fortes et plus nombreuses organisations prolétariennes d’Italie, spécialement du parti socialiste et de la Confédération générale du Travail — d’autant plus que « l’instant fugitif » auquel j’ai fait allusion dura assez longtemps (environ deux années) pour laisser une marge de temps suffisante à la décision et à la préparation d’une action résolutive.
L’Italie était en 1919 – 20, après la Russie, le pays le plus révolutionnaire d’Europe ; tandis que la plupart des pays étaient déjà en proie à la pire réaction militariste, seule l’Italie paraissait y faire exception. La poussée en avant du mouvement prolétarien était impressionnante : tous les partis révolutionnaires se grossissaient des adhésions qu’ils gagnaient à la suite d’une guerre qui s’était faite contre l’absolue volonté des masses populaires et avec des sacrifices énormes de leur part. La révolution avait dès lors le consentement du plus grand nombre et une part même des classes dirigeantes semblait s’y résigner.
Malgré cela, il n’y eut que des meetings grandioses certes, où les travailleurs enthousiastes accouraient par millions, mais rien que des meetings. Le prolétariat italien semblait croire au renouvellement du miracle de Jéricho il s’attendait sans doute à ce que le capitalisme et d’État dussent crouler, s’abîmer, au seul chant des hymnes révolutionnaires et au déploiement des drapeaux rouges ou noirs. Pendant ce temps, les occasions d’agir passaient l’une après l’autre, sans que l’intervention volontaire du prolétariat se décidât changer la situation de fait, qui restait toujours comme auparavant : monarchiste, militariste et bourgeoise.
Qui ne se rappelle les mouvements contre la Vie chère en mai et juin 1919, se propageant comme une traînée de poudre par toute l’Italie, en quelques lieux avec la participation des éléments militaires ? On n’avait pas encore institué la Garde Royale, les milices étaient fatiguées d’être gardées sous les armes, et l’État n’avait pas de forces sérieuses à opposer à un soulèvement un peu vaste.
Les anarchistes et d’autres révolutionnaires proposèrent de livrer bataille ; mais on n’en voulut rien faire, pour ne pas nuire à une manifestation internationale en faveur de la Russie. Les socialistes attendaient monts et merveilles de cette manifestation projetée pour les 20 et 21 juillet suivants elle avorta internationalement par suite de la trahison de la C.G.T. française, et en Italie, elle se déroula sans aucun résultat efficace.
Une seconde fois l’occasion se présenta vers la fin de juin 1920, durant le soulèvement militaire d’Ancône contre la guerre d’Albanie qui jeta le désarroi dans le gouvernement. Un geste audacieux aurait suffi à faire proclamer la République, à laquelle était disposée favorablement une partie de la bourgeoisie. Eh bien, les communistes qui dirigeaient le parti socialiste repoussèrent toute idée de mouvement républicain, parce que cela aurait conduit à une république social-démocrate modérée, et ils voulaient la dictature communiste tout ou rien ! Ils ne comprirent pas, ils ne rappelèrent pas que toutes les révolutions, même les plus radicales, commencent ainsi par un simple renversement du gouvernement. Et derrière, s’effondrent toutes les autres institutions politiques et économiques, haïes du peuple. Mais rien ne se fît !
La troisième fois, la dernière, fut durant l’occupation des usines, en août-septembre 1920. Si ce mouvement s’était étendu à toutes les catégories de métiers, sil avait été appuyé par les partis et les organisations du prolétariat, il aurait pu engendrer une des révolutions les plus radicales et les moins sanguinaires que l’histoire aurait eu à enregistrer. À ce moment-là, la classe ouvrière était pleine d’enthousiasme et fortement armée. Le gouvernement lui-même avoua plus tard qu’il n’avait pas alors de forces suffisantes pour réduire toutes ces forteresses qu’étaient devenus les établissements où s’étaient barricadés les ouvriers. Mais l’occupation des usines sombra avec la farce giolittienne prise au sérieux par les Confédérations du Travail, avec la promesse du fameux projet de contrôle sur les usines.
Ce fut une douche froide. Il advint comme au commencement d’une retraite pour une armée qui avait jusqu’à ce jour avancé. Immédiatement un sentiment de dépression courut les rangs ouvriers, et en retour le Gouvernement commença à faire sentir sa propre force. Ici et là commencèrent les perquisitions et les arrestations. Un mois à peine après l’abandon des usines, en octobre, on arrêtait Armando Borghi, Errico Malatesta, de nombreux rédacteurs d’Umanita Nova de Milan, la camarade Virgilia d’Andréa ; la police opéra la dissolution de l’Assemblée du Conseil général de l’Union syndicale Italienne, à Bologne. Arrestations d’anarchistes dans toute l’Italie et perquisitions jusque dans le plus petit centre ; l’arme la plus anodine trouvée chez un militant était séquestrée et servait de motif à un emprisonnement.
La plupart crurent à une mesure réactionnaire au seul détriment des anarchistes, et égoïstement on les laissa seuls se débrouiller avec leurs mésaventures. Mais ce n’était là qu’un simple assaut. À ce premier acte de défection, de rupture de la solidarité interprolétarienne, la réaction comprit qu’elle avait désormais la route libre ; et elle continua d’abord à pas lent, puis d’un mouvement progressivement accéléré, à s’accentuer. Et comme la réaction classique des états de siège, des lois exceptionnelles, des arrestations en masse, des dissolutions d’associations n’était plus possible ; comme la réaction de police pouvait suffire pour les minorités anarchistes et ultra-révolutionnaires, mais était impuissante, insuffisante et pouvait avoir des effets contraires au but, pour les grandes masses du prolétariat — on lança contre celles-ci le molosse du Fascisme.
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On connaît la suite. Le prolétariat italien, depuis 1920 passa de défaite en défaite. Il vit ses organisations ruinées, ses libertés foulées aux pieds, ses édifices incendiés, ses hommes roués de coups et tués ; et il n’eut d’autre consolation que celle des succès électoraux qui n’arrêtèrent en aucune façon une réaction rendue à ce point audacieuse qu’elle se fiche pas mal des lois et des législateurs et se sent capable de tout mettre sous ses pieds, pourvu qu’elle sauve pour la minorité des privilégiés le portefeuille et le bâton du commandement.
La bourgeoisie n’a pas de scrupules. Jadis démocratique et voltairienne, elle invoque aujourd’hui tous les despotismes, celui du sabre et du gibet comme celui du goupillon et du bâillon, prompte à se jeter dans les bras d’une dictature militaire ou d’un gouvernement de prêtres, dût-elle y perdre le parlement, pourvu que le pouvoir d’État réussisse par sa violence à contraindre le prolétariat à rester sous le joug et à abandonner toute velléité de se libérer de l’esclavage du salariat. Au fond de toute la crise qui secoue du haut en bas la société italienne, derrière le « scénario » des changements de ministères, c’est toujours ce songe trouble d’un saut en arrière qui en constitue l’inavoué mais ardent ferment provocateur.
Est-ce là un songe vain, et le prolétariat trouvera-t-il en lui la force de secouer le joug qu’on veut aujourd’hui lui imposer avec une violence inouïe ? Ou bien le trouble dessein de la bourgeoisie réussira-t-il, faisant reculer d’un siècle la civilisation italienne ? C’est le prochain et peut-être imminent avenir qui nous le dira.
[/Rome, 15 mai 1922.
C. L. F./]