La Presse Anarchiste

La Science et l’Anarchisme

(Suite)

Nous avons pas­sé en revue l’âge de la pierre taillée et l’âge de la pierre polie. Nous arri­vons à l’âge du bronze et à l’âge du fer.

Mais avant d’aborder cette nou­velle étude, il faut que vous sachiez qu’aujourd’hui encore il est des peu­plades « sau­vages » (c’est le terme géné­ra­le­ment employé) qui sont encore à l’âge de la pierre taillée et de la pierre polie.

L’évolution qui est la grande loi qui nous régit, n’embrasse pas à la fois toutes les contrées. Elle fait tou­jours ration­nel­le­ment ce qu’elle entre­prend. Elle s’appuie sur des prin­cipes : prin­cipe du moindre effort ; concen­tra­tion de la plus grande masse sous le plus petit volume, etc. Mais elle est d’une len­teur désespérante.

C’est du reste pour­quoi dans toutes les époques il y eut des révol­tés qui vou­laient pré­ci­pi­ter la marche de l’évolution en fai­sant la Révo­lu­tion, et il y en aura toujours.

J’emprunte une page du mer­veilleux livre de M. Gus­tave Le Bon. Cet auteur a visi­té l’Inde et il raconte ce qu’il a vu.

— « Qui a visi­té l’Inde comme nous l’avons fait nous-mêmes, depuis ses repaires de sau­va­ge­rie jusqu’à ses cites splen­dides, peut dire qu’il a tra­ver­sé cent mille ans dans le temps et qu’il a vécu suc­ces­si­ve­ment à tontes les époques pré­his­to­riques et his­to­riques. En effet il aura pu voir par­mi les inex­tri­cables forêts de l’Amarkantak, des peu­plades Kho­la­riennes, noires de peau, hideuses de visage et plus près du singe que de l’homme, vivant dans des cavernes, n’ayant ni habi­ta­tions, ni gou­ver­ne­ment, ni lois, ni famille, et ne pos­sé­dant comme armes que des flèches en pierre taillée ; au nord, dans les mon­tagnes de l’Assam, les Nazas, les Kha­sias dont la forme sociale est le matriar­cat et qui pra­tiquent la poly­an­drie ; au sud, sur la côte de Mala­bar, les Naïrs qui pra­tiquent aus­si le matriar­cat, mais qui sont beaux et intel­li­gents et occupent déjà un degré plus haut de l’échelle ; sur les ravis­santes mon­tagnes des Nil­ghir­ris, les Todas, peuple pas­teur, poly­game et poly­andre, dont l’unité poli­tique et sociale est le vil­lage ; vers le centre les Bhils, qui arrivent à la consti­tu­tion du clan ; puis les États raj­pouds qui repré­sentent l’époque guer­rière et féo­dale ; au-des­sus les États Musul­mans, et enfin le maître Euro­péen civi­li­sé. Il faut de tels voyages pour bien com­prendre la pro­gres­sion mer­veilleuse des races, et sai­sir, sur la nature, au lieu d’avoir à l’étudier dans les livres cette loi for­mi­dable de l’évolution qui régit toutes choses : les dieux, les mondes, les empires et les hommes ».

En Afrique, en Océa­nie, il existe encore des peu­plades qui, comme dans l’Inde en sont encore à l’âge de la pierre taillée.

Des mil­liers de siècles ont été néces­saires sans doute pour pas­ser de l’âge de la pierre taillée, où l’homme se dif­fé­ren­ciait à peine des ani­maux, à l’âge de la pierre polie.

Son­gez que pen­dant cette période, l’homme a appris à faire le feu, à labou­rer le sol, a construit la pre­mière barque, sans doute un tronc d’arbre creux, pour tra­ver­ser une rivière.

L’âge de la pierre polie arrive ensuite. De grands pro­grès ont été accom­plis. L’homme construit des habi­ta­tions sur pilo­tis, fait de la culture, il tra­vaille l’argile, construit des pote­ries, il domes­tique les ani­maux, il se tisse des vête­ments. Seule­ment, il n’a pas encore décou­vert le mine­rai, ou du moins, s’il l’a décou­vert, il n’en sait pas extraire le métal.

Enfin, grâce au feu dont à ce moment il sait se ser­vir, il arrive à fondre le mine­rai de cuivre mélan­gé avec de l’étain et à faire du bronze.

3° L’Âge du bronze

L’homme se sert du bronze pour faire ses armes et ses outils et les usten­siles dont il a besoin.

Au début, il cal­quait ses modèles sur les objets en pierre polie. Mais, petit à petit, délais­sant là rou­tine, il inven­ta de nou­velles varié­tés et des formes différentes.

On retrouve dans les tour­bières et dans les sépul­tures de cette époque, des vases et des objets en bronze.

La Grèce antique et la Rome ancienne étaient encore des « bar­bares » ne connais­sant ni le bronze, ni les métaux, alors que la Chine et l’Égypte étaient en pleine civi­li­sa­tion et se ser­vaient des métaux depuis longtemps.

Il y a envi­ron 3.000 ans qu’en Europe on se sert des métaux, et ce sont les Chi­nois et les Égyp­tiens qui semblent en avoir trans­mis l’usage.

Lorsqu’on décou­vrit l’Amérique, les Mexi­cains n’en étaient encore qu’à l’âge du bronze, et pour­tant, ils construi­saient des villes et étaient civi­li­sés. Ils igno­raient l’âge du fer.

L’homme fit des pro­grès dans la métal­lur­gie, il décou­vrit les mine­rais de fer et fabri­qua le fer.

4° L’Âge du fer

L’homme sachant fabri­quer le fer, nous sommes arri­vés à la période his­to­rique. Il invente l’écriture, bâtit des villes et l’ère des civi­li­sa­tions commence.

Grâce aux décou­vertes, le pro­grès va s’accentuer d’une façon plus rapide, et il a fal­lu l’absolutisme igno­ran­tin de toute la période féo­dale pour arrê­ter la science dans sa course aux recherches, pour que nous soyons encore aus­si igno­rants de notre pla­nète et de son évo­lu­tion, et que nous n’ayons pas trou­vé encore les causes de nom­breux effets que nous constatons.

Nous voi­ci arri­vés à la période his­to­rique. L’histoire des pre­mières civi­li­sa­tions n’est guère connue que depuis un siècle. On igno­rait même qu’il y en ait eues. La navi­ga­tion était encore dif­fi­cile, et puis on avait des idées dog­ma­tiques sur la for­ma­tion de l’homme et des sociétés.

C’est seule­ment depuis que les his­to­riens véri­tables ont vou­lu appli­quer à l’histoire des socié­tés les mêmes méthodes dont se servent les sciences expé­ri­men­tales pour la recherche de la véri­té sur l’évolution des espèces, que, grâce aux cherches de ces his­to­riens, on sait qu’il y eut, il y a long­temps, des civi­li­sa­tions merveilleuses. 

Mais que de tra­vail il a fal­lu pour arri­ver à résul­tat. Il a fal­lu reti­rer des pro­fon­deurs de terre les débris de l’industrie humaine. Il a fal­lu inter­ro­ger ces débris, on a inter­ro­gé les pyra­mides, les obé­lisques, les édi­fices sur les­quels étaient des carac­tères étranges.

C’est Cham­pol­lion qui déchif­fra les hié­ro­glyphes qui couvrent les temples de l’Égypte ancienne. Grâce à lui, on a pu lire toute l’histoire de cette vieille Égypte. D’autres ont réus­si à déchif­frer des livres retrou­vés dans les nilles des cités enfouies.

Nous évo­quons les géné­ra­tions de ce pas­sé enseveli.

Nous revoyons leur art, leur indus­trie. Nous connais­sons leurs souf­frances, leurs misères, leurs espé­rances et leurs joies. Nous pre­nons conscience de leur reli­gion, de leurs sen­ti­ments, et nous pou­vons ain­si connaître com­plè­te­ment l’évolution humaine depuis des mil­liers d’années. Les lois natu­relles, phy­siques, chi­miques, mathé­ma­tiques opèrent tou­jours de même, elles ne s’occupent pas si elles agissent pour nous ou contre nous, c’est à nous de prendre garde à elles. Pour­quoi les socié­tés ne seraient-elles pas sou­mises, dans leurs rap­ports, dans leur déve­lop­pe­ment à des lois natu­relles iden­tiques ? Pour­quoi l’homme ferait-il excep­tion ? Aux hommes et aux socié­tés de prendre garde, dans leur marche en avant, aux lois natu­relles qui les dirigent. S’ils ne s’y sou­mettent pas d’une façon aus­si abso­lue que l’aiguille aiman­tée dirige tou­jours sa pointe vers le nord, parce qu’elle ne peut faire autre­ment, qu’elle y est obli­gée par des forces bien supé­rieures à sa propre force de résis­tance, par des lois natu­relles que per­sonne n’a éta­blies, mais dont nous consta­tons l’évidence — ils iront à l’encontre de leur désir d’aller de l’avant, leur marche sera ralen­tie, et ira jusqu’au recul. La féo­da­li­té, le moyen âge devraient être, pour nous Fran­çais, leçon inou­bliable. Les dogmes anti­na­tu­rels, les com­man­de­ments absurdes de l’Église arrêtent en France par­ti­cu­liè­re­ment, la conti­nua­tion des belles civi­li­sa­tions grecques et latines pen­dant plus de dix siècles.

Nous par­le­rons, dans le pro­chain article, des civi­li­sa­tions anciennes, puis des civi­li­sa­tions gré­co-romaines, ensuite, nous trai­te­rons de notre his­toire natio­nale : féo­da­li­té, royau­té — Révo­lu­tion, Empire, Répu­blique. — Nous ver­rons les révoltes des serfs, des Jacques, la répres­sion, nous étu­die­rons les décou­vertes dues au génie des chercheurs.

Et nous ter­mi­ne­rons par le tableau de l’état social actuel, avec toutes ses lai­deurs, tous ses non-sens, toutes ses contradictions.

Nous mon­tre­rons qu’au lieu d’aider à la recherche de la véri­té, de venir en aide à ceux qui cherchent à amé­lio­rer le sort de tous, à décou­vrir les causes des mala­dies, de s’intéresser à l’hygiène publique, au bien-être de cha­cun par l’effort de tous, la socié­té et toutes les socié­tés humaines, ne s’occupent que des œuvres de mort. Les maîtres du jour mécon­nais­sant les droits impres­crip­tibles de l’homme : droit à la vie, droit au bon­heur, droit à la libre expres­sion de sa pen­sée, lui inter­disent, par leur sys­tème social abra­ca­da­brant, qui donne tout le pro­fit à quelques-uns qui ne font rien, et demande tout l’effort, toute la peine aux autres, les tra­vailleurs, de satis­faire ces trois droits. Il n’est pour eux que de la chair à tra­vail, de la chair à plai­sir et de la chair à mitraille.

Comme conclu­sion, nous oppo­se­rons notre concep­tion d’une socié­té fon­dée sur l’initiative, l’effort de cha­cun et l’entente de tous.

[/​Sébastien Faure./​]

Nota. — Mon ami Léon Rou­get se trou­vant très fati­gué et un peu malade, mais ne vou­lant pas inter­rompre l’étude dont il a com­men­cé la publi­ca­tion, m’a prié de la conti­nuer. J’y consens ; mais je dois à la véri­té de dire que Rou­get m’a com­mu­ni­qué tous les docu­ments qu’il avait mis en ordre et, somme toute, je me borne à signer. 

S. F.

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