La Presse Anarchiste

Revue des Journaux

Cinéma et superstition.

Alfred Capus, dans, le Gau­lois, après avoir signa­lé la vogue dont jouissent actuel­le­ment les spi­rites, les som­nam­bules, tireuses de cartes et autres médiums, affirme qu’il ne faut pas s’étonner que les pro­grès de la super­sti­tion soient contem­po­rains de tant de décou­vertes mer­veilleuses, de la science et entre autre du cinéma.

« Grave erreur de croire que le ciné­ma rend la curio­si­té plus intense, pro­voque aux voyages et à l’action, car on remarque des effet inverses chez nombre de gens qui le fré­quentent avec pas­sion. Leur curio­si­té sur­me­née ne trouve plus à se satis­faire aux spec­tacles moyens de la vie ; ils réclament les émo­tions réelles dont ils viennent de voir sur l’écran les dra­ma­tiques appa­rences. Ne les ren­con­trant pas, ils prennent peu à peu le dédain des habi­tudes fami­lières et le dégoût de la vie, qui leur parait un ciné­ma trop lâche et trop banal. Il y a une neu­ras­thé­nie du ciné­ma. Et ce n’est pas de la nature que ces films ver­ti­gi­neux donnent l’appétit, mais du hasar­deux, — du sur­na­tu­rel. Le ciné­ma à l’état aigu et tru­qué par l’industrialisme et non pas en tant que pro­dige du génie humain, cor­res­pond au roman poli­cier, aux man­chettes sen­sa­tion­nelles des jour­naux, au théâtre criard et pré­ci­pi­té, à l’intervention des som­nam­bules dans l’histoire du crime, à l’abus des médiums, au besoin impé­rieux de tant de jeunes femmes de connaître leur ave­nir dans les lignes de la main et à toute cette débauche d’émotions sur fond de tris­tesse qui carac­té­rise la vie intérieure. »

Oui, vie intense, vie anor­male, faite de la satis­fac­tion d’une foule de besoins fac­tices, encou­ra­gés et créés par la classe qui gou­verne et qui trouve dans l’abrutissement géné­ral, le moyen de conser­ver ses pri­vi­lèges et lui donne l’espoir de conti­nuer long­temps encore ses inac­tions et ses crimes.

À propos du paupérisme intellectuel des milieux ouvriers

Pour avoir pré­sen­té aux lec­teurs de la Revue anar­chiste quelques extraits pris arbi­trai­re­ment sans doute — mais com­ment faire autre­ment — dans le numé­ro de mai du Réveil de l’Esclave, vou­lant tout sim­ple­ment don­ner une idée de l’état d’esprit actuel des rédac­teurs de ce jour­nal, je donne à A. Schnei­der l’occasion de m’écraser sous le poids de sa très dis­cu­table supé­rio­ri­té. Il le fait avec la suf­fi­sance pédan­tesque qui carac­té­rise les pseu­do-scien­ti­fiques qui, parce qu’ils ont la « teste bien pleine », n’ont pas pour cela « la teste bien faicte ».

Après avoir inju­rié avec aisance, A. Schnei­der triomphe avec facilité :

« Le numé­ro de mai est excellent pour la pro­pa­gande. Mais, il fau­drait faire une pro­pa­gande maxi­mum, et pour cela jux­ta­po­ser aux décla­ra­tions de ce numé­ro les preuves d’impuissance doc­tri­naire de nos adver­saires d’idées, par exemple cer­taines polé­miques du genre de celle dont nous gra­ti­fia la Revue anar­chiste. Ce serait aider les copains qui, en dépit des revues qui veulent les murer dans l’ignorance au moyen du sen­ti­men­ta­lisme, vont sans elles vers la vérité.

Les éton­nants com­men­taires d’un Mual­dès et les cas ana­logues doivent nous ser­vir à mon­trer aux indi­vi­dua­listes pré­sents comme à ceux en puis­sance, com­ment pro­cède le pau­pé­risme intel­lec­tuel des milieux ouvriers, cet autre fait si déso­lant qui éblouit des aveugles véri­tables, mais est invi­sible de voyants qui se refusent à voir clair. »

Ce, que je vois de plus clair dans tout cela, c’est que le « pau­pé­risme intel­lec­tuel des milieux ouvriers », est encore moins déso­lant que ce défaut de sen­ti­men­ta­lisme, cette absence d’idéal qui n’est pas, hâtons-nous de le dire et de nous en réjouir à déplo­rer chez tous les indi­vi­dua­listes anarchistes.

La presse et la grève de la faim

Le 31 juillet, à 4 heures, les cama­rades anar­chistes, déte­nus poli­tiques à la San­té avaient com­men­cé la grève de la faim par soli­da­ri­té avec Jeanne Morand et le com­mu­niste Cou­don-Méric. Du reste, le Jour­nal du Peuple entre­prit une cam­pagne sérieuse. Plus longs à se déclan­cher, l’Humanité et l’Internationale vinrent à la rescousse.

Au 8e jour Courme ayant été libé­ré, nos cama­rades Nadaud, Fis­ter, Loréal et Vil­liers per­sé­vèrent dans leur geste. Des jour­naux à grand tirage comme le Petit Pari­sien et le Petit Jour­nal n’en souf­flèrent mot. À la suite de démarches, les jour­naux dits de gauche signa­lèrent pure­ment et sim­ple­ment le geste comme l’Œuvre, ou pro­tes­tèrent tels l’Ère Nou­velle, la Lan­terne et le Rap­pel.

On lisait dans la Lan­terne :

« L’entêtement de l’administration péni­ten­tiaire est d’ailleurs abso­lu­ment injus­ti­fié. Car pour des condam­nés qui se trou­vaient dans une situa­tion pénale sem­blable à celle de Méric et de Jeanne Morand et qui étaient accu­sés des mêmes délits, il y eut le pré­cé­dent de l’admission au régime poli­tique. Il nous suf­fi­ra de rap­pe­ler que Paul-Meu­nier, Mme Ber­nain de Ravi­si et M. Simais, incul­pés eux aus­si d’intelligence avec l’ennemi, ont béné­fi­cié de la mesure que l’on ne veut pas octroyer à Méric et à Jeanne Morand.

« Pour­quoi deux poids et deux mesures ? Y aurait-il une jus­tice spé­ciale pour les gens « de qualité » ?

On doit don­ner satis­fac­tion aux déte­nus conclut la Lan­terne « À moins qu’on ne soit déci­dé à les lais­ser mou­rir, c’est-à-dire à les assassiner ».

À cha­cun son régime, disait le Rap­pel :

« Il faut le res­pec­ter inté­gra­le­ment, tota­le­ment. Sans quoi, c’est le jeu nor­mal de la jus­tice faus­sé ; ce sont des révoltes d’opinion, des mani­fes­ta­tions de jeune, telles que celle à laquelle aujourd’hui nous assis­tons et qui abou­tissent à quoi ? À semer la haine et aggra­ver les situations.

« Nous vou­lons croire que M. Bar­thou ignore ces faits. Quand il les connaî­tra, la grève de la faim aura ces­sé, car les deux condam­nés seront au régime poli­tique. N’est-ce pas, mon­sieur Barthou ? »

Le petit Bar­thou les connais­sait si bien que le len­de­main, 9 août, Nadaud étant sor­ti — sa peine étant ter­mi­née — mais dans quel état, le Matin annon­çait que l’administration péni­ten­tiaire d’accord avec le ministre de la jus­tice, avait déci­dé d’infliger à nos cama­rades le sup­plice de la sonde œso­pha­gique. Le jour­nal Le Peuple a lui aus­si, pris par­ti pour les emprisonnés :

« Il est un mot qui se pro­nonce sou­vent, c’est le mot soli­da­ri­té.

Celle-ci se mani­feste sous plu­sieurs formes, mora­le­ment, pécu­niai­re­ment, et par la grève. Mais il en est une qui est vrai­ment sublime c’est lorsqu’elle se mani­feste par un moyen qui met­tra son auteur à la plus dure épreuve : la grève de la faim.

Déci­der volon­tai­re­ment de s’abstenir de toute nour­ri­ture ; savoir à l’avance que l’on va connaître les dou­leurs ter­ribles d’une abs­ti­nence de ce qui est indis­pen­sable à l’être humain, c’est une chose pour laquelle il n’existe pas de qua­li­fi­ca­tif pour en expri­mer la beau­té. Qui peut res­ter insen­sible à de tels sacrifices ? »

Qui ? Mais des êtres qui n’ont de l’homme que l’apparence, ceux qui, à l’odeur des char­niers patrio­tiques ont per­du tout ce qui pou­vait leur res­ter de bon­té et de générosité.

Les tra­vailleurs sau­ront faire jus­tice un jour de toutes ces infamies.

La peine de mort

Sous ce titre, je lis dans la Vague :

« Char­rier le ban­dit du rapide a été guillo­ti­né. Or, il n’avait pas tué. 

L’expiation a donc dépas­sé la faute.

Char­rier s’était dit « anar­chiste ». La Bour­geoi­sie s’est ven­gée. Elle est féroce quand elle tremble pour son argent. Son Mil­le­rand et son Poin­ca­roff sont des êtres gla­cés, sans cœur, inhumains. 

La peine de mort est une sau­va­ge­rie inutile, en matière pénale, où elle n’empêche pas les crimes, et en matière poli­tique, où elle n’arrête pas les idées.

Il suf­fit de mettre les nocifs hors d’état de nuire.

On n’a qu’un bien : la Vie.

Ceux qui la tuent : déchaî­neurs de guerres, assas­sins, ou par­tis qui condamnent leurs adver­saires à mort se révèlent au-des­sous des ani­maux et se déshonorent. »

Le Procès de Moscou

Le tri­bu­nal suprême révo­lu­tion­naire a ren­du son ver­dict dans le pro­cès des socia­listes révo­lu­tion­naires incul­pés de com­plot contre le par­ti com­mu­niste. Quinze condam­na­tions à mort, mais qui ne seront ren­dues effec­tives qu’autant que le par­ti des accu­sés entre­pren­dra une action contre celui des accusateurs.

L’Humanité approuve plei­ne­ment et donne ces expli­ca­tions qui confirment ce que nous ayons tou­jours pen­sé sur la jus­tice et les juges :

« Les bol­che­viks n’ont pas l’hypocrisie de pré­tendre rendre la jus­tice. Comme les mar­xistes révo­lu­tion­naires de tous les pays, ils savent que la jus­tice n’existe pas, que la jus­tice n’est que l’expression des inté­rêts d’une classe. Dans les États capi­ta­listes, la jus­tice est ren­due par des bour­geois au béné­fice de la bour­geoi­sie. Dans le pre­mier État pro­lé­ta­rien, les juges sont des com­mu­nistes qui servent la Révo­lu­tion. Pia­ta­kov a pro­cla­mé avec force, à l’ouverture du pro­cès : le tri­bu­nal est au ser­vice de la classe ouvrière atta­quée par d’innombrables et impla­cables enne­mis, et il a pour mis­sion d’aider à sa vic­toire. Le pro­cès n’est pas une affaire de jus­tice : c’est un épi­sode de guerre civile. »

Ce point de vue sou­lève natu­rel­le­ment des com­men­taires enflam­més de toute la presse, depuis l’Action Fran­çaise, jusqu’au Peuple.

Le Temps écrit :

« Qua­torze socia­listes révo­lu­tion­naires sont rete­nus en réa­li­té comme otages par les soviets et leur sort dépend de l’attitude que les non-com­mu­nistes adop­te­ront à l’égard du gou­ver­ne­ment sovié­tique : au besoin, on les exé­cu­te­ra en repré­sailles d’une poli­tique dans laquelle, étant pri­son­niers, ils n’auront aucune res­pon­sa­bi­li­té. Voi­là la jus­tice communiste. »

Jamais dans l’Histoire, écrit le Peuple :

« Un gou­ver­ne­ment n’avait mani­fes­té à l’endroit des prin­cipes les plus élé­men­taires de la jus­tice, un mépris aus­si absolu ».

En d’autres termes, dit l’Action Fran­çaise, les « mal­heu­reux sont des otages aux mains des bolcheviks. »

« Nous avons sous les yeux dans toute sa splen­deur, le spec­tacle de la sen­si­bi­li­té com­mu­niste. Que de larmes, que de cris, parce qu’on main­tient Mar­ty à Clair­vaux ! Ima­gi­nez un minis­tère qui leur répon­drait : « Après tout, votre Mar­ty méri­tait d’être fusillé. Je l’épargne, mais je le garde à ma dis­po­si­tion, et je l’exécuterai, si Vaillant-Cou­tu­rier, Cachin ou Rap­po­port ne sont pas sages. » Cette menace déchaî­ne­rait un tor­rent d’indignation. Or les soviets ne font pas autre chose. »

C’est pour­tant vrai. Et c’est pour­quoi seuls les anar­chistes ont rai­son, qui ne veulent pas être jugés, mais qui n’entendent pas non plus juger les autres.

[/​Pierre Mual­dès./​]

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