La Presse Anarchiste

Le travail volontaire ou imposé

Nous sup­po­sons balayée la pour­ri­ture capitaliste.

  1. Êtes-vous en faveur du Tra­vail volontaire ? 
    1. Pour quelles raisons ?
    2. Com­ment en conce­vez-vous l’organisation ?
  2. Êtes-vous par­ti­san du Tra­vail Imposé ? 
    1. Pour quelles raisons ?
    2. Com­ment en conce­vez-vous l’organisation ?)]

Pourquoi je suis partisan du travail volontaire ?

J’ai pas­sé plu­sieurs années par­mi les déchets sociaux, ceux qu’on qua­li­fie com­mu­né­ment de « pares­seux », dans les pri­sons de droit com­mun, pri­sons et péni­ten­ciers mili­taires, ate­liers de tra­vaux publics et, après de minu­tieuses obser­va­tions, j’en suis arri­vé à les clas­ser en deux caté­go­ries : 1° ceux qui, dans un moment de chô­mage ou pour sin­ger les bour­geois se sont lais­sés entraî­ner vers une vie fac­tice ; comp­tables mar­rons ; cais­siers man­geant la gre­nouille ; sou­te­neurs, etc. — 2° ceux que la men­ta­li­té pan­do­resque nomme fortes têtes : les rétifs au joug auto­ri­taire, les réfrac­taires du régime capi­ta­liste, les insou­mis à la loi d’airain.

Pour les uns et les autres, le tra­vail impo­sé serait pré­ju­di­ciable à la révo­lu­tion. Contre ce tra­vail impo­sé, les réfrac­taires s’insurgeraient ; quant à ceux de la pre­mière caté­go­rie qui ont une sou­plesse d’adaptation, il fau­drait une sur­veillance vigi­lante, constante, étroite pour les obli­ger à pro­duire, et cela irait à ren­contre du but qu’on vou­drait atteindre.

Par le tra­vail volon­taire, le besoin d’activité artis­tique, inven­tive, indus­trielle de tous pour­rait s’exercer libre­ment, les insou­mis de notre époque seraient les meilleurs sou­tiens de ce régime. Tous ceux qui ont connu les bat. d’Af., les Biri­bi ou les pri­sons cen­trales connaissent ces petits tra­vaux d’art fabri­qués clan­des­ti­ne­ment et la capa­ci­té pro­duc­tive des pen­sion­naires de ces mai­sons de force.

Un autre exemple : Je veux par­ler de ceux que les pay­sans appellent gal­vau­deux, rou­leux, tri­mar­deux. Leur paresse n’est qu’apparente puisque l’été venu nous les voyons tra­vailler dans les machines à battre ou, pen­dant les ven­danges, aux tra­vaux du pres­soir. Leur besoin de poé­sie, de la grand ? route et leur recherche des beaux sites pit­to­resques leur fait fuir ces grandes cités indus­trielles. Les trou­vères et les trou­ba­dours du moyen âge étaient des vaga­bonds. Ber­nard Palis­sy était un tri­mar­deur éga­le­ment. Par les mesures coer­ci­tives, nous n’arriverons jamais à les for­cer à pro­duire. Les bûchers au moyen âge n’ont pas réus­si à exter­mi­ner les roma­ni­chels. Le tra­vail volon­taire don­ne­ra à la socié­té de demain le maxi­mum de rendement.

Com­ment conce­voir l’organisation du tra­vail volontaire ?

Libres asso­cia­tions. Les indi­vi­dus les mieux doués recher­che­ront le machi­nisme le plus sim­pli­fié et par l’exemple, la per­sua­sion, seront les guides moraux de la masse. Dans la période d’apprentissage et d’initiation au tra­vail, pour évi­ter que les ado­les­cents ne prennent leur métier en dégoût, il sera néces­saire de varier les tra­vaux et de leur per­mettre une besogne attrayante.

J’insiste par­ti­cu­liè­re­ment sur ce point : dans la période de mise en marche de la socié­té nou­velle, les orga­nismes de dis­tri­bu­tion des matières pre­mières, dans l’intérêt de tous, veille­ront a déve­lop­per les nou­velles formes d’artisanat.

[/​Hoche Meu­rant./​]

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Nous sommes for­cés de cri­ti­quer la forme de la ques­tion posée : « Nous sup­po­sons balayée la pour­ri­ture capitaliste… »

Il est radi­cal ce balai, il est évo­ca­teur aus­si. Car n’oublions pas que le balai a une fonc­tion quo­ti­dienne. Si cette image est juste, elle appelle ceci : Balayée la pour­ri­ture capi­ta­liste, elle ne sau­rait l’être défi­ni­ti­ve­ment ; propre la mai­son, demain il fau­dra de nou­veau la balayer, après-demain et tou­jours. La pour­ri­ture capi­ta­liste (et autre) veut renaître, bour­geon­ner ; elle ne sau­rait être abo­lie à jamais. Il fau­dra donc tou­jours veiller à ce qu’elle ne fleu­risse à nouveau.

On nous dit : « Tra­vail volon­taire ou tra­vail impo­sé ? » Et nous ajou­tons : « Ou tra­vail libre. » Car il y a une nuance.

Cer­tains répondent : « Pour un anar­chiste, la ques­tion ne se pose pas. » Soit, admi­rons cette façon d’avaler une dif­fi­cul­té. Mais en y réflé­chis­sant, cette réponse exprime une véri­té : « Pour un anar­chiste-com­mu­niste, tra­vailleur conscient, il n’y a pas besoin de garde-chiourme, il tra­vaille­ra de lui-même sans contrainte extérieure. »

Mais pour les incons­cients ? Ici nous nous éton­nons que les cama­rades ardents syn­di­ca­listes ne fassent pas la part du syn­di­cal. Cepen­dant, si le syn­di­ca­lisme est des­ti­né à jouer un rôle direc­teur impor­tant, voire pré­pon­dé­rant, dans la socié­té de l’avenir, il n’est pas dou­teux qu’il y intro­dui­ra sa dis­ci­pline propre.

La dis­ci­pline syn­di­cale, qui a déjà prou­vé son effi­ca­ci­té, est une force de l’avenir. Elle seule peut nous don­ner la solu­tion du pro­blème. Elle est d’abord une dis­ci­pline morale, faite du sen­ti­ment de la soli­da­ri­té, elle contient aus­si la notion d’honneur : on ne veut pas démé­ri­ter aux yeux des copains. Enfin, lorsque son auto­ri­té morale ne suf­fit pas — vis-à-vis de la jau­nisse aujourd’hui, demain vis-à-vis des para­sites — la dis­ci­pline syn­di­cale emploie­ra comme aujourd’hui, des « argu­ments frap­pants ». On peut le déplo­rer, mais ce n’est pas douteux.

— Ah ! mais alors, ce sera la tyran­nie syn­di­cale ? Nous ne la crai­gnons pas ; et puis aujourd’hui les jaunes se plaignent de cette soi-disant tyran­nie, demain ce seront les « phé­no­mènes » qui vou­dront se tour­ner les pouces en raillant les poires de copains qui tra­vaillent ! Ils hur­le­ront à la tyran­nie syn­di­cale et nous les lais­se­rons hur­ler, parce qu’ils ne sont guère inté­res­sants, ces mécontents-là.

Car il y aura tou­jours des mécon­tents, et des conflits, et des injus­tices. Il est enfan­tin de croire que la « socié­té future » mar­que­ra la fin de tous les conflits. Elle amè­ne­ra plus de jus­tice, c’est appré­ciable, et ça vaut de l’essayer. Mais la perfection ?!!!

Comme dans ladite socié­té future le tra­vailleur aura toutes faci­li­tés pour chan­ger de métier, de lieu, l’élément pure­ment inso­ciable, le pares­seux, ten­dra à disparaître.

Il n’est ni pos­sible ni dési­rable que du jour au len­de­main toutes les tra­di­tions ouvrières dis­pa­raissent, pour lais­ser le pro­duc­teur iso­lé. La Révo­lu­tion fran­çaise abo­lit les cor­po­ra­tions, ne vou­lut voir que l’individu dans l’ouvrier, au nom de la liber­té ! La néces­si­té de pro­duire exige que tout lien ne soit pas rom­pu entre le pas­sé et l’avenir. Il ne sau­rait plus être ques­tion de sur­veillants, ins­pec­teurs, contre­maîtres, mora­le­ment finis, hon­nis de tout le pro­lé­ta­riat. Mais il y a la pra­tique syn­di­cale, qui évo­lue­ra et se développera.

[/​E. & S. Cas­teu./​]

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Si on me deman­dait : veux-tu être esclave ? Je répon­drais : Non.

N’importe qui réflé­chit dira comme moi. Le tra­vail impose, non vou­lu, est un labeur d’esclave.

Pen­sons à notre carac­tère per­son­nel, non à ceux des autres, ne cher­chons pas à faire la loi à nos cama­rades, ne la vou­lant pour nous mêmes.

Si, pour demain nous pré­sa­geons la néces­si­té de la dic­ta­ture ou l’imposition d’un quel­conque tra­vail, nous rai­son­nons à l’envers et même contre notre conscience qui réclame tou­jours un peu plus de liberté.

Seul le tra­vail volon­taire, libre­ment consen­ti, est le pivot de la conti­nuelle évolution.

Orga­ni­sa­tion pour pour­voir à ce que cha­cun ait tout ce qu’il lui faut : vivres, vête­ments, habi­ta­tions, livres, théâtres, loco­mo­tions, etc. Kro­pot­kine nous a bien dit tout ce que nous pou­vons attendre de l’organisation fédé­ra­tive des tra­vailleurs. Elle est dans les syn­di­cats qui embras­se­ront toute l’activité en pro­dui­sant libre­ment, métho­di­que­ment, abon­dam­ment ; et en lais­sant prendre à cha­cun tout ce dont il a besoin pour se satis­faire entièrement.

Ne rétré­cis­sons pas les ques­tions en pré­voyant la masse moins inapte qu’elle ne l’est avant de noua son­der par­ti­cu­liè­re­ment sur l’utilité d’une ser­vi­tude à imposer.

[/​L. Gue­ri­neau./​]

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« Tra­vail volon­taire » ou « Tra­vail imposé » ?

De ces deux for­mules, laquelle sera celle qui pri­me­ra l’autre ?

Tra­vail impo­sé et par impo­sé, veut-on entendre impo­sé par un autre que par soi-même ?

Si oui, un anar­chiste se doit de contes­ter à qui­conque le droit de s’ériger en maître et de dire « Tra­vaille pen­dant que je t’observe ».

Cette for­mule impli­que­rait des sur­veillants, des gar­diens, des gen­darmes, etc., qui ne pro­dui­sant rien grè­ve­ront de leur inac­ti­vi­té pro­duc­tive le tra­vail accompli.

Cette for­mule, mais c’est tout le régime capi­ta­liste qui renaît, c’est la vieille socié­té qui réapparaît !!!

Tra­vail volon­taire et par volon­taire, veut-on entendre impo­sé par soi-même et sur soi-même ?

Si oui, j’accepte la formule.

La fonc­tion crée l’organe et par ce vieux prin­cipe, l’homme ne peut sans incon­vé­nient pour lui-même s’adonner à la paresse.

Le tra­vail est la vie même de l’individu et nul ne peut s’y sous­traire sans atten­ter à cette vie.

Il existe dans chaque indi­vi­du une force créa­trice qu’il détient de par son essence même ; dans la nature tout ce qui vit (et tout vit) tra­vaille selon ses forces et selon ses apti­tudes et, l’homme, plus que tout autre élé­ment de cette nature, ne peut enfreindre cette loi fondamentale.

Le pro­blème pour moi est tout autre :

Le tra­vail sera-t-il col­lec­tif ou individuel ?

[/​Lauar./​]

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