La Presse Anarchiste

Revue des journaux

Statistiques

Le Petit Parisien pub­lie ces chiffres qui, de son aveu même, doivent don­ner à penser :

« La guerre et la mort…

Quelques chiffres qui don­nent à pense…

La France a per­du 1.400.000 hommes au cours des qua­tre années de la dernière guerre. C’est un tiers de plus des pertes qu’elle subit lors des guer­res de la Révo­lu­tion, de 1791 à 1799.

Durant les quinze années suiv­antes, sur 3.137.600 hommes appelés sous les dra­peaux, 2.300.000 ne revirent jamais le foy­er famil­ial. Il en périt un mil­lion sur les champs de bataille. Le reste suc­com­ba par mal­adie ou à la suite de graves blessures.

Quand elle envahit le sol de la Russie, la Grande Armée comp­tait 1.100.000 com­bat­tants. À la fin de la retraite de Moscou, elle était réduite à 60.000 hommes.

Les guer­res du deux­ième Empire, Crimée, Ital­ie, Mex­ique, coûtèrent la vie à près de 300.000 Français. La cam­pagne de 1870–71 en vit dis­paraître plus de 490.000.

Souhaitons que ces funèbres sta­tis­tiques ne se représen­tent, plus dans l’avenir. »

Le souhait du jour­nal­iste bour­geois part d’un bon naturel, mais il est à notre avis beau­coup plus effi­cace, pour empêch­er des guer­res futures, de s’attaquer à cause de tous les égorge­ments : L’État, et à sa con­séquence logique : le Militarisme.

Après la grève générale

Naturelle­ment, la presse bour­geoise s’est empressée de se réjouir de « l’échec » de la grève générale de protes­ta­tion con­tre les assas­si­nats du Havre. La Lib­erté après avoir sig­nifié l’appel de l’Human­ité et celui de l’Union anar­chiste, gogue­narde :

« Quel est le résul­tat de cette union des com­mu­nistes et des anarchistes ? »

« Vous avez pu, ce matin, aller à votre tra­vail comme d’habitude. Vous avez eu votre métro ; vous avez en votre tramway ou votre auto­bus ; vous avez cir­culé pais­i­ble­ment dans les rues ; vous lisez votre jour­nal ; vous allez dans, les mag­a­sins. La vie dans Paris suit son cours normal. »

Il y a pour­tant eu ici et là des inci­dents, ce qui n’est pas éton­nant puisque ce sont les « pires révo­lu­tion­naires » qui sont en grève. Les autres révo­lu­tion­naires qui, eux, ne sont pas les pires, ne s’émeuvent pas pour si peu :

« La C.G.T. se refuse à col­la­bor­er à un mou­ve­ment dirigé, dit-elle, par « des irre­spon­s­ables ». Elle se con­tente de dire à ses adhérents d’abandonner une journée de salaires aux grévistes du Havre. C’est un joli geste ! Seule­ment, les grévistes du Havre atten­dront peut-être quelque temps la dis­tri­b­u­tion de la col­lecte. En tout cas, la C.G.T. ne marche pas avec les com­mu­nistes. C’est significatif. »

En effet.

Pour Cottin

Les juges a tout faire de la République française ont con­damné nos cama­rades Loréal, Vil­liers et Dele­court, pour avoir osé réclamer en faveur de notre ami Cot­tin un peu de cette jus­tice qui ne peut exis­ter en régime autori­taire. À ce pro­pos, Daniel Renoult, dans l’Inter­na­tionale écrit courageusement :

« Si le gou­verne­ment s’imagine que cette con­damna­tion arrêtera la cam­pagne en faveur de Cot­tin, il se trompe.

Com­ment les anar­chistes se dés­in­téresseraient-ils du sort de leur jeune cama­rade, qui n’a pas tué, qui, même, selon toute vraisem­blance, n’a pas atteint M. Clemenceau, et qui a été con­damné avec la dernière sévérité ? Com­ment tous les hommes de cœur ne pro­test­eraient-ils pas con­tre la déten­tion pro­longée de Cottin ?

L’opposition entre son cas et celui de Vil­lain est main­tenant clas­sique. Elle souligne toute l’hypocrisie de la société bourgeoise.

L’opinion révo­lu­tion­naire, sans dis­tinc­tion, ne peut qu’honorer les anar­chistes qui se font jeter en prison pour ten­ter de libér­er leur ami.

Une grande cam­pagne en faveur des vic­times de la répres­sion est indis­pens­able. Dans cette cam­pagne, il sera juste de ne pas oubli­er Cottin. »

Tout autre que Clemenceau, ajoute D. Renoult, se fût fait un point d’honneur d’inter­venir en faveur du condamné :

« Est-ce que l’abbé Lemire — celui des députés qui fut le plus sérieuse­ment blessé par la bombe de Vail­lant à la Cham­bre — ne se ren­dit pas auprès du prési­dent de la République pour ten­ter d’éviter l’exécution ? Mais M. l’abbé Lemire est un brave homme.

M. Clemenceau, lui, est dur et implaca­ble. Sur le point de mourir, il n’a pas pitié du jeune homme dont la déten­tion va bien­tôt faire un autre vieil­lard promis à la tombe.

… Nous tenions à dire ces choses au lende­main de la con­damna­tion des cama­rades anarchistes. »

D’autres condamnés

Est-il vrai qu’un des con­damnés à mort, en sur­sis de Moscou, se soit pen­du dans sa cel­lule et que ses codétenus aient fait la grève de la faim ?

Hen­ri Fab­re qui, sous toutes réserves, nous annonce ces faits dans le Jour­nal du Peu­ple, écrit :

« Il n’est pas pos­si­ble qu’un gou­verne­ment ani­mé des principes social­istes se con­duise, vis-à-vis d’adversaires poli­tiques, comme les gou­verne­ments bourgeois.

Il est inad­mis­si­ble de garder des con­damnés à mort comme otages afin de leur faire pay­er, le cas échéant, les crimes qui pour­raient être com­mis par des hommes restés libres.

Ce serait une faute lourde de la part de la Russie révo­lu­tion­naire que d’apporter dans l’exercice de la répres­sion les mœurs de l’Inquisition.

Que pour­rions-nous répon­dre à nos dirigeants, quand nous leur deman­dons de met­tre Jeanne Morand et Coudom dit Méric au régime poli­tique, s’ils se jus­ti­fi­aient en nous mon­trant ce qui se passe à Moscou ? »

Il est évi­dent que les social­istes autori­taires qui jus­ti­fient les actes d’arbitraire qui se com­met­tent en Russie sur les anar­chistes et leurs autres adver­saires poli­tiques, doivent être plutôt gênés pour réclamer con­tre l’injustice gou­verne­men­tale, quant eux-mêmes…

Mais nous autres, anar­chistes, n’avons pas de ces con­sid­éra­tions. Les fusilleurs de Moscou et du Havre ont égale­ment droit à notre haine.

Et nous sommes les seuls logiques.

Deux morts

Le théoricien du syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire Georges Sorel, vient de mourir, dans sa retraite de Boulogne-sur-Seine. Nos cama­rades auront la dans le Lib­er­taire, le remar­quable arti­cle que lui a con­sacré E. Casteu.

Plus reten­tis­sante a été la mort du citoyen Mar­cel Sem­bat, drama­tisée par le sui­cide de sa compagne.

Toute la presse social­iste, « com­mu­niste », indépen­dante !… répub­li­caine de toutes nuances roy­al­iste, bona­partiste, que sais-je s’est répan­due en louanges sur l’artiste, l’homme d’esprit, l’éminent jour­nal­iste. Georges Yve­tot dans le Jour­nal du Peu­ple con­sacre un arti­cle au « bon Sem­bat ». Aucune voix dis­cor­dante dans le con­cert élogieux.

À ses obsèques où se pres­saient au côté de MM. A. Thomas et Loucheur ! les mem­bres les plus mar­quants du social­isme de guerre et d’après-guerre, le citoyen Bracke, d’après l’Humanité a fait l’historique de la car­rière de Sembat :

« Il rap­pelle sa pre­mière inter­ven­tion à la Cham­bre, le 12 juin 1894, lorsqu’il défendit le droit pour un ouvri­er qui n’exerce pas de fait sa pro­fes­sion d’être pour­tant secré­taire de syn­di­cat. Il évoque les cam­pagnes con­tre les lois scélérates pour la sup­pres­sion de l’ambassade au Vat­i­can. Il explique que Sem­bat, avec Vail­lant, ont résis­ter au « millerandisme »… »

Sans vouloir le moins du monde, insul­ter à la mémoire d’un homme aus­si uni­verselle­ment regret­té, il serait peut-être bon de rap­pel­er que le « bon » Sem­bat les avait au préal­able votées les lois scélérates, qu’il a, ain­si que ses col­lègues, dont quelques uns sont devenus les farouch­es inter­na­tion­al­istes que l’on sait, prêté son con­cours à la guerre du droit, qu’il a été plusieurs fois min­istre et que ma foi, c’est un par­lemen­taire qui vient de mourir et gui, comme tous les parlementaires…

La Marne

Les cyniques respon­s­ables de tant de mil­liers de cadavres ont « fêté » le 8e anniver­saire de la « vic­toire » de la Marne. À cette occa­sion, le grand chef des Sauvages, Poin­caré, a pronon­cé un grand dis­cours, pieuse­ment recueil­li et propagé par la presse patri­o­tarde — avec la peau des autres — et par l’Action Française en particulier.

Par­lant des alliances de la « dernière » guerre, Poin­caré déclare :

« Les coali­tions qui se sont for­mées en d’autres temps étaient, en général, con­damnées à se désagréger, parce qu’elles avaient été inspirées par la con­voitise. Cette fois, nous nous sommes groupés pour empêch­er l’Allemagne d’opprimer les autres peu­ples : nous nous sommes bat­tus pour la jus­tice et la liberté. »

Cela ne fait pas plaisir à Maurras :

« Je ne sais pas bien, dit-il, jusqu’à quand « les for­mules de cet ordre seront sup­port­ées du papi­er et se fer­ont souf­frir des oreilles humaines. Elles passent encore. »

C’est que Mau­r­ras sait bien que chez les cap­i­tal­istes et les gou­ver­nants à leur sol­de, le dés­in­téresse­ment est un luxe dont ils ne s’embarrassent guère. France, Patrie, Droit, Lib­erté, ne sont que des mots dont ils savent se servir habile­ment pour asseoir plus solide­ment leur domination.

L’increvable

La « vic­time » si peu intéres­sante de Cot­tin se porte à mer­veille. Le même pitre, qui ne veut pas se décider à ren­dre au dia­ble une âme qui serait pour­tant reçue à bras ouverts, vient en effet de se décider à accom­plir le voy­age d’Amérique à seule fin de prou­ver péremp­toire­ment aux améri­cains qu’ils ont tort d’accuser la France d’impérialisme et de militarisme.

« Au pays de Bar­num, dit Jacques Banville, dans la Lib­erté, Clemenceau est sûr d’un suc­cès de sym­pa­thie et de curiosité. »

« S’il par­le des dettes, il fau­dra qu’il soit vrai­ment inspiré.

Mais il se pro­pose surtout de défendre la France con­tre le reproche de mil­i­tarisme et d’impérialisme. Là, nous dou­tons encore plus de l’efficacité. D’abord pourquoi tou­jours se défendre, tou­jours s’excuser, ce qui revient à s’accuser ? L’Angleterre s’excuse-t-elle d’être la pre­mière puis­sance mar­itime du monde, de s’appeler et de con­stituer offi­cielle­ment un empire, le British Empire, d’avoir des plans impéri­al­istes et impéri­aux sur une moitié de l’Asie ? »

En effet, la France qu’illustrent, d’aussi illus­tres généraux que le nom­mé Duchêne, le glo­rieux vain­queur du Havre, n’a pas besoin de s’excuser. Elle n’a qu’à tir­er son grand sabre et à faire démolir à nou­veau quelques cen­taines de mil­liers de ses « enfants » qui ne sem­blent pas avoir con­science de l’abîme où les con­duit la rapac­ité de leurs dirigeants.

Alliance franco-allemande

Les hommes d’affaires, eux, ne per­dent pas leur temps, qui est d’or, en vains pal­abres. Loucheur et Rathe­neau avaient déjà essayé une com­bi­nai­son Hugo Stinnes, con­cur­rent de Rathenau et l’un des plus gros requins alle­mands, vient d’en con­clure une autre avec de Luber­sac au nom de la Con­fédéra­tion générale des coopéra­tives de recon­struc­tion des régions dévastées.

Gus­tave Hervé annonce tri­om­phale­ment la chose dans le Petit Parisien :

« Aujourd’hui, c’est un puis­sant groupe indus­triel alle­mand qui traite avec le groupe non moins impor­tant d’entrepreneurs français qui sont der­rière M. de Lubersac.

Demain, c’est le groupe alle­mand de l’industrie de la potasse et le groupe français des potass­es alsa­ci­ennes qui se répar­tiront par un libre accord les prin­ci­paux marchés d’Europe et d’Amérique.

Après-demain, ce sont les métal­lur­gistes français de Lor­raine qui signeront avec les gros métal­lur­gistes de la Ruhr d’autres con­trats par lesquels les pre­miers assureront aux sec­onds une cer­taine quan­tité de min­erais de fer de Lor­raine con­tre une cer­taine quan­tité de coke de la Ruhr.

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« Quand le monde des affaires, du com­merce et de l’industrie aura solide­ment lié les intérêts des deux nations, le temps aidant, le désarme­ment moral pour­ra suivre.

Par-dessus l’abîme que la guerre a creusé entre l’Allemagne et la France, ce sont des hommes d’affaires qui jet­tent le pre­mier pont. »

S’il reste encore par­mi les probes, des patri­otes sincères, ils doivent main­tenant être édi­fiés. Le tableau, brossé par l’ex « sans-patrie », de l’industrie française leur promet encore de beaux jours d’exploitation.

Finiront-ils par voir clair et comprendre ? 

[/Pierre Mualdès./]


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