La Presse Anarchiste

À propos de tout et de rien

Con­nais­sez-vous l’heure des autorités ? C’est celle où l’on mange. Ouvrez un jour­nal, il est bien rare de n’y point trou­ver la petite note gas­tronomique que voici : « M. le Prési­dent, M. X ou M. Y. a assisté au dîn­er (ban­quet, agape ou col­la­tion) et y a pronon­cé un dis­cours ». Ce dernier est tou­jours magis­tral, c’est de règle, de politesse et de con­grat­u­la­tion aus­si anci­enne que la cour­tisaner­ie. M. le général a eu beau­coup à faire dans ce domaine, ces derniers temps. Il y a tant de champs de bataille dans le pays dont on ravive l’histoire la fourchette et le verre en main, qu’on en oublie pour un moment le trust de l’alimentation et la cherté des vivres… Quand la Pologne avait bu…

Hier, c’était M. Mot­ta, le prési­dent de la Con­fédéra­tion, qui pal­abrait au Cen­te­naire de la Société helvé­tique des sci­ences naturelles.

Glanons quelques-unes de ses paroles qui, paraît-il, pren­nent une valeur his­torique dès que l’orateur a été revê­tu d’un titre qui le hausse au-dessus du com­mun des dirigeants de l’heure :

… Nous n’admettrons jamais chez nous les luttes et les com­péti­tions de race. L’heure actuelle, si elle fait éclore dans tous les pays bel­ligérants des preuves d’immolation et de dévoue­ment qui nous arrachent des cris d’admiration et de pitié, mon­tre pour­tant ce qu’il y a de trou­ble, d’attristant et presque d’inhumain dans ces luttes et dans ces antagonismes.

La Suisse demeur­era à jamais la république frater­nelle. Per­son­ne n’a demandé chez nous que les dif­férences de race, de langue et d’éducation dis­parussent. L’idéal d’un État comme le nôtre n’est point l’uniformité ; nous savons tous que notre État perdrait une par­tie cap­i­tale de sa force et de sa valeur s’il ne fai­sait appel à la var­iété des ten­dances, des langues et des méth­odes éduca­tives ; mais qui dit var­iété dit ému­la­tion et non contraste.

J’ai souligné le mot presque. M. Mot­ta est d’une école où ma restric­tion men­tale fait l’objet d’une étude spé­ciale en vue de l’usage qu’elle néces­site dans la vie. Presque inhu­main… M. Mot­ta a‑t-il eu tout à coup, dans le sen­ti­ment brusque­ment rap­pelé de ses hautes fonc­tions, la vision claire d’une neu­tral­ité devant s’ex­ercer jusqu’au choix des mots ? À t il conçu le blâme qu’il allait jeter en dis­ant toute sa pen­sée ? Mys­tère… mais presque inhu­main demande à pass­er à la postérité.

La république frater­nelle… hum ! Il s’en est fal­lu de peu qu’on en vienne aux mains au Tessin, grâce à la morgue d’un colonel romand dont les frasques sont aus­si fréquentes que la haine de ses inférieurs officiers et sol­dats, est man­i­feste. Quant au reste, M. Mot­ta est en fla­grant désac­cord avec son col­lègue Hoff­mann, son prédécesseur aux toasts prési­den­tiels. Celui-ci demandait rien moins que le peu­ple suisse soit d’ac­cord en esprit et en volon­té avec le Con­seil fédéral, conçu comme l’é­ma­na­tion supérieure et sou­veraine du peu­ple suisse. En vérité, M. le Prési­dent, l’ac­cord ne pou­vait être, car il y a bien con­traste et non pas seule­ment ému­la­tion entre les dif­férentes par­ties du pays. Jamais Latins romands, vous le savez mieux que quiconque, ne pour­ront s’in­clin­er comme sont prêts à le faire les gens de cul­ture ger­manique et de tem­péra­ment idem.
Inter­ro­gez donc les étrangers au pays qui savent voir et qui ne sont pas unique­ment des « vil­lé­gia­turi­ers » et ils vous dirent le con­traste qu’il y a entre ces deux paries de la Suisse, romande et alle­mande, comme en celui de leurs habitants.

Alors, si ça saute aux yeux des non-prévenus ?…

Je sais bien que les paroles d’un ban­quet ne sont pas sou­vent défini­tives. Un dis­cours efface l’autre suiv­ant le temps, la lib­erté qu’on a, ou le fil à la pat­te de la fonction.

Quant à M. Hoff­mann et à son désir… les bons patri­otes, qui voudraient être unifiés et qui ont sans doute applau­di M. Mot­ta — la con­tra­dic­tion ne les gêne guère ont déjà répon­du pour moi.

[|* * * *|]

La Police fédérale, la cen­sure con­tin­u­ent leurs exploits. C’est ici gens arrêtés sur un vul­gaire soupçon de sym­pa­thie trop effec­tive ; là c’est une librairie fouil­lée jusque dans ses innom­brables « bouil­lons » lit­téraires ; ailleurs, c’est M. Kro­nauer, mis en œuvre, pour une gifle infligée à un sujet autrichien, frappeur de femme. C’est une course à la plat­i­tude ger­manique. Quand s’ar­rêtera le zèle de nos mouchards en délire neu­tral­iste uni­latéral ? On s’in­ter­roge, mais pas de réponse. En voulez-vous une au hasard ? Il s’ar­rê­ta quand, le doigt en l’air, on aura con­staté au sein de nos autorités fédérales que le vent a changé et que les crocs mous­tachus d’un cer­tain cro­quemi­taine dirigés vers le ciel ont attiré la foudre sur lui et son peuple.

[/G. H./]


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