La Presse Anarchiste

Le rêve et la vie

Donc il est ques­tion d’a­bat­tre le despo­tisme prussien, le mil­i­tarisme alle­mand qui fit peser sur le monde durant quar­ante années la men­ace de la « Paix Armée ».
Et voici que de toutes les bouch­es, de toutes les tri­bunes, des plus bass­es aux plus hautes, reten­tis­sent les mêmes cris : « Mort aux tyrans ! Vive la Liberté ! »

À la face du monde, en présence de la ruine uni­verselle, devant le défilé lugubre des veuves et des orphe­lins, à côté du sang qui fume et sous le poids des cris d’ag­o­nie qui mon­tent, des min­istres procla­ment la néces­sité d’en finir pour tou­jours avec la men­ace de l’O­gre, de bris­er l’épée aigu­isée et de noy­er la poudre sèche.

Et les peu­ples applaud­is­sent ; et les peu­ples jurent le ser­ment sacré.

C’est bien.

Mais qu’on y prenne garde.

Si quelque chose pou­vait un jour sur­mon­ter en hor­reur et en dégoût le Crime et sa laborieuse pré­pa­ra­tion ce serait le par­jure de tous ces peu­ples lev­és pour une guerre qui ne sera sainte que si elle est la dernière.

Les mots irrévo­ca­bles, les mots qui enga­gent pour tou­jours ont été prononcés.

… Le mil­i­tarisme prussien était la pierre d’as­sise de la mon­strueuse Paix Armée… Le mil­i­tarisme prussien, cause per­ma­nente des autres mil­i­tarismes, était à lui seul le mil­i­tarisme

Ne dis­cu­tons plus.

Mais, avec toute la pas­sion dont mal­gré notre tristesse présente nous nous sen­tons encore capa­bles, nous attes­terons par ces cris mêmes et par ce ser­ment que, la pierre d’as­sise ôtée, tout s’écroule, tout doit s’écrouler de l’éd­i­fice sanglant.

Il n’est pas un raison­nement qui puisse établir la fatal­ité de résur­rec­tion de la bête au lende­main de son écrase­ment, sous quelque ciel que ce soit.

La race humaine serait à jamais mépris­able et vile si le ser­ment de ceux qui enten­dent l’in­car­n­er dans ce qu’elle a de meilleur devait un jour retomber en crachat sur la fig­ure d’un Caïn. 

[/G. D./]