La Presse Anarchiste

Mouvement social international

[/​Rus­sie/​]

Des évé­ne­ments très impor­tants nous sont signa­lés de Rus­sie, depuis la retraite des armées russes devant les troupes aus­tro-alle­mandes. Un nombre énorme de sol­dats recu­lant devant d’autres légions mili­taires, mais cer­tai­ne­ment moins nom­breuses, ce spec­tacle anor­mal a enfin des­sillé les yeux d’une bonne par­tie de ceux qui ne savaient ou ne vou­laient voir le mons­trueux gas­pillage de forces humaines que consti­tue le régime tzariste.

Une bande de bureau­crates féroces et bor­nés avaient mis la Rus­sie en coupe réglée, acca­pa­rant les bud­gets, rem­pla­çant l’ad­mi­nis­tra­tion de la chose publique par le vol sys­té­ma­tique, écar­tant, empri­son­nant, tuant tout ceux qui trou­vaient à y redire. De sorte qu’en plein ving­tième siècle on en était à cet ana­chro­nisme d’une classe bour­geoise encore en pleine tutelle par une cama­rilla de nobles, de barons, de ducs et de tsars. Ni l’in­dus­trie, ni le com­merce n’a­vaient pu se déve­lop­per, empê­chés par les mille tra­cas­se­ries d’un fonc­tion­na­risme pour­ri jus­qu’à la moelle.

Devant les désastres mili­taires, tous ceux qui ont des inté­rêts à défendre se sont cabrés. Ils ont accu­sé le gou­ver­ne­ment d’in­cu­rie, d’in­ca­pa­ci­té. Et la classe bour­geoise, qui a en main la direc­tion de la main d’œuvre, qui seule peut sau­ver le pays, a déci­dé de se resai­sir et d’exi­ger des garan­ties pour la besogne de défense qu’elle va entre­prendre. Puis­qu’on a besoin de la nation entière pour sau­ver le ter­ri­toire, puisque les fabriques devront enfin être uti­li­sées pour les ravi­taille­ments de toutes espèces, la classe des tech­ni­ciens, des ban­quiers, des gros indus­triels, des com­mer­çants, toute la bour­geoi­sie, en un mot, essaye de réduire à mer­ci les bureau­crates qui l’ont écar­tée et tra­cas­sée. On veut dire son mot dans le gouvernement.

C’est tout sim­ple­ment sa révo­lu­tion que cherche à faire la classe bour­geoise russe.

Le ton des jour­naux a sin­gu­liè­re­ment chan­gé depuis quelques semaines. On adresse des cri­tiques au régime abso­lu­tiste qui n’au­raient jamais pas­sé il y a deux mois encore. La Dou­ma même, la troi­sième Dou­ma qui était cepen­dant une chambre fort timo­rée, loya­liste et réac­tion­naire, a trou­vé une majo­ri­té des trois quarts pour pré­co­ni­ser le pro­gramme suivant :

For­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment com­po­sé de per­son­na­li­tés qui jouissent de la confiance du pays : le renou­vel­le­ment du per­son­nel admi­nis­tra­tif de pro­vince (zem­st­vo) ; une poli­tique qui crée l’u­nion du peuple en sup­pri­mant les divi­sions entre natio­na­li­tés et classes ; la libé­ra­tion et la réin­té­gra­tion dans leurs droits des condam­nés pour rai­sons poli­tiques ou reli­gieuses ; l’é­tude immé­diate de l’au­to­no­mie polo­naise ; la sup­pres­sion de la zone de rési­dence des juifs ; une poli­tique conci­lia­trice envers la Fin­lande ; le réta­blis­se­ment de la presse de la Petite Rus­sie et de la presse ouvrière ; la recons­ti­tu­tion des asso­cia­tions ouvrières ; l’é­ta­blis­se­ment défi­ni­tif de mesures sur la tempérance.

Il y a là de quoi exer­cer l’ac­ti­vi­té des bonnes volon­tés. Et si ce pro­gramme, récla­mé par une classe qui a de gros besoins, est réa­li­sé, nous nous en réjoui­rons fran­che­ment. La démo­cra­tie en Rus­sie, c’est comme la répu­blique en Ita­lie. Ça fait plaisir.

[/M./]

[/​France/​]

Dans les milieux ouvriers que je fré­quente, je ne parle pas de la Bourse du tra­vail, où je me ren­contre encore avec des mili­tants, mais des dif­fé­rents endroits où je me trouve en cours de la jour­née, en com­pa­gnie d’in­di­vi­dus de ma condi­tion ou de condi­tions sen­si­ble­ment égales, on se demande, non sans anxié­té, de quoi sera fait demain.

Ce demain, sera-t-il le recom­men­ce­ment avec ou sans aggra­va­tion, de ce qui exis­tait avant la guerre ou sera-t-il le début d’une ère nou­velle, faite de plus de jus­tice et de plus d’humanité ?

Il va sans dire, celà est indé­niable, qu’on désire davan­tage voir se réa­li­ser la seconde hypo­thèse, mais on n’y compte pas trop : on espère encore quelque chose du socia­lisme, et sous ce vocable est com­pris tout ce que font les révo­lu­tion­naires sans dis­tinc­tion d’é­coles. Seule­ment on ne croît guère à l’ef­fi­ca­ci­té ou à la pra­ti­ca­bi­li­té des moyens proposés.

Nous serions-nous mal pris pour faire notre pro­pa­gande ou aurions-nous à faire à des indi­vi­dus un peu trop hési­tants ? Il y a sans doute des deux. Ren­dons-nous donc plus clairs et plus per­sua­sifs et employons-nous tou­jours à vaincre les hésitations.

[/​F. L./]

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