La Presse Anarchiste

La fin d’une chimère

À l’heure où les syn­di­ca­listes fédé­ra­listes semblent vou­loir sor­tir de l’en­li­se­ment auto­no­miste, il est peut-être utile d’exa­mi­ner ce que furent tes efforts faits pour la réa­li­sa­tion de l’U­ni­té, leur sin­cé­ri­té, les résul­tats obtenus.

Cet exa­men nous dira si un espoir est encore per­mis et si, en dehors de l’U­ni­té, il n’y a plus rien à faire.

Après la scis­sion, chaque C.G.T. crut avoir faci­le­ment rai­son de l’autre : La vieille C.G.T. tablait sur les divi­sions qui devaient se pro­duire dans l’or­ga­ni­sa­tion. nou­velle. La C.G.T.U pen­sait. que le lourd pas­sé des chefs confé­dé­raux et l’ac­tion col­la­bo­ra­trice de vieille C.G.T. dégoû­te­raient les, masses. De part et d’autre, on com­mit une erreur : la vieille C.G.T. reprit du poil de la bête, la C.G.‘T.U. s’or­ga­ni­sa et s’affirma.

Cepen­dant, les échecs répé­tés des reven­di­ca­tions ouvrières firent naître dans la masse un vague désir d’u­nion. On par­la d’U­ni­té, de fusion.

Des solu­tions sim­plistes furent envi­sa­gées. Puisque la, scis­sion créait la fai­blesse, la fusion devait inévi­ta­ble­ment créer la force : comme tou­jours on pas­sait à côté du problème.

Au lieu de s’at­ta­cher à la recherche des causes de divi­sion et à l’é­li­mi­na­tion de ces causes, on cher­cha des moda­li­tés, des sys­tèmes de fusion.

Les formules d’unité

La motion de Saint-Orner, qui connut des heures de for­tune, pré­co­ni­sait la tenue d’un congrès inter-confé­dé­ral d’où devait sor­tir une C..G.T. unique sou­mise à la loi de la majorité.

Une for­mu­lé aus­si simple devait sou­rire à la déma­go­gie de la C.G.T.U. ; elle ser­vit de base à sa thèse (

Cepen­dant, la C.G.T.U. pre­nait peu à peu sa véri­table figure et la mai­son devint inha­bi­table pour les fédéralistes.

De nom­breux syn­di­cats allèrent à l’au­to­no­mie, une confé­rence eut lieu et l’U.F.S.A. Naquit.

La confé­rence pen­sait que l’au­to­no­mie pure et simple ne pou­vait être que néfaste au mou­ve­ment syn­di­ca­liste et que, par consé­quent,. il était néces­saire d’é­ta­blir un lien. entre les syn­di­cats autonomes.

Un double but fut assi­gné à l’or­ga­nisme nou­veau : la liai­son entre les syn­di­cats auto­nomes ; la réa­li­sa­tion. de l’Unité.

Autant que l’on puisse juger du tra­vail de deux courtes années, ou peut affir­mer que l’U.F.S.A. fit le maxi­mum. d’ef­forts, com­pa­tibles avec les moyens res­treints dont elle dis­po­sait, pour atteindre ces buts.

Elle éclair­cit d’a­bord la ques­tion de l’U­ni­té et la pla­ça sur son véri­table ter­rain. Elle décla­ra hau­te­ment que les prin­cipes étaient au-des­sus des majorités.

Au lieu de s’at­ta­cher à une for­mule de fusion, elle défi­nit net­te­ment les causes de scis­sion et indi­qua les remèdes possibles.

Dans une décla­ra­tion qui fut lue aux deux congrès confé­dé­raux, elle fit une ana­lyse, ser­rée, logique, irré­fu­table de la charte du syn­di­ca­lisme et démon­tra, d’une façon abso­lu­ment pro­bante, que cette charte consti­tuait la seule solu­tion pos­sible d’Unité.

Tentatives

L’U.F.S.A. ne s’en tint pas à cette décla­ra­tion, à cette argu­men­ta­tion qui — il faut que cela soit dit — ne put être réfu­tée par personne.

Elle pas­sa aux actes. À l’heure où la situa­tion était par­ti­cu­liè­re­ment trouble, elle lan­ça un suprême appel à la paix et à l’U­ni­té d’ac­tion entre les dif­fé­rentes frac­tions du mou­ve­ment ouvrier : Ce docu­ment, ain­si que la décla­ra­tion aux deux congrès, devait être entre les mains de tous les syn­di­ca­listes. Ils démontrent que les syn­di­ca­listes ont fait tout ce qu’il était humai­ne­ment pos­sible de faire pour arri­ver à un accord.

une confé­rence inter­con­fé­dé­rale dite d’Uni­té se tint après les deux congrès : des uni­taires, des auto­nomes, des confé­dé­rés y furent présents.

Sans peine, les auto­nomes démon­trèrent l’i­na­ni­té, le vide des thèses confé­dé­rales : fai­sant taire de légi­times répu­gnances, ils firent la preuve qu’ils étaient dis­po­sés à l’union.

Devant l’ar­gu­men­ta­tion syn­di­ca­liste, la C.G.T.U. et les syn­di­cats confé­dé­rés furent for­cés d’ad­mettre qu’il y avait des condi­tions à la réa­li­sa­tion de l’U­ni­té, mais, par la voix de Mon­mous­seau, la C.G.T.U. décla­ra impli­ci­te­ment ne pas vou­loir s’y sou­mettre puis­qu’en effet le secré­taire confé­dé­ral affir­mait que la C.G.T.U. était irré­duc­ti­ble­ment adver­saire de la Chartes d’Amiens.

Cepen­dant, une motion fut votée.

Cette motion condam­nait la créa­tion d’or­ga­nismes paral­lèles à ceux déjà existants.

Une autre motion, votée par accla­ma­tion, décla­rait que la cam­pagne de calom­nies et d’in­jures qui avait fait tant de mal au mou­ve­ment ouvrier devait cesser.

Quel fut le sort de ces deux motions ?

La C.G.T.U. Ne res­pec­ta pas ce que son congrès avait adop­té à l’unanimité.

Le len­de­main, elle créait des syn­di­cats et des unions à côté des syn­di­cats et unions auto­nomes ou confé­dé­rés ; le len­de­main, des articles inqua­li­fiables traî­naient dans la boue nos cama­rades du Bâti­ment et la cam­pagne contre ta C.G.T. repre­nait de plus belle.

Que fai­sait la vieille C.G.T. de son côté ? Elle pour­sui­vait inlas­sa­ble­ment son « tra­vail » de col­la­bo­ra­tion, elle se fai­sait la com­plice de tous les poli­ti­ciens qui pas­saient au pouvoir.

Au moment où la menace fas­ciste se fit plus pres­sante, l’U.F.S.A. lan­ça un vibrant appel aux deux C.G.T. pour qu’elles réa­lisent l’U­ni­té d’ac­tion dans un comi­té cen­tral de grève générale.

Mises ain­si au pied du mur, les deux C.G.T. gar­dèrent le silence et un second appel n’eut pas plus de suc­cès que le premier.

Impossibilité de l’unité

L’U­nion Fédé­ra­tive n’a donc pas, mal­gré tous ses efforts, atteint le but d’U­ni­té assi­gné par ses conférences.

Pour­tant son action a‑t-elle été sté­rile ? Non, car en for­çant les deux C.G.T. à jeter le masque, elle a fait la preuve for­melle de l’im­pos­si­bi­li­té de l’u­ni­té et for­cé le mou­ve­ment fédé­ra­liste à cher­cher une autre voie.

Il est, en effet, main­te­nant impos­sible à un esprit impar­tial de sou­te­nir qu’il existe encore des chances d’Unité.

Et pour ne rien lais­ser dans l’ombre, sup­po­sons que la fusion. se réa­lise et exa­mi­nons briè­ve­ment ce que serait l’or­ga­nisme ain­si recréé et quelles seraient ses pos­si­bi­li­tés d’action.

On peut affir­mer sans crainte, en rai­son de l’é­tat actuel de nos forces et leur épar­pille­ment, que cet orga­nisme ne serait pas fédéraliste.

Que serait-il, au juste, en dehors de cela ? Une cohue ouvrière, que les par­tis se dis­pu­te­raient avec des chances diverses. Une vaste pétau­dière où on ne s’oc­cu­pe­rait exclu­si­ve­ment que de la conquête de la direction.

L’U­ni­té (

Nous savons ce que vaut la pro­messe de sou­mis­sion à la loi de la majo­ri­té et nous connais­sons les hommes qui nous font ces pro­messes ; donc, si elle était pos­sible, la créa­tion d’une C.G.T. unique dans les cir­cons­tances actuelles n’ap­por­te­rait avec elle que dis­putes sté­riles et dégoûts, pré­ludes de nou­velles scissions.

Autre thèse

Cette fin lamen­table de l’illu­sion uni­taire doit nous inci­ter à réflé­chir, mais, avant de déter­mi­ner en toute logique la posi­tion que nous devons prendre, il nous faut exa­mi­ner rapi­de­ment la solu­tion qui pré­co­nise la ren­trée à la vieille C.G.T.

Les cama­rades qui sou­tiennent cette thèse disent que la coha­bi­ta­tion est pos­sible avec les réfor­mistes et ils espèrent, grâce à cette faci­li­té de coha­bi­ta­tion, rame­ner le vieil orga­nisme dans sa ligne pri­mi­tive, ou, pour dire le mot tout cru : en faire la conquête. 

Remar­quons tout de suite, avant de voir si cela est pos­sible, qu’ils veulent essayer de faire ce qu’ils ont tant repro­ché aux communistes.

Peut-être pas avec les mêmes méthodes (quoique on ne puisse savoir, la pas­sion aidant, où une action de ce genre peut mener) mais, enfin, le but est le même : s’in­tro­duire dans un orga­nisme, y créer la divi­sion et, à la faveur de cette divi­sion, le conquérir.

Ceci posé, est-il pos­sible de faire la conquête de la C.G.T. ou, ce qui revient au même, de sa direction ?

Pour rap­pe­ler un mot de Lozows­ky au congrès de la C.G.T.U., disons que les diri­geants confé­dé­raux ont su éle­ver autour de leurs fau­teuils un mur chi­nois (les diri­geants uni­taires aus­si, soit dit en passant).

Sommes-nous capables de ren­ver­ser cette muraille de Chine ?

Si on le croyait, ce serait se réser­ver de cruelles dés­illu­sions. Les diri­geants confé­dé­raux tiennent trop de fonc­tion­naires syn­di­caux dans leur main ; ils ont ren­du trop de ser­vices per­son­nels à ces fonc­tion­naires pour qu’on puisse comp­ter sur l’aide ou même la neu­tra­li­té de ceux-ci.

Alors ? Ren­ver­ser la situa­tion avec l’aide de la masse des syn­di­qués ? Mais de quel cré­dit joui­rons-nous auprès de cette masse ?

Nous ren­tre­rions à la C.G.T. en vain­cus et la masse n’aime pas les vain­cus. À chaque fois que nous ouvri­rions la bouche, on crie­rait à la manœuvre, et le peu d’in­fluence que nous pen­sons avoir dis­pa­raî­trait au pre­mier contact.

Une ten­ta­tive de ce genre est vouée à un échec com­plet. La thèse de la ren­trée à la C.G.T. pour en faire la conquête res­semble furieu­se­ment à la thèse de la conquête de l’ar­mée ; pas plus l’une que l’autre n’est accep­table, parce que nous savons que c’est nous qui serions ou conquis ou détruits. Georges Dumou­lin est allé, lui aus­si, à la C.G.T. pour la redres­ser. Il y est res­té ; aujourd’­hui, il est au B.I.T. de Genève.

Il y a plu­tôt, sous l’é­cha­fau­dage d’ar­gu­ments que pré­sentent les par­ti­sans de la ren­trée à la vieille C.G.T., une ques­tion de pré­fé­rences per­son­nelles qu’une foi en la réus­site de cette opération.

La seule solution possible

Nous voi­ci donc pla­cés devant la faillite de l’U­ni­té et devant l’im­pos­si­bi­li­té de rame­ner les deux C.G.T. dans le droit che­min. Syndicaliste.

Il y a, par consé­quent, néces­si­té de prendre une décision.

Deux alter­na­tives s’offrent à nous. Ces alter­na­tives sont d’une sim­pli­ci­té ter­rible : ou vivre, ou mourir.

Ou faire ce qu’il faut pour vivre et pros­pé­rer ou confes­ser, fran­che­ment, que nous avons fait erreur et deman­der le par­don de nos fautes au mou­ve­ment ouvrier ; en un mot, ou nous affir­mer, ou nous faire oublier.

Quelles seraient les consé­quences de notre disparition ?

L’ou­bli, pour un temps plus ou moins long, des doc­trines syn­di­ca­listes fédé­ra­listes. La consé­cra­tion défi­ni­tive de l’é­tat de scis­sion. La pos­si­bi­li­té pour le fas­cisme d’af­fir­mer avec suc­cès que lui seul est capable d’ap­por­ter des solu­tions satis­fai­santes à la situa­tion pré­sente et future.

Quelles seraient les consé­quences de notre affir­ma­tion, de notre volon­té de vivre en nous organisant ?

Il res­te­rait tout d’a­bord dans ce pays une pha­lange orga­ni­sée de défen­seurs de notre doctrine.

Il y aurait, devant la faillite plus ou moins proche mais iné­luc­table des par­tis et de leurs C.G.T., une orga­ni­sa­tion syn­di­cale qui pour­rait lut­ter contre la réac­tion fas­ciste et qui, en tous cas, ne lais­se­rait pas mou­rir l’es­prit révolutionnaire.

Si notre doc­trine vaut pour nous, nous devons mettre tout en œuvre pour la faire triom­pher ; on sent bien que ce n’est pas chez ceux qui ont une doc­trine adverse que nous pour­rons rem­plir cette tâche.

N’ou­blions pas que les deux C.G.T. ne groupent qu’une mino­ri­té bien petite de tra­vailleurs et que, cepen­dant, chaque ouvrier a été tou­ché, peu ou prou, par leur pro­pa­gande. C’est cepen­dant dans cette masse inor­ga­ni­sée qu’il faut faire entrer notre idéal et non pas dans des orga­ni­sa­tions qui ne veulent pas avoir de contact avec nous.

Ne rêvons pas de conquête bru­tale ou habile. Soyons des bâtis­seurs Nous n’a­vons que faire de la mai­son des autres ; ils ont les doc­trines et les orga­ni­sa­tions qui leur sont propres. Qu’ils les gardent, mais ayons les nôtres.

Quoi ! Nous par­le­rions de trans­for­mer la socié­té, de créer un état de choses nou­veau et nous n’au­rions pas le cou­rage — nous dont le but est de remuer tout un monde — de faire notre propre mai­son ? Quelle incon­sé­quence ! Et comme on serait en droit de nous dire, lorsque nous par­lons de bâtir la cité future : « Mais vous n’êtes pas seule­ment capables de vous organiser ! »

Il ne s’a­git pas ici d’un « tra­vail de labo­ra­toire » mais bien d’une œuvre vaste et féconde, digne de notre idéal.

Notre tâche n’est pas de réa­li­ser. une Uni­té impos­sible avec des gens qui ont des concep­tions en oppo­si­tion avec les nôtres ; elle est plus gran­diose. Elle consiste à don­ner au Syn­di­ca­lisme fédé­ra­liste l’or­ga­ni­sa­tion et la force néces­saires pour l’ac­com­plis­se­ment de son rôle his­to­rique et social.

[/​L. Huart/​]

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