Le Congrès de la paix vient de prendre fin. Les 5.000 délégués, représentant 30 nations, ont-ils lu l’admirable, lettre que leur adresse notre vieil ami Sébastien Faure ? On l’ignore. En tout cas, ils n’ont pas pris les engagements d’honneur auxquels il leur demandait de souscrire, avant de quitter Bierville. Toutefois, ils ont pris d’autres engagements qu’il est bon d’examiner.
Voici, en effet, ci-dessous, la plus importante motion proposée par la commission morale et adoptée par le Congrès :
« Congrès refuse à l’État le droit de porter atteinte aux préceptes de la morale universelle et à la dignité, de la conscience individuelle. En conséquence :
« 1o Il affirme que les États doivent limiter leur souveraineté à propos des autorités internationales : et déclare que si un État s’engage dans une guerre, au mépris des garanties juridiques assurées par ces autorités, tout citoyen de cet État a le droit et le devoir de refuser de porter les armes ;
« 2o Il affirme que le scrupule de conscience opposé par certains hommes à l’obligation du service militaire rend nécessaire la recherche immédiate des moyens qui permettront de ne plus fonder la sécurité des peuples sur la conscription ;
« Et déclare que, en attendant la suppression générale du service militaire obligatoire, il est désirable que les États où il existe prévoient, pour les partisans de l’objection de conscience, un service civil pouvant dépasser en durée, en fatigue et en périls, le service militaire. »
Que signifie exactement cette motion, qui peut parfaitement passer aux yeux des gens qui n’approfondissent pas les choses pour un document de premier ordre contre la guerre ?
Tout d’abord, le préambule :
« Le Congrès refuse à l’État le droit de porter atteinte aux préceptes de la morale universelle et à la dignité de la conscience individuelle. »
Qu’est-ce que veut dire ce charabia pompeux ?
Ne conviendrait-il pas, si on veut qu’on comprenne, qu’on nous définisse avec quelque clarté ce que sont, suivant ces messieurs, « la morale universelle » et « la dignité de la conscience individuelle ».
On s’en garde bien. Et comme ceci constitue la base de la motion, on peut se rendre compte aisément de ce que vaut le reste.
Essayons, pourtant, de nous y reconnaître. Voyons le premier point :
« Il affirme (le Congrès) que les États doivent limiter leur souveraineté à propos des autorités internationales ; et déclare que si l’État s’engage dans la guerre, au mépris des garanties juridiques assurées par ces autorités, tout citoyen a le droit et le devoir de se refuser de porter les armes. »
Là encore, le premier membre de cette phrase est totalement incompréhensible. Ce serait à croire que ce congrès de lettrés s’est évertué à trouver des rébus pour les profanes.
Le deuxième membre a un sens, lui. On peut même dire que ce droit et ce devoir de refuser de porter les armes peuvent impressionner, à première vue. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ceci : c’est que les citoyens d’un État qui aura substitué la force au droit doivent refuser de participer à la tuerie, ne pas répondre à l’ordre de mobilisation.
Très bien, en apparence, mais au fond, pratiquement, que vaut ce bon conseil ?
Nos congressistes de Bierville n’ont oublié qu’une chose : c’est que le gouvernement qui déclare la guerre commence toujours par placer le droit de son côté. C’est, aussi, toujours lui l’attaqué. Et sa presse répand cette thèse, chaque matin, à millions d’exemplaires. Comme c’est elle qui fait l’opinion et que tous les citoyens ne savent rien d’autre que ce qu’elle leur apprend, ils croient tous, dur comme fer, que leur pays est assailli, que son droit est violé et répondent à l’appel de leur gouvernement Et comme dans tous les pays c’est la même chose, chacun marche et les hommes s’entretuent, pour assurer la suprématie du clan financier qui manœuvre le gouvernement qui les appelle aux armes.
Messieurs les Congressistes de Bierville, c’est l’histoire de toutes les déclarations de guerre. Celle de la grande guerre de 1914 – 1918, si près de nous, aurait dû vous engager à trouver un texte plus précis, plus net, si vraiment vous concevez que le droit doit primer la force. Mais est-ce bien certain, M. Painlevé, que vous soyez de cet avis ? Le Maroc, la Syrie toujours dévastés, sont, pour vous, des cautions bien insuffisante.
Passons au deuxième point :
« Il affirme (le Congrès) que le scrupule de conscience opposé par certains hommes à l’obligation du service militaire rend nécessaire la recherche immédiate des moyens qui permettent de ne plus fonder la sécurité des peuples sur la conscription ;
« Et déclare que, en attendant la suppression générale du service militaire obligatoire, il est désirable que les États où il existe prévoient, pour les partisans de l’objection de conscience, un service civil pouvant dépasser en durée, en fatigue et en périls le service militaire. »
Cela veut dire, en raccourci, qu’il est souhaitable de faire disparaître le service militaire, et, en attendant, de lui substituer un service civil pour ceux qui se refusent, par scrupule moral, aux conséquences de la conscription.
En apparence, cela parait très pacifiste ; mais, hélas ! là aussi, il n’y a que l’apparence. Encore une fois, il faut aller au fond. En dehors de la condamnation sans appel que nous prononçons contre la servitude militaire, nous ajoutons ceci :
En vertu de ce vieil adage : Si tu veux la paix, prépare la guerre, qui reste bien celui de tous les gouvernants — et peut-être aussi celui des pseudo-pacifistes de Bierville — tout soldat est exercé pour faire la guerre. Les adeptes du service militaire peuvent trouver cela naturel. C’est normal.
En ce, qui concerne les « objections de conscience », ils peuvent se tenir pour satisfaits de n’être point appelés à mener des engins de meurtre, pour leur instruction d’abord, pour tuer réellement d’autres hommes plus tard. C’est encore normal. Leur sensibilité est ainsi à l’abri et leur conscience sera en paix.
Est-ce bien sûr cependant ?
Nous ne le pensons. Si nous condamnons le service militaire et sa conséquence : la guerre, nous pensons, contrairement aux « objecteurs de conscience », qu’en temps de conflit armé, il ne peut y avoir de service vraiment civil, ne concourant ni directement, ni indirectement à la guerre, à son entretien, à son maintien, à sa durée.
Pour nous, lorsqu’une conflagration éclate, toutes les forces des pays en guerre sont mises au service de celle-ci. Si le soldat, le fabricant de munitions et de matériel y participent directement — à des degrés différents, le cordonnier, le tailleur, le laboureur, l’employé, le comptable, l’ouvrier — qui chaussent, habillent, nourrissent, ou travaillent pour l’Armée — et la population civile qui soutient, l’effort à l’arrière, œuvrent indirectement pour la guerre. L’infirmier, le brancardier qui soignent les blessés pour les renvoyer au front, concourent, plus que ceux de l’avant peut-être, à la continuation de la guerre.
Pourrait-on nous dire, après cette énumération, où y a‑t-il place pour les « objecteurs de conscience » en temps de guerre, en admettant que leur pays ait pour lui le droit ? Nulle part, à notre avis. Et il n’y a pas de milieu, on est pour ou contre la guerre. En dehors de cela, il n’y a rien. On ne peut, non plus, être contre la guerre que d’une seule façon : En s’emparant des moyens qui permettent au capitalisme de faire la guerre, en tournant ces moyens vers la paix par la révolution sociale, par la prise des instruments de production et d’échange, appuyée par l’insurrection armée.
C’est cela que les congressistes de Bierville auraient dû déclarer, s’ils avaient été des pacifistes, des vrais.
Hélas ! ce ne sont que des pacifistes du temps de paix, qui aspirent à devenir des héros de l’arrière ou de l’avant plutôt l’arrière que de l’avant — si la guerre, une fois de plus — et c’est presque certain — dévastait le monde à brève échéance.
Congrès de Bierville, Conférences de Locarno, Tribunal de la Haye, autant de duperies, de foutaises à rejeter. Prolétaires, mes amis, ne comptez pas sur ces gens-là pour que la paix règne sur la terre, Ce sera votre œuvre, mais non la leur.