La Presse Anarchiste

Le Mouvement Syndicaliste Autonome

Met­tant en appli­ca­tion la déci­sion du Comi­té Natio­nal du 27 juin 1926, le Bureau Exé­cu­tif avait dési­gné l’un des secré­taires, le cama­rade Bes­nard, pour visi­ter nos cama­rades du Midi et du Rhône.

C’est ain­si que furent orga­ni­sées les réunions de Tou­lon le 5 août, Saint-Hen­ri le 6, Mar­seille le 8, et Lyon, le 9.

Disons tout de suite que les résul­tats obte­nus ont dépas­sé nos espoirs. Que de mal­en­ten­dus ont été réglés ! Que de situa­tions, en appa­rence com­pli­quées et inso­lubles, ont été mises au clair et solutionnées.

Une fois de plus, il est prou­vé qu’on ne peut se com­prendre que de vive-voix et les résul­tats de cette tour­née attestent que nous avons eu tort d’at­tendre si long­temps. Mais pou­vions-nous faire autre­ment, avant que ne se mani­feste clai­re­ment le désir de regrou­pe­ment et de redres­se­ment que nous enre­gis­trons avec tant de plai­sir aujourd’hui ?

Pour tous nos, amis, qui suivent avec sym­pa­thie tou­jours, avec quelque inquié­tude par­fois nos efforts, nous don­nons aujourd’­hui, un compte-ren­du de cette tournée.

Nous espé­rons qu’ils y trou­ve­ront un récon­for­tant aux dures luttes qu’ils mènent et, aus­si, un pré­cieux encou­ra­ge­ment à conti­nuer dans la voie dif­fi­cile que nous sui­vons en com­mun pour le triomphe de la même et grande cause : la réno­va­tion du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire français.

Et, main­te­nant, pas­sons aux détails :

Toulon

Dans cette vieille ville, où le syn­di­ca­lisme pos­sède encore de pro­fondes racines, c’est nos amis Demon­sais, des Tra­vailleurs muni­ci­paux, aidé par notre cama­rade Hugo­ny, des Bou­lan­gers, qui ont orga­ni­sé la réunion, à laquelle étaient conviés, non seule­ment les syn­di­qués auto­nomes, mais encore les nom­breux sym­pa­thi­sants appar­te­nant aux diverses cor­po­ra­tions. Nos cama­rades des Tra­vailleurs muni­ci­paux sont venus nom­breux ; les bou­lan­gers, rete­nus par le tra­vail, étaient, néan­moins, très repré­sen­tés ; les Tra­vailleurs de l’ar­se­nal — où nous comp­tons de bonnes et anciennes sym­pa­thies — étaient là éga­le­ment ; les com­mu­nistes, aus­si, sont là, « offi­cieu­se­ment ». Je dis « offi­cieu­se­ment », parce que les lea­ders offi­ciels n’ont pas osé mon­trer le bout du nez et que, fait que j’ai sou­vent consta­té, c’est un exclu du Par­ti des masses qui est venu, avec cha­leur d’ailleurs, défendre le point de vue ortho­doxe, contre lequel il s’é­le­vait, il y a peu de temps encore, au sein de son Parti.

C’est un para­doxe, mais on a consta­té sou­vent pareille chose. Ce serait à croire que ces pauvres exclus cherchent une réha­bi­li­ta­tion qu’ils savent pour­tant impos­sible. Viors, à Tou­lon, n’é­chap­pa ni à la règle, ni à l’échec.

Le délé­gué de l’U.F.S.A. expo­sa devant cet audi­toire diver­se­ment com­po­sé les grands pro­blèmes actuels, en consa­crant la plus large place à la ques­tion finan­cière, à la sta­bi­li­sa­tion moné­taire, qui est la pré­oc­cu­pa­tion domi­nante — et pour long­temps — non seule­ment des gou­ver­nants, mais encore de tous les par­tis, de tous les grou­pe­ments ouvriers.

Avec pré­ci­sion, détails, et preuves, il expo­sa le vrai carac­tère de ce pro­blème dont tous les autres dépendent.

La com­bi­nai­son machia­vé­lique de la finance inter­na­tio­nale, déjà expo­sée en détail dans le numé­ro 1 de « La Voix du Tra­vail », fut indi­quée aux ouvriers tou­lon­nais, qui com­prirent par­fai­te­ment où nous menait la poli­tique des grandes banques anglo-amé­ri­caines, dont le fas­cisme consti­tue la doc­trine de gouvernement.

De là à exa­mi­ner quelles étaient les forces qui, sur les ter­rains divers, s’op­po­saient aux entre­prises des puis­sances d’argent et des gou­ver­ne­ments asser­vis, il n’y avait qu’un pas.

Et c’est ain­si que,furent pas­sées en revue la situa­tion syn­di­cale, l’ac­tion des deux C.G.T. : action démo­cra­tique pour la C.G.T. et action dic­ta­to­riale et poli­tique pour la C.G.T.U.

Après avoir fixé les esprits sur les ten­ta­tives d’u­ni­té orga­nique, et d’u­ni­té, d’ac­tion effec­tuées au cours des années 1925 – 26, le délé­gué, de l’U.F.S.A. démon­tra que l’u­ni­té, en rai­son de l’op­po­si­tion fon­da­men­tale des doc­trines des trois ten­dances du mou­ve­ment ouvrier fran­çais, était, aujourd’­hui, deve­nue impossible.

Il expo­sa les rai­sons puis­santes qui mili­taient en faveur de l’u­ni­té du mou­ve­ment syn­di­ca­liste révolutionnaire.

La 3e C. G. T., décla­ra-t-il, a été engen­drée par la C.G.T. et la C.G.T.U. qui, toutes deux, ont oublié le pro­gramme du syn­di­ca­lisme et sa charte constitutive.

Il fit com­prendre à l’au­di­toire que c’est seule­ment par le grou­pe­ment des tra­vailleurs sur leur plan de classe, dans les syn­di­cats auto­nomes et indé­pen­dants, que la classe ouvrière pour­ra réno­ver le syn­di­ca­lisme et mar­cher vers son affranchissement.

Le cama­rade Viors (de l’ar­se­nal), com­mu­niste exclu déjà cité, s’es­saya à une contra­dic­tion dif­fi­cile. Il invi­ta les cama­rades à pra­ti­quer l’u­nion sacrée syn­di­cale et vitu­pé­ra contre les fau­teurs de scis­sion, sans sou­ci pour le rôle joué par la C.G.T.U.

Rude­ment mis en place, il n’in­sis­ta pas davan­tage et ain­si se ter­mi­na cette réunion qui aurait pu être plus nom­breuse si le « Petit Pro­ven­cal » n’a­vait, comme par hasard, sabo­té le com­mu­ni­qué de nos cama­rades tou­lon­nais, en ce qui concerne la date et le lieu du meeting.

En résu­mé, à Tou­lon, nos idées gagnent beau­coup de terrain.

Grâce au dévoi­le­ment de Demon­sais et de Hugo­ny, dont les espoirs sont grands, nous ferons bien­tôt très bonne figure dans la région.

Saint-Henri

De Tou­lon, le délé­gué de l’U.F.S.A.. se ren­dit à Saint-Hen­ri, accom­pa­gné par le cama­rade Demon­sais et l’a­mi Casa­no­va pris au pas­sage à Mar­seille. Sains-Hen­ri est une grosse cité ouvrière qui fait par­tie de l’ag­glo­mé­ra­tion mar­seillaise — on ne sait pour­quoi d’ailleurs, puis­qu’elle en est dis­tante de 12 kilomètres.

C’est un centre ouvrier impor­tant et actif, dont les tui­liers consti­tuent l’élé­ment dominant.

À Saint-Hen­ri, les copains savent ce que repré­sente, et d’une façon pré­cise, le syndicat.

Les longues grèves qu’ils sou­tinrent, les dures batailles de chaque jour, leur ont appris ce que sont aus­si la soli­da­ri­té et la fra­ter­ni­té ouvrière. Nulle part mieux qu’à Saint-Hen­ri, les ouvriers étran­gers ne sont accueillis en frères ; nulle part, aus­si, ils ne par­ti­cipent avec autant de cœur et de cou­rage à l’ac­tion du syn­di­cat, aux luttes quotidiennes.

Saint-Hen­ri est un bien bel exemple de réa­li­sa­tion du syn­di­ca­lisme international.

Expo­ser devant un audi­toire de 350 à 400 cama­rades : fran­çais, espa­gnols, ita­liens, por­tu­gais, les grands pro­blèmes du moment déjà pré­sen­tés à Tou­lon fut un plai­sir véritable.

Pour­quoi le dis­si­mu­ler ? Le délé­gué de 1’U.F.S.A. n’ar­ri­vait pas à Saint-Hen­ri sans appré­hen­sion. Saint-Hen­ri bou­dait un peu l’U.F.S.A. depuis quelques mois. Saint-Hen­ri était repré­sen­té comme la cita­delle du corporatisme.

À la véri­té, les cama­rades de Saint-Hen­ri sont tout autres, mais il fal­lait les voir, par­ler avec eux, leur dire fran­che­ment les choses.

Et ce fut fait suc­ces­si­ve­ment par Demon­sais et Besnard.

Avec quelle atten­tion nos cama­rades furent écou­tés ! Avec quel enthou­siasme la salle leur mon­tra qu’elle les avait compris.

À Saint-Hen­ri, la 3e C.G.T. a désor­mais des racines pro­fondes. On ne les arra­che­ra pas faci­le­ment. Avec des hommes comme Gai­chel, Signo­ret, Tur­j­mann, tant d’autres dont j’ai oublié le nom, à leur tête, les tui­liers se tien­dront dans la bonne voie.

Bien récon­for­tante fut aus­si la conver­sa­tion avec nos amis déjà cités et quelques autres.

Ce n’est pas seule­ment à Saint-Hen­ri que ces cama­rades ont pro­mis d’a­gir, de tra­vailler, mais dans toute la région, d’ac­cord avec nos amis marseillais. 

Dans cette région, nous aurons bien­tôt des forces impor­tantes et actives qui ne bou­de­ront pas à l’ouvrage.

Des liai­sons indus­trielles avec d’autres centres s’y ébauchent déjà ; elles seront fécondes.

Saint-Hen­ri sera au Congrès consti­tu­tif de la 3e C.G.T. où il a com­pris que sa place était marquée.

Marseille

L’an­tique cité pho­céenne a déjà connu bien des luttes, bien des déchirements.

Elle panse ses plaies, et d’un cœur solide nos cama­rades auto­nomes s’ap­prêtent à sur­mon­ter les ultimes difficultés.

Nos amis Des­mou­tiers et sa dévouée com­pagne, Ortu­si, Casa­no­va, se sont pro­di­gués. Jamais rebu­tés, mal­gré les dif­fi­cul­tés ils ont édi­fié une œuvre qui sera, sous peu, solide. Le suc­cès sera leur récom­pense. Et puis, il y a là des vieux mili­tants, les Rou­baud, les Mon­tagne, qui lut­tèrent pen­dant tant d’an­nées, qui par­ti­ci­pèrent à toute l’ac­tion de la C.G.T. d’au­tre­fois, qui repren­dront eux aus­si le collier.

Les efforts qui vont, désor­mais, se conju­guer, doivent sur­mon­ter toutes les difficultés.

À Mar­seille, j’en suis sûr main­te­nant, la réno­va­tion du syn­di­ca­lisme s’ac­com­pli­ra et rapidement.

Mar­seille sera, lui aus­si, lar­ge­ment repré­sen­té au Congrès de la 3e C.G.T. Et il y a sa place.

Et les copains d’Au­bagne, de la Blan­carde, etc., les accom­pa­gne­ront, eux aus­si. Mar­quons comme il convient le réveil de la région mar­seillaise. C’est de bon augure.

Le mee­ting du dimanche, mal annon­cé, lui aus­si, par le Petit Pro­ven­çal — coïn­ci­dence sans doute — fut néan­moins réus­si. En dehors des syn­di­qués auto­nomes, il y avait là de nom­breux adhé­rents de la C.G.T. et de la C.G.T.U., dont cer­tains sont des sym­pa­thi­sants pour nos idées.

Les lea­ders com­mu­nistes sont absents. Ils se sont conten­tés d’en­voyer leurs agents. C’est moins dan­ge­reux qu’une contra­dic­tion qui risque de tour­ner à la confu­sion de ses auteurs. 

Comme à Tou­lon et à Saint-Hen­ri, le secré­taire adjoint de l’U.F.S.A. expo­sa en entier les pro­blèmes : finan­cier, poli­tique, social, syndical.

À nou­veau il reprit tous les argu­ments qui militent, après les échecs répé­tés des ten­ta­tives d’u­ni­té orga­nique et d’ac­tion, en faveur de la consti­tu­tion d’une 3e C.G.T., révo­lu­tion­naire, syn­di­ca­liste, fédé­ra­liste, dont il défi­nit le rôle, les carac­té­ris­tiques et l’action.

Il n’est pas dou­teux que cet expo­sé tou­cha for­te­ment l’au­di­toire et les 350 cama­rades pré­sents mani­fes­tèrent à maintes reprises qu’ils avaient com­pris l’ar­gu­men­ta­tion de l’orateur.

De longues et inté­res­santes conver­sa­tions se pour­sui­virent toute la jour­née avec tous les cama­rades qui œuvrent à Mar­seille, pour le triomphe du vrai syndicalisme.

Elles por­te­ront leur fruit et nous avons main­te­nant la cer­ti­tude qu’à Mar­seille le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire renaî­tra à la vie. N’est-ce pas, les amis, que vous le vou­lez aussi ?

À bien­tôt, donc, le solide grou­pe­ment de tous les syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires dont vous serez, nous en sommes convaincus.

Lyon

À Lyon se ter­mi­nait la tour­née du délé­gué de l’U.F.S.A.

Cha­cun sait, dans la classe ouvrière, ce que repré­sente pour nous cette for­te­resse syn­di­ca­liste que les com­mu­nistes ont pu atta­quer sans jamais la conquérir.

Lyon, c’est la ville tra­di­tion­nelle de la lutte des classes, c’est autant, sinon plus que Paris, le ber­ceau des batailles de classes, des élé­ments révo­lu­tion­naires. Et cette magni­fique tra­di­tion ne se dément pas. À Lyon, on sait exi­ger, en dépit des dif­fi­cul­tés de la lutte pré­sente, des salaires conve­nables. On sait aus­si, ce qui est rare actuel­le­ment, faire res­pec­ter la jour­née de 8 heures. À Lyon, plus qu’ailleurs peut-être, on a com­pris la faillite des poli­ti­ciens de par­ti, et la tra­hi­son du maire de cette grande cité vient d’ou­vrir défi­ni­ti­ve­ment les yeux des ouvriers.

À Lyon, comme par­tout, on a pour­tant hési­té à accep­ter les mesures qui peuvent, seules, per­mettre au syn­di­ca­lisme de retrou­ver force et san­té, vigueur et indépendance.

Aujourd’­hui, l’hé­si­ta­tion est vain­cue. Les cama­rades mili­tants, si nom­breux à Lyon, ont com­pris qu’il fal­lait, cou­ra­geu­se­ment, en finir. Et moi qui les connais, je sais ce que vau­dront leurs résolutions.

Après quelques mises au point avec l’a­mi Four­cade tou­jours solide au poste, et tous les bons copains qui mènent là-bas l’ac­tion sans désem­pa­rer, nous allons au mee­ting, à la réunion d’in­for­ma­tion plutôt.

Ce n’est pas un public quel­conque qui est là. Ce sont tous les mili­tants des Conseils syn­di­caux du Rhône. Et ils sont plus de 300.

Ensemble, nous pas­sons en revue et à fond, tous les pro­blèmes qui sol­li­citent notre atten­tion, toutes les ques­tions qui doivent la retenir.

Hen­ri Four­cade met au point quelques ques­tions locales, appuie l’ex­po­sé du « pari­sien » et tout le monde se sépare satis­fait de la bonne besogne accomplie.

Elle est vaste cette besogne. Il y a encore beau­coup à faire. Elle se fera. Les vastes ambi­tions, légi­times d’ailleurs, de nos cama­rades lyon­nais, se réa­li­se­ront. Nous les y aide­ront de toutes nos forces.

Ils peuvent comp­ter sur nous, comme nous comp­tons sur eux.

Un ave­nir pro­chain per­met­tra de mesu­rer le che­min par­cou­ru et j’ai le ferme espoir que Lyon retrou­ve­ra bien­tôt son vrai visage syn­di­ca­liste. —Il y a bien encore quelques hési­tants, quelques irré­duc­tibles. Ceux-là aus­si com­pren­dront. Cer­tains d’entre eux sont de vieux et sin­cères amis, qui nous sont chers. Lors­qu’ils se déci­de­ront, nous les retrou­ve­rons tels qu’ils n’ont jamais ces­sé d’être, même à leur insu.

Et ce sera, dans la vieille cité lyon­naise, le syn­di­ca­lisme à nou­veau triom­phant, prêt à toutes les luttes, les plus dures et les plus difficiles.

Ce jour-là, la tra­di­tion sera renouée : le pré­sent rejoin­dra le pas­sé et les petits-fils des Canuts de la Croix Rousse seront à leur place, à la tête du pro­lé­ta­riat de ce pays.

[|* * * *|]

Ain­si se ter­mine cette tour­née dont les résul­tats encou­ra­geants ne man­que­ront pas d’im­pres­sion­ner favo­ra­ble­ment nos amis de l’U.F.S.A., ceux du Bâti­ment et tous ceux qui sont encore isolés.

Il nous reste main­te­nant à en orga­ni­ser une autre, à tou­cher quelques centres iso­lés. Ce sera fait sous peu.

Que nos amis du Bâti­ment tra­vaillent, eux aus­si, de leur côté, à la même besogne, décident de l’at­ti­tude de leur Fédé­ra­tion et bien­tôt, tous ensemble, nous met­trons au monde la Confé­dé­ra­tion géné­rale du Tra­vail auto­nome, la seule, la vraie, celle où tous les tra­vailleurs trou­ve­ront place, libé­rés des poli­ti­ciens et mar­chant vers leur affranchissement.

[/P.B./]

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