La Presse Anarchiste

Du mode de votation

Cette impor­tante ques­tion va se trai­ter très pro­chai­ne­ment au sein des Congrès régio­naux belge et espa­gnol ; et les sec­tions juras­siennes feront bien, croyons-nous, de la mettre aus­si à l’é­tude. En atten­dant, nous nous per­met­trons de pré­sen­ter à ce sujet quelques courtes réflexions.

C’est du mode de vota­tion dans les Congrès géné­raux de l’In­ter­na­tio­nale qu’il s’a­git. Jus­qu’à pré­sent on a voté par tête, accor­dant une voix à chaque délé­gué, ce qui avait pour résul­tat que de grandes fédé­ra­tions qui ne se trou­vaient, vu l’é­loi­gne­ment, repré­sen­tées que par un seul délé­gué, ne pesaient pas plus dans la balance du vote que telle sec­tion d’une dou­zaine de membres. À la Haye, la pro­po­si­tion a été faite de chan­ger ce sys­tème, qui conduit à l’es­ca­mo­tage de la majo­ri­té réelle par des majo­ri­tés fac­tices ; mais les par­ti­sans du Conseil géné­ral se sont bien gar­dés d’y consen­tir, car cela aurait rui­né toute l’in­trigue qu’ils avaient si habi­le­ment com­bi­née pour s’as­su­rer à ce Congrès une majo­ri­té fictive.

Après les résul­tats déplo­rables du Congrès de la Haye, le vote par tête nous parait défi­ni­ti­ve­ment condam­né. Il faut donc cher­cher quelque autre mode plus équi­table et plus rationnel.

Quelques-uns ont pro­po­sé que chaque fédé­ra­tion, quel que fût le nombre de délé­gués envoyé par elle, n’eût qu’une voix. Il y aurait donc, dans un Congrès, à comp­ter autant de voix qu’il y aurait de fédé­ra­tions représentées.

Les Espa­gnols, de leur côté, trou­ve­raient plus juste, que, pour consti­tuer la majo­ri­té, on comp­tât le nombre d’in­ter­na­tio­naux repré­sen­té par chaque délé­gué. Si par exemple un Congrès était com­po­sé de 50 délé­gués repré­sen­tant en tout un mil­lion d’in­ter­na­tio­naux, il fau­drait que les pro­po­si­tions, pour être adop­tées, obtinssent les voix d’un nombre de délé­gués repré­sen­tant plus de la moi­tié d’un mil­lion de membres. Si une pro­po­si­tion, par exemple, obte­nait les voix de dix délé­gués repré­sen­tant ensemble six cent mille inter­na­tio­naux, elle serait consi­dé­rée comme ayant obte­nu la majo­ri­té, quand même les 40 autres délé­gués ne repré­sen­tant que quatre cent mille inter­na­tio­naux auraient voté contre.

Il nous semble que ce pro­cé­dé pèche par un point : il fait com­plè­te­ment abs­trac­tion des fédé­ra­tions. Or, une fédé­ra­tion, petite ou grande, est un orga­nisme vivant, ayant sa consti­tu­tion propre, son carac­tère, son opi­nion ; et si d’une part, on peut consi­dé­rer l’In­ter­na­tio­nale comme com­po­sée du peuple uni­ver­sel des tra­vailleurs, sans dis­tinc­tion de races, de langues, de fron­tières, on doit la consi­dé­rer en même temps comme for­mée d’un cer­tain nombre d’in­di­vi­dua­li­tés qui s’ap­pellent les fédé­ra­tions, et dont cha­cune a le droit de conser­ver, au sein de la grande Asso­cia­tion, son exis­tence propre, son carac­tère, sa volon­té, et par consé­quent le droit d’ex­pri­mer cette volon­té par un vote.

Il fau­drait donc, pour sau­ve­gar­der à la fois l’ex­pres­sion réelle et sin­cère de la volon­té de la masse des tra­vailleurs dont l’en­semble forme l’In­ter­na­tio­nale, et pour sau­ve­gar­der en même temps le droit des fédé­ra­tions, un double vote : les ques­tions à déci­der par voie de scru­tin dans l’In­ter­na­tio­nale devraient obte­nir la majo­ri­té des suf­frages de tous les inter­na­tio­naux, et en même temps l’ap­pro­ba­tion de la majo­ri­té des fédérations.

Nous pré­sen­tons cette idée, tout en recon­nais­sant qu’elle offre de grandes dif­fi­cul­tés d’exé­cu­tion. Du reste, quel que soit le mode pré­sen­té, on pour­ra sou­le­ver contre lui des objec­tions sérieuses, car, au moyen du vote, et sur­tout du vote par voie de délé­gués, on ne peut arri­ver que d’une manière très impar­faite à expri­mer l’o­pi­nion vraie d’une col­lec­ti­vi­té. Le mieux serait peut-être de renon­cer dans les Congrès à toute vota­tion sur les ques­tions de prin­cipes, qui sont d’ailleurs du domaine scien­ti­fique et dont la véri­té ne peut pas se démon­trer au moyen d’un vote ; on ne vote­rait que sur les ques­tions admi­nis­tra­tives, et là encore on tâche­rait de sub­sti­tuer tou­jours davan­tage à la vota­tion, qui par­tage une assem­blée en majo­ri­té et en mino­ri­té, l’en­tente mutuelle, le concert, le concor­dat libre­ment consen­ti entre les par­ties qui ont à contrac­ter sur des inté­rêts communs.

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