La Presse Anarchiste

Le Développement des Coopératives pendant la guerre

Aucune mani­fes­ta­tion éco­no­mique ne doit nous lais­ser indif­fé­rents, à l’heure actuelle sur­tout. Dans le chaos, chaque jour plus grand, qui carac­té­rise notre Socié­té, il faut cher­cher ce que valent réel­le­ment les organes éco­no­miques qui naissent, et par­ti­cu­liè­re­ment ceux dont la puis­sance s’affirme.

Par­mi eux, la Coopé­ra­tion appa­raît comme des­ti­née à prendre la place la plus impor­tante. Pen­dant la guerre son déve­lop­pe­ment fut extra­or­di­nai­re­ment rapide et durant cette période san­glante, dans tous les pays, on fit appel aux orga­ni­sa­tions coopé­ra­tives pour assu­rer le ravi­taille­ment et lut­ter contre la cher­té de la vie.

Cer­tains pen­saient qu’avec la paix l’importance de l’action coopé­ra­tive allait s’affaiblir ; il n’en est rien.

L’augmentation sans cesse accrue du prix de la vie donne au contraire un nou­vel élan aux orga­ni­sa­tions coopé­ra­tives, sur les­quelles les consom­ma­teurs se tournent de plus en plus, car ce sont les coopé­ra­tives de consom­ma­tion qui se déve­loppent irré­sis­ti­ble­ment. Les coopé­ra­tives de pro­duc­tion, au contraire, non seule­ment ne se mul­ti­plient pas, mais celles qui existent traînent une vie pénible et sans espérances.

Les cir­cons­tances cepen­dant leur étaient par­ti­cu­liè­re­ment favo­rables pen­dant la guerre.

Dès 1915, le Sous-Secré­taire d’État à l’Armement, Alb. Tho­mas, était déci­dé à faci­li­ter les ini­tia­tives de ceux qui seraient prêts à mon­ter des coopé­ra­tives de pro­duc­tion pour fabri­quer armes ou munitions.

Rien n’est venu de ce côté. Pour­tant nom­breux sont les indi­vi­dus sans moyens qui ont obte­nu des mar­chés, et se sont enri­chis on sait avec quelle triste faci­li­té. Une coopé­ra­tive de pro­duc­tion eut trou­vé un ter­rain pro­pice et tous les appuis néces­saires pour naître, gran­dir et per­mettre en même temps la lutte contre les pro­fits fan­tas­tiques des usines de guerre.

Dans ces cir­cons­tances la coopé­ra­tion de pro­duc­tion fut inca­pable de jouer aucun rôle.

Par contre les coopé­ra­tives de consom­ma­tion vont se déve­lop­per avec une rapi­di­té qui ne semble pas avoir été prévue.

Dès le début des hos­ti­li­tés le désordre entraî­né par la mobi­li­sa­tion vint dimi­nuer ou même arrê­ter com­plè­te­ment le ravi­taille­ment. Les coopé­ra­tives inter­vinrent heu­reu­se­ment, par­tout où il en exis­tait, pour lut­ter contre ces pre­mières difficultés.

Dans la région pari­sienne, les Socié­tés coopé­ra­tives s’unirent et for­mèrent l’Union des Coopé­ra­tives. Cette der­nière, au moment où des mani­fes­ta­tions chau­vines, entre­te­nues et sans doute orga­ni­sées par des concur­rents avi­sés, détrui­sirent les lai­te­ries Mag­gi, reprit à son compte la vente du lait Mag­gi afin d’éviter aux Pari­siens la dis­pa­ri­tion de cette mar­chan­dise de pre­mière nécessité.

L’Union des Coopé­ra­tives devint ain­si dès le début un organe auquel le Gou­ver­ne­ment fit de plus en plus sou­vent appel, au fur et à mesure que les dif­fi­cul­tés appa­rais­saient pour assu­rer le ravi­taille­ment de la popu­la­tion parisienne.

Mais ce fut sur­tout au moment où la néces­si­té de fabri­quer canons et muni­tions fit naître sur cer­tains points du pays des centres indus­triels conges­tion­nés, que les Socié­tés coopé­ra­tives prirent un essor remarquable.

Dans ces centres sur­peu­plés (Saint-Étienne, Bourges, etc…) le coût de la vie s’accrût plus rapi­de­ment qu’ailleurs. L’ouvrier, mobi­li­sé en usines, for­cé de se loger, de s’habiller, de se nour­rir, devint la proie sans défense des pro­prié­taires, com­mer­çants et restaurateurs.

Pour leur per­mettre de vivre, il fut bien­tôt néces­saire d’envisager une hausse de leurs salaires, d’ailleurs réduits par les patrons d’usines de guerre au taux le plus bas pos­sible. Mais la moindre aug­men­ta­tion de salaires ou même l’annonce des pour­par­lers enga­gés à ce sujet entraî­nait auto­ma­ti­que­ment une aug­men­ta­tion iden­tique des prix des com­mer­çants locaux.

Les salaires plus éle­vés n’amélioraient donc pas la vie des tra­vailleurs des usines de guerre qui se trou­vaient en face de condi­tions d’existence de plus en plus lourdes.

Le Gou­ver­ne­ment se mon­tra inca­pable d’agir vigou­reu­se­ment contre cette spé­cu­la­tion avouée ; il envi­sa­gea cepen­dant la néces­si­té d’assurer le ravi­taille­ment de ces régions aux prix nor­maux. C’est aux Coopé­ra­tives que le Minis­tère de l’Armement deman­da de jouer ce rôle et de créer res­tau­rants, épi­ce­ries et boucheries.

Mais ces créa­tions, qui devaient être rapides, exi­geaient des res­sources dépas­sant celles des Coopé­ra­tives. Aus­si dès le mois de mai 1916, Albert Tho­mas contri­buait-il à la créa­tion du « Fonds Coopé­ra­tif des Usines de Guerre » dont le but était de cher­cher les moyens finan­ciers indis­pen­sables à l’action coopé­ra­tive. Puis la loi du 29 juin 1917 por­tait ouver­ture, au Cré­dit du Minis­tère de l’Armement, de sommes pour avances rem­bour­sables, aux orga­ni­sa­tions ayant pour but d’améliorer les condi­tions de bien-être du per­son­nel des usines de guerre.

À par­tir de ce moment nous assis­tons, dans la France entière (dans les centres indus­triels sur­tout) à une flo­rai­son sur­pre­nante de res­tau­rants et maga­sins coopératifs.

Là où rien n’existait on trou­vait par­mi les consom­ma­teurs les élé­ments pour ces créa­tions nou­velles. Là au contraire où vivait déjà une coopé­ra­tive, c’est elle, la plu­part du temps, qui se char­gea des œuvres à mettre debout, grâce aux avances consen­ties par le Minis­tère de l’Armement au taux excep­tion­nel de 2%.

Le chiffre d’affaires des ins­ti­tu­tions coopé­ra­tives pour le pre­mier tri­mestre 1918 était de : 7.866.657 francs pour les res­tau­rants et 83.805.459 francs pour les maga­sins, au total : 91.672.116 francs réa­li­sés par 860 res­tau­rants ou magasins.

Avant la guerre, il n’existait que 416 res­tau­rants et maga­sins, et en 1913 leur chiffre d’affaire tri­mes­triel était de 20.424.102 francs.

Ce très bref aper­çu per­met de mesu­rer l’importance du mou­ve­ment coopé­ra­tif durant ces der­nières années.

Quelle forme a‑t-il adop­tée pour ce déve­lop­pe­ment rapide ?

Quel rôle social et moral joue-t-il dans la socié­té actuelle ?

Quel rôle sera-t-il capable de tenir, demain, dans la socié­té nou­velle qui vient au monde ?

C’est ce que nous allons exa­mi­ner, sans par­ti pris, dans un pro­chain article, nous éloi­gnant aus­si bien de ceux qui nient la valeur de la coopé­ra­tion que de ceux qui y voient une sorte de pana­cée uni­ver­selle capable de gué­rir tous nos maux.
 
[/R.C./]

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